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s'éteignent. Le catholicisme, en Angleterre, lève déjà un pied respectueux pour franchir le seuil du parlement, au moment (qui ne peut être fort éloigné) où il y sera appelé par la loi et par l'opinion rassainie. Tout annonce un changement général, une révolution magnifique, dont celle qui vient de finir (à ce qu'on dit) ne fut que le terrible et indispensable préliminaire (1).

1819

L'état présent de l'Europe fait horreur, et celui de la France en particulier est inconcevable. La peinture d'un seul département convient en plus ou en moins à tous les autres. La révolution est debout, sans doute, et non-seulement elle est debout, mais elle marche, elle court, elle rue. La seule différence que j'aperçois entre cette époque et celle du grand Robespierre, c'est qu'alors les têtes tombaient et qu'aujourd'hui elles tournent. J'ai peine à croire que l'état actuel ne finisse pas de quelque manière extraordinaire et peut-être sanglante (2).

1819

Il est infiniment probable que les Français nous donneront encore une tragédie; mais que ce spectacle ait ou n'ait pas lieu, voici ce qui est certain. L'esprit religieux, qui n'est pas du tout éteint en France, fera un effort proportionné à la compression qu'il éprouve, suivant la nature de tous les fluides élastiques. Il soulèvera des montagnes, il fera des miracles. Le Souverain

(1) Lettres et op., p. 367.

(2) Tome 1, p. 507.

Pontife et le sacerdoce français s'embrasseront, et dans cet embrassement sacré, ils étoufferont les maximes gallicanes. Alors le clergé français commencera une nouvelle ère et reconstruira la France, et la France prêchera la religion à l'Europe, et jamais on n'aura rien vu d'égal à cette propagande; - et si l'émancipation des catholiques est prononcée en Angleterre, ce qui est possible et même probable, et que la religion catholique parle en Europe français et anglais, souvenezvous bien de ce que je vous dis, mon très-cher auditeur, il n'y a rien que vous ne puissiez attendre. Et si l'on vous disait que, dans le courant du siècle, on dira la messe à Saint-Pierre de Genève et à Sainte-Sophie de Constantinople, il faudrait dire : Pourquoi pas?

Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas (1).

1820

Tout me porte à croire que les affaires de la France se lient à des événements généraux et immenses qui se préparent, et dont les éléments sont visibles à qui regarde bien; mais ce majestueux abîme fait tourner la tête (2).

1821

Jamais le titre de langue universelle n'a mieux convenu à la langue française ; et ce qu'il y a d'étrange, c'est que sa puissance semble augmenter avec sa stérilité. Ses beaux jours sont passés : cependant tout le monde l'entend, tout le monde la parle ; et je ne crois pas même qu'il y ait de ville en Europe qui ne renferme quelques (1) P. 508.

(2) Tome II, p. 10.

hommes en état de l'écrire purement. La juste et honorable confiance accordée en Angleterre au clergé de France exilé, a permis à la langue française d'y jeter de profondes racines: c'est une seconde conquête peutêtre, qui n'a point fait de bruit, car Dieu n'en fait point(1), mais qui peut avoir des suites plus heureuses que la première. Singulière destinée de ces deux grands peuples qui ne peuvent cesser de se chercher ni de se haïr. Dieu les a placés en regard comme deux aimants prodigieux qui s'attirent par un côté et se fuient par l'autre ; car ils sont à la fois ennemis et parents (2). Cette même Angleterre a porté nos langues en Asie; elle a fait traduire Newton dans la langue de Mahomet (3), et les jeunes Anglais soutiennent des thèses à Calcutta en arabe, en persan et en bengali. De son côté, la France, qui ne se doutait pas, il y a trente ans, qu'il y eût plus d'une langue vivante en Europe, les a toutes apprises tandis qu'elle forçait les nations d'apprendre la sienne. Ajoutez que les plus longs voyages ont cessé d'effrayer l'imagination; que tous les grands navigateurs sont Européens (4), que l'Occident entier cède manifestement à l'ascendant européen; que le croissant, pressé sur ses deux points, à Constantinople et à Delhi, doit nécessairement éclater par le milieu; que les événements ont

(1) Non in commotione Dominus. (III Reg., xix, 2.)

(2) Voir la note A.

(3) Le traducteur, qui a écrit presque sous la dictée d'un astronome anglais, se nomme Tuffuzul-Hussein-Khan. Boerhaave a reçu le même honneur. (Sir Will. Jones' Works, in-4, t. V, p. 570. Supplément, t. I, p. 278; t. II, p. 922.)

(4) Voyez Essays by the students of fort William in Bengal, etc. Calcutta, 1802. Saint-Martin a remarqué que tous les grands na

vigateurs sont chrétiens. C'est la même chose.

donné à l'Angleterre quinze cents lieues de frontières avec le Thibet et la Chine, et vous aurez une idée de ce qui se prépare. L'homme, dans son ignorance, se trompe souvent sur les fins et sur les moyens, sur la force et sur la résistance, sur les instruments et sur les obstacles. Tantôt il veut couper un chêne avec un canif, et tantôt il lance une bombe pour briser un roseau ; mais la Providence ne tâtonne jamais, et ce n'est pas en vain qu'elle agite le monde. Tout annonce que nous marchons vers une grande unité que nous devons saluer de loin, pour me servir d'une tournure religieuse. Nous sommes douloureusement et bien justement broyés ; mais si de misérables yeux tels que les miens sont dignes d'entrevoir les secrets divins, nous ne sommes broyés que pour être mêlés (1).

(1) Les Soirées de Saint-Pétersbourg, t. I, p. 168 à 171.

NOTE

DU CHAPITRE X.

Note A, page 408.

« Vous êtes, à ce qui me semble, gentis incunabula nostræ, et toujours la France a exercé sur l'Angleterre une influence morale plus ou moins forte. Lorsque la source qui est chez vous, se trouvera obstruée ou souillée, les eaux qui en partent seront bientôt taries en Angleterre, ou bien elles perdront leur limpidité, et peut-être qu'il en sera de même pour toutes les autres nations. De là vient, suivant ma manière de voir, que l'Europe n'est que trop intéressée à tout ce qui se fait en France. » (Burke, Reflex. on the Revol. of France. London, Dodley, 1793, in-8, p. 118, 119.) Paris est le centre de l'Europe. (Le même, Lettres à un membre de la chambre des communes, 1797, in-8, p. 18.)

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