Elle approcha, mais en tremblant;
Une autre la suivit, une autre en fit autant;

Il en vint une fourmilière1;

Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu'à sauter sur l'épaule du roi.

Le bon sire le souffre, et se tient toujours coi2.
Jupin en a bientôt la cerveile rompue3 :

<«< Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue ! » Le monarque des dieux leur envoie une Grue,

1

Qui les croque, qui les tue,

Qui les gobe à son plaisir;

Et Grenouilles de se plaindre,

Et Jupin de leur dire : « Eh quoi! votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre 5?

Vous avez dû premièrement

Garder votre gouvernement;

Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier Roi fût débonnaire et doux :
De celui-ci contentez-vous,

De peur d'en rencontrer un pire.

47

LA MORT ET LE BUCHERON

Un pauvre Bûcheron, tout couvert de ramée 8,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé 10, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée 11.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un 12 plus pauvre en la machine ronde 13 ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée 14,

1. Une très grande quantité, les fourmis vivent ensemble et chaque fourmilière en contient un très grand nombre.

2. Immobile et silencieux (vieux mot). 3. On dit à un enfant qui fait du bruit: tu me fends, tu me romps ia tête.

4. Et les grenouilles se plaignirent, et Jupin leur dit : façon de parler très vive, aujourd'hui peu employée.

5. Nous, c'est-à-dire moi; mais c'est le roi des dieux qui parle. Croit-il nous faire subir ses lois ?

6. On dirait maintenant vous auriez dû.

7. Qui pousse très loin la bonte

8. Branches coupées qui ont encom letr feuilles.

9. Fardeau; de là vient portefaix. 10. Courbé sous ie faix, la phrase est renversée.

11. Misérable chaumière sans cheminée, la fumée se répandait partout.

12. Est-il un homme plus pauvre que lui? c'est lui qui parle.

13. La terre.

14. Il est chargé de famille, obligé de lo ger les soldats qui sont de passage, de

Lui font d'un malheureux la peinture achevée,
Il appelle la Mort1. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire2. »

C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois3; tu ne tarderas guère ".>>
Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes 6;
Plutôt souffrir que mourir,

C'est la devise des hommes.

L'Éléphant est le plus gros et aussi le plus intelligent de tous les quadrupedes; il habite les forêts et se nourrit de racines, d'herbes et de branchages; il vit de 120 à 130 ans. On en distingue deux espèces, dont l'une en Asie et l'autre en Afrique; on le chasse pour le manger et pour lui prendre ses défenses d'ivoire. On peut l'ap

privoiser, et il rend alors les plus grands services, il transporte d'énormes fardeaux, laboure la terre, et peut être employé soit pour les longs voyages, soit pour la chasse au tigre, soit pour la guerre.

Se croire un personnages est fort commun en France : On y fait l'homme d'importance,

Et l'on n'est souvent qu'un bourgeois9.

C'est proprement le mal français 10:

La sotte vanité nous est particulière.

Les Espagnols sont vains, mais d'une autre manière 11 Leur orgueil me semble, en un mot,

payer des impôts très lourds, de satisfaire un créancier qui lui a prêté souvent à gros intérêts, de subir enfin la corvée, c'est-àdire de travailler gratuitement un certain nombre de jours de l'année, soit pour seigneur de l'endroit, soit pour le roi: i est vieux enfin, la maladie seule lui manque.

le

1. La Mort était représentée par les paiens comme une déesse terrible: un squelette vêtu d'un linceul et portant une faux.

2. Que me veux-tu ? lui dit-elle.

3. Il ment, le pauvre homme, mais il a si peur de mourir!

4. Ce sera l'affaire d'un instant, et tu pourras continuer ta route.

Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
Donnons quelque image du nôtre,
Qui sans doute en vaut bien un autre.
Un Rat des plus petits voyait un Éléphant
Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent
De la bête de haut parage 2,

Qui marchait à gros équipage.
Sur l'animal à triple étage 4

Une sultanes de renom 6

Son chien, son chat, et sa guenon 7,
Son perroquet, sa vieille, et toute sa maison,
S'en allaient en pèlerinage9.

Le rat s'étonnait que les gens

Fussent touchés de voir cette pesante masse :
<< Comme si d'occuper10 ou plus ou moins de place
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants!
Mais qu'admirez-vous tant en lui, vous autres hommes?
Serait-ce ce grand corps qui fait peur aux enfants?
Nous ne nous prisons 11 pas, tout petits que nous sommes,
D'un grain 12 moins que les Éléphants.

Il en aurait dit davantage;

Mais le Chat, sortant de sa cage,
Lui fit voir en moins d'un instant
Qu'un rat n'est pas un éléphant.

Il

y

:

Un Vieillard sur son Ane 14 aperçut en passant
Un pré plein d'herbe et fleurissant 15
lâche sa bête, et le grison 16
se rue 17
Au travers de l'herbe menue 18,
Se vautrant, grattant et frottant,
Gambadant, chantant, et broutant,

1. La façon de marcher, la marche. 2. De haute noblesse.

3. Avec un grand attirail.

4. Trois fois plus haut que les animaux dle taille ordinaire.

5. Femme de sultan.

6. Renommée, célèbre.

7. Femelle du singe.

8. La vieille servante qui l'accompagnait partout.

9. Les mahométans font souvent des pèlerinages au tombeau de leurs prêtres.

10. Comme si le fait l'occuper... 11. Nous ne nous estimons pas moins. 12. Nous ne croyons pas valoir un grain de moins; le grain était une petite mesure de poids valant environ 5 centigrammes. 13. Voir page 11.

