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Le sage Esope dans ses fables
Nous en donne un exemple ou deux.
Celui qu'en ces vers je propose,
Et les siens, ce sont même chose.

Le Lièvre et la Perdrix, concitoyens d'un champ 1,
Vivaient dans un état, ce semble 2, assez tranquille,
Quand une meute 3 s'approchant

Oblige le premier à chercher un asile :

Il s'enfuit dans son fort", met les chiens en défaut,
Sans même en excepter Brifaut 5.

Enfin il se trahit lui-même

Par les esprits sortant de son corps échauffé o.
Miraut, sur leur odeur ayant philosophé7,
Conclut que c'est son Lièvre, et d'une ardeur extrême.
Il le pousse; et Rustaud, qui n'a jamais mentis,
Dit que le Lièvre est reparti 9.

Le

pauvre malheureux vient mourir à son gîte 1o. La Perdrix le raille, et lui dit :

« Tu te vantais d'être si vite 11!

Qu'as-tu fait de tes pieds? Au moment qu'elle rit 1o,
Son tour vient; on la trouve. Elle croit que ses ailes
La sauront garantir à toute extrémité 13;

Mais la pauvrette 14 avait compté

Sans l'autour 15 aux serres cruelles.

56 LE COCHET LE CHAT 16 ET LE SOURICEAU 17

Un Souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu.
Fut presque pris au dépourvu 18.

Voici comme il conta l'aventure 19 à sa mère :
« J'avais franchi les monts qui bornent cet État 20,

1. On est concitoyens quand on habite la même ville, le même pays.

2. A ce qu'il semble, ou mieux semblait-il.

3. Une troupe de chiens de chasse. 4. Dans sa retraite au fond des bois. 5. Brifaut, comme plus loin Miraut et Rustaud, sont des noms de chiens inventés par La Fontaine.

6. On sait que les chiens de chasse, doués d'un odorat très fin, suivent le gibier à la piste; c'est l'odeur laissée par la bête sur son passage qui guide le chien.

7. Raisonné (autant que peut le faire un chien).

8. Jamais trompé le chasseur.

9. Justement les chiens cessent d'aboyer quand ils ont perdu la piste.

10. V. p. 22 (Le Lièvre et les Grenouilles).

11. Léger, rapide à la course (ne se dit plus).

12. Au moment où.

13. Dans les cas extrêmes, à l'instant du danger.

14. La pauvre bête; La Fontaine la plaint, 15. N'avait pas songé à l'autour, oiseau de proie analogue à l'épervier.

16. Voir page 28.

17. Un cochet est un jeune coq; un souriceau, une jeune souris.

18. Sans avoir pris ses précautions. 19. Comment il raconta son histoire. 20. La Fontaine a dit ailleurs que la moindre taupinée était mont aux yeux d'un rat.

Et trottais comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière1,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux3:
L'un doux, bénin3, et gracieux,
Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude.
Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair 5,
Une sorte de bras 6 dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,

La queue en panache étalée. »

Or, c'était un Cochet dont notre Souriceau
Fit à sa mère le tableau,

Comme d'un animal venu de l'Amérique 7.
« Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,

Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de très bon cœur.
Sans lui j'aurais fait connaissance

Avec cet animal qui m'a semblé si doux.
Il est velouté comme nous,

Marqueté 10, longue queue 11, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.

Je le crois fort sympathisant 12

Avec messieurs les rats; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles 13.

15

Je l'allais aborder 14, quand, d'un son plein d'éclat,
L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la Souris, ce doucet 16 est un Chat,
Qui, sous son minois 17 hypocrite,
Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté 18.

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T

L'autre animal, tout au contraire,
Bien éloigné de nous mal faire',

Servira quelque jour peut-être à nos repas2.
Quant au Chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.

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Les animaux dont il est ici question sont au rang de nos plus utiles

Cochon. Long. 1m,70.

serviteurs. Le
Cochon

nous procure
une nourri-
ture qui, con-
venablement
préparée, peut

se conserver

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longtemps.-
Ie Mouton

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fournit à l'homme la laine, qui l'aide à se défendre contre le froid, et l'on
sait que la chair de cet animal est, avec celle du boeuf, la viande de bou-
cherie par excellence.

Une Chèvre, un Mouton, avec un Cochon gras,
Montés sur même char, s'en allaient à la foire.
Leur divertissement ne les y portait pas 5;

On s'en allait les vendre, à ce que dit l'histoire.
Le charton n'avait pas dessein

De les mener voir Tabarin 7..

8

Dom Pourceau criait en chemin

Comme s'il avait eu cent bouchers à ses trousses;
C'était une clameur à rendre les gens sourds.
Les autres animaux, créatures plus douces,
Bonnes gens, s'étonnaient qu'il criât au secours;
Ils ne voyaient nul mal à craindre.

Le charton dit au Porc : « Qu'as-tu tant à te plaindre ??
Tu nous étourdis tous: que ne te tiens-tu coi 10?
Ces deux personnes-ci, plus honnêtes que toi,

1. De nous faire du mal.

2. Les souris pourront manger, comme
dit ailleurs La Fontaine, des reliefs de coq.
3. La Fontaine dit autre part:

I ne faut pas juger des gens sur l'apparence.
4. Voir page 73.

5. Ils n'y allaient pas pour se divertir,
pour s'amuser.

6. Le charretier (vieux mot).

7. Tabarin était un farceur au service d'un vendeur de pommade; il attirait beaucoup de monde par ses grimaces et ses moqueries.

