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NOTES

DU CHAPITRE VII.

Note A, page 339.

Veut-on savoir ce que Voltaire pensait des Lettres provinciales? Qu'on écoute ce juge peu suspect:

« Qu'on mette, dit-il, en parallèle, les Lettres provinciales et les Sermons du père Bourdaloue, on apprendra dans les premières l'art de la raillerie, celui de présenter des choses indifférentes sous des faces criminelles, celui d'insulter avec éloquence: on apprendra, avec le père Bourdaloue, à être sévère à soi-même et indulgent pour les autres. Je demande alors de quel côté est la vraie morale, et lequel de ces deux livres est le plus utile aux hommes? J'ose le dire, il n'y a rien de plus contradictoire, de plus inique, de plus honteux pour l'humanité, que d'accuser de morale relâchée des hommes qui mènent en Europe la vie la plus dure, et qui vont chercher la mort au bout de l'Asie et de l'Amérique. Quel est le particulier qui ne sera pas consolé d'essuyer des calomnies, quand un corps entier en éprouve continuellement d'aussi cruelles (1)? »

Je conseille à ceux qui voudraient savoir à quoi s'en tenir sur la valeur des allégations des Lettres provinciales, de lire les ouvrages suivants du père Daniel: Entretiens de

(1) Lettre au R. P. de Latour, jésuite, principal du collège Louisle-Grand, 7 février 1746.

Cléandre et d'Eudoxe sur les Lettres provinciales (1694), et la Lettre de M. l'abbé de *** à Eudoxe, touchant la nouvelle apologie des Lettres provinciales (1699). (Voir le tome I, p. 305 à 596, et p. 597 à 634, du Recueil de divers ouvrages philos., théol., hist., apologét. et de critique, par le père Daniel, 1724, in-4o).

Traduits, aussitôt leur apparition, en latin, en italien, en espagnol et en anglais, les Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe sont la réfutation la plus complète et la plus forte des trop fameuses Lettres provinciales.

Note B, page 340.

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<< Deux hommes, dit M. de Bonald, que leurs contemporains ont nommé des hommes de génie, parce qu'ils ont jugé leurs écrits sur leur style, et leur doctrine sur le bruit même qu'elle a fait, mais que la postérité, qui juge les écrits par leurs résultats, et les opinions par les événements, appellera des hommes de beaucoup d'esprit (car on erre avec esprit, et non avec génie), Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau écrivirent tous deux sur la politique avec un succès égal, parce que les talents étaient semblables, et que les intentions n'étaient pas très-différentes.....

<< Montesquieu, partisan de l'unité de pouvoir par état et par préjugé, et du gouvernement populaire par affection philosophique, favorable aux sociétés unitaires par ses aveux, et aux sociétés opposées par ses principes, sans plan et sans système, écrivit l'Esprit des lois avec le même esprit, et dans quelques endroits avec la même manière qu'il avait écrit les Lettres persanes (1); et cherchant sans

(1) « Comme l'a dit plaisamment, dans l'Esprit des lois, l'auteur des Lettres persanes, » dit quelque part M. de Bonald, en citant une polissonnerie (le mot est de M. de Maistre), qu'on lit dans ce fameux livre.

cesse l'esprit de ce qui est, et jamais la règle de ce qui doit être, il trouva la raison des lois les plus contradictoires, et même des lois qui sont contre toute raison.....

<< Heureusement inconséquent, l'ouvrage de Montesquieu, rachetant lui-même l'erreur des principes par de grandes vérités dans les détails, est fait pour en imposer à des esprits inattentifs et à des cœurs honnêtes; soutenu par un style qui éblouit par son éclat, ou qui étonne par sa précision, accrédité par un nom fameux, et ce qui est plus décisif, appuyé par un parti puissant, l'Esprit des lois fut l'oracle des philosophes du grand monde (1). »

« L'Esprit des lois, a dit ailleurs M. de Bonald, est le plus profond des livres superficiels. »

Madame du Deffant disait de l'Esprit des lois « que c'était de l'esprit sur les lois;» mot où il y a assez de vérité pour être excellent.