14. Monté sur son âne.

15. Avec beaucoup de fleurs dans l'herbe. 16. L'âne, ainsi nommé parce que, d'ordinaire, son poil est gris.

17. Se jette avec force, se lance.
18. Très fine, succulente par conséquent.

Et faisant mainte place nette1.
L'ennemi vient sur l'entrefaite 2 :
<< Fuyons, dit alors le Vieillard.
- Pourquoi? répondit le paillard 3;

Me fera-t-on porter double bât", double charge?
Non pas, dit le Vieillard, qui prit d'abord le larges.
Et que m'importe donc, dit l'Ane, à qui je sois?
Sauvez-vous, et me laissez paître.

Notre ennemi, c'est notre maître 6,
Je vous le dis en bon français 7. »

Contre les assauts d'un Renard

Un arbre à des Dindons servait de citadelle 9.
Le perfide ayant fait tout le tour du rempart,
Et vu chacun en sentinelle 10,

S'écria « Quoi! ces gens se moqueront de moi!
Eux seuls seront exempts de la commune loi!
Non, par tous les dieux! non. » Il accomplit son dire 11.
La lune, alors luisant, semblait contre le sire
Vouloir favoriser la dindonnière gent 12.

Lui, qui n'était novice 13 au métier d'assiégeant,

d'une façon bien

1. Qui a vu un âne se vautrer dans | coue); dire quelque chose en bon tranl'herbe conviendra que cette peinture est parfaite.

2. On dirait aujourd'hui: sur ces entrefaites, c'est-à-dire à ce moment.

3. L'âne encore, qui couche sur la pailie. 4. On appelle båt l'espèce de selle double qu'on met sur le dos d'un âne, de manière à le charger des deux côtés à la fois. 5. Qui commença par s'éloigner.

6. C'est notre maître qui est notre ennemi; il s'agit ici du maitre qui fait souffrir ses domestiques; le maître qui enseigne est au contraire un ami.

7. On écrivait françois (prononcez fran

çais, c'est le dire
claire.

8. Voir page 2.

9. Construisez un arbre servait de citadelle à des dindons contre les assauts d'un renard; on a déjà vu que les renards ne grimpent pas sur les arbres.

10. Citadelle, rempart, sentinelle, c'est bien comme à la guerre.

11. Son dire, ce qu'il avait dit. 12. Semblait vouloir favoriser la gent (la race) des dindons contre le renard.

13. Qui n'était pas novice, ayant fait souvent ce métier.

Eut recours à son sac de ruses scélérates 1;
Feignit vouloir 2 gravir, se guinda 3 sur ses pattes,
Puis contrefit le mort", puis le ressuscité.
Arlequin n'eût exécuté 6

5

Tant de différents personnages.

Il élevait sa queue, il la faisait briller,
Et cent mille autres badinages,

Pendant quoi nul Dindon n'eût osé sommeiller.
L'ennemi les lassait en leur tenant la vue

:

8
Sur mème objet toujours tendue.
Les pauvres gens étant à la longue éblouis,
Toujours il en tombait quelqu'un autant de pris,
Autant de mis à part; près de moitié succombe.
Le compagnon les porte en son garde-manger.
Le trop d'attention qu'on a pour le danger
Fait le plus souvent qu'on y tombe.

Cormoran.

Longueur 0,80%

Le Cormoran est un oiseau qui ne se nourrit que de poisson; il nage avec une rapidité extraordinaire, et plonge avec la plus grande facilité : les Chinois l'apprivoisent et l'emploient pour pêcher comme nous employons les chiens pour chasser; il va chercher le poisson à une grande profondeur, et le rapporte à son maître; mais on a la précaution de lui mettre au cou un collier qui l'empêche d'avaler les poissons. Il n'était point d'étang dans tout le voisinage. Qu'un Cormoran n'eût mis à contribution 10 ; Viviers et réservoirs lui payaient pension 11. Sa cuisine allait bien; mais lorsque le long âge Eut glacé le pauvre animal,

La même cuisine alla mal.

12

Tout cormoran se sert de pourvoyeur lui-même 13.
Le nôtre, un peu trop vieux pour voir au fond des eaux,
N'ayant ni filets ni réseaux,

1. Eut recours à ses ruses; et l'on pourrait croire qu'il en a un plein sac. 2. Feignit de vouloir. 3. Se hissa.

4. Imita aussi parfaitement qu'il le put. 5. Personnage de comédie au temps de La Fontaine : son habit était fait de pièces de diverses couleurs, il tenait à la main une latte; sa figure était couverte d'un masque noir.

6. N'eût pas su, n'aurait pas su exécuter. 7. Et pendant ce temps-là.

8. Sur le même objet.

9. Le rusé compère, le renard.

10. Il prenait à tous les étangs quelques poissons; comme le percepteur demande à chacun de nous un peu de son argent.

11. En nature, bien entendu ; les viviers et les réservoirs sont des bassins creusés de main d'homme et dans lesquels on met du poisson.

12. La vieillesse.

13. Il fait sa cuisine lui-même, et n'envoie personne au marché; La Fontaine plaisante.