8. Dom était un titre d'honneur qu'on donnait à certains moines, notamment aux bénédictins; La Fontaine plaisante.

9. Qu'as-tu à te plaindre si fort. 10.Tranquille et silencieux (vieux mot).

Devraient t'apprendre à vivre 1, ou du moins à te taire. Regarde ce Mouton; a-t-il dit un seul mot?

Il est sage.

-

Il est un sot,

Repartit le Cochon : s'il savait son affaire 2,
Il crierait, comme moi, du haut de son gosier3;
Et cette autre personne honnête
Crierait tout du haut de sa tête.

Ils pensent qu'on les veut seulement décharger,
La Chèvre de son lait, le Mouton de sa laine.
Je ne sais pas s'ils ont raison;

Mais quant à moi, qui ne suis bon
Qu'à manger 4, ma mort est certaine.
Adieu mon toit et ma maison. »>

5

Dom Pourceau raisonnait en subtil personnage;
Mais que lui servait-il ? Quand le mal est certain,
La plainte ni la peur ne changent le destin;
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage.

58 L'ALOUETTE ET SES PETITS AVEC LE MAITRE

Alouette.

D'UN CHAMP

Les Alouettes,auxquelles on fait la chasse parce que leur chair est exquise, ne sont pas des oiseaux nuisibles, loin de là; elles se nourrissent de vers, de chenilles, et mangent à peine quelques grains de blé; elles sont faciles à apprivoiser; leur chant fait un des charmes de la campagne en automne.

Ne t'attends qu'à toi seul, c'est un commun proverbe9. Voici comme Ésope le mit

En crédit 10.

Les Alouettes font leur nid

Dans les blés, quand ils sont en herbe;

C'est-à-dire environ le temps

11

Que tout aime et que tout pullule dans le monde,
Monstres marins 12 au fond de l'onde,

Tigres dans les forêts, alouettes aux champs.
Une pourtant de ces dernières

1. Crier ainsi en compagnie, c'est ne pas

savoir vivre.

2. Ce qui doit lui arriver bientôt. 3. Il pousserait des cris aigus; en musique on appelle notes de tête les notes aiguës, et notes de poitrine les notes graves.

4. Et le cochon a même le tort d'être

réputé une nourriture excellente.

5. Qui a beaucoup de finesse.

6. A quoi cela lui servait-il ?

7. Ceci n'est pas juste, c'est le plus résigné qui sera le plus sage.

8. Ne compte que sur toi.

9. Un proverbe souvent répété. 10. Voici comment Ésope le rendit populaire.

11. Vers le temps où.

12. Les monstres marins dont parle La Fontaine sont les baleines, requins, cachalots, dauphins, etc.

Avait laissé passer la moitié d'un printemps
Sans goûter le plaisir des amours printanières.
A toute force enfin elle se résolut

D'imiter la nature, et d'être mère encore.
Elle bâtit un nid, pond, couve, et fait éclore,
A la hâte : le tout alla du mieux qu'il put.
Les blés d'alentour mûrs2 avant que la nitée 3
Se trouvât assez forte encor

Pour voler et prendre l'essor*,

De mille soins divers l'Alouette agitée

В

S'en va chercher pâture ", avertit ses enfants
D'être toujours au guet et faire sentinelle.

7

«Si le possesseur de ces champs

9

3

Vient avecque son fils, comme il viendra, dit-elle,
Écoutez bien; selon ce qu'il dira,

Chacun de nous décampera 10. >>

Sitôt que 11 l'Alouette eut quitté sa famille,
Le possesseur du champ vient avecque son fils.
« Ces blés sont mûrs, dit-il : allez chez nos amis
Les prier que chacun, apportant sa faucille 12,
Nous vienne aider demain dès la pointe du jour. »
Notre Alouette de retour

Trouve en alarme sa couvée 13.

L'un commence : « Il a dit que, l'aurore levée 14,
L'on fit venir demain ses amis pour l'aider.

S'il n'a dit que cela, repartit l'Alouette,

Rien ne nous presse encor de changer de retraite,
Mais c'est demain qu'il faut tout de bon 15 écouter.
Cependant soyez gais, voilà de quoi manger. »>
Eux repus 16, tout s'endort, les petits et la mère.
L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout 17.
L'Alouette à l'essor 18, le maître s'en vient faire
Sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire 19.

1. Coûte que coûte, à tout prix. 2. Étant mûrs.

3. Les petits dans le nid, la nichée.

4. Prendre leur essor, s'envoler, abandonner le nid.

5. Préoccupée de mille soucis.

6. Chercher sa nourriture et celle de ses petits.

7. De faire attention au danger qui pourrait les menacer.

8. Et de faire sentinelle.

9. Avecque pour avec est souvent dans La Fontaine.

11. Aussitôt que

12. La faucille est un petit instrument à lame recourbée pour scier une poignée de blé, d'herbe, etc.

13. Trouve sa couvée inquiète.

14. Au petit jour, avant ie lever du soleir que précède l'aurore, ou point du jour. 15. Sérieusement.

16. Lorsqu'ils furent repus. rassasiés. 17. Et il ne vient pas un ami.

18. L'alouette étant sortie pour aller de nouveau chercher pâture.

19. Le maître vient faire sa petite tour

10. Ou ne décampera pas, cela dépendra. née comme il faisait tous les jours.

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