Note C, page 346.

Un des biographes les plus fanatiquement enthousiastes de Voltaire et de ses œuvres, propos de la Henriade, le dithyrambe suivant :

Condorcet,

a écrit, à

<< On peut comparer la Henriade à l'Énéide. Toutes deux portent l'empreinte du génie dans tout ce qui a dépendu du poëte, et n'ont que les défauts d'un sujet dont le choix a également été dicté par l'esprit national; mais Virgile ne voulait que flatter l'orgueil des Romains, et Voltaire eut le motif plus noble de préserver les Français du fanatisme, en leur traçant les crimes où il avait entraîné leurs ancêtres (2). »

(1) Législation primitive, etc. Discours préliminaire, p. 45 à 47, 4e édit. 1847.

(2) Voy. Vie de Voltaire, par Condorcet, dans Beuchot;

de Voltaire, in-8, t. I, p. 136 et 137 (1834, in-8).

Œuvres

M. de Bonald, avec cette profondeur de vue qui le caractérise, définit ainsi la portée désastreuse et les résultats révolutionnaires de la Henriade; tout esprit sage et réfléchi ne peut s'empêcher d'être frappé de ce jugement :

« Les différents partis religieux, en France, avaient oublié leurs torts réciproques; Voltaire les a tous rappelés, et plus encore ceux d'un parti que ceux de l'autre. La publication de la Henriade et de ses notes ralluma les haines prêtes à s'éteindre ; et l'on a remarqué que les retours à l'ancienne croyance, encore fréquents jusqu'au milieu du dernier siècle, sont devenus beaucoup plus rares depuis cette époque. On ne sait pas assez le mal, même politique, que cet écrivain a fait avec ses éternelles déclamations sur ses quelques événements malheureusement célèbres (1). »

Note D, page 347.

Je crois intéressant, utile et surtout instructif de citer les passages les plus forts de cette déclamation insensée et ridicule de Diderot, - sorte d'Oraison funèbre de Richardson, l'auteur de Clarisse.

On y trouve l'esprit philosophiquement impie de l'homme, l'amour pour la morale prêché par celui qui écrivit les romans obscènes des Bijoux indiscrets, de Jacques le Fataliste et de la Religieuse, et les principes du romantisme échevelé de 1828. A ces trois titres, les citations qu'on va lire sont d'un haut intérêt :

«Le roman de Clarisse m'a laissé une mélancolie qui me plaît et qui dure; quelquefois on s'en aperçoit, et l'on me demande: «Qu'avez-vous ? vous n'êtes pas dans votre état naturel. » On m'interroge sur ma santé, sur ma fortune, sur mes parents, sur mes amis. O mes amis! Paméla,

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Clarisse et Grandisson sont trois grands drames. Arraché à cette lecture par des occupations sérieuses, j'éprouvais un dégoût invincible; je laissais là le devoir, et je reprenais le livre de Richardson. Gardez-vous bien d'ouvrir ces ouvrages enchanteurs, lorsque vous aurez quelque devoir à remplir. Qui est-ce qui a lu les ouvrages de Richardson, sans désir de connaître cet homme, de l'avoir pour frère ou pour ami? Qui est-ce qui ne lui a pas souhaité toutes sortes de bénédictions?

«O Richardson! Richardson! homme unique à mes yeux! tu seras ma lecture dans tous les temps. Forcé par des besoins pressants, si mon ami tombe dans l'indigence, si la médiocrité de ma fortune ne suffit pas pour donner à mes enfants les soins nécessaires à leur éducation, je vendrai mes livres, mais tu me resteras, tu me resteras sur le même rayon avec Virgile, Homère, Euripide et Sophocle, et je vous lirai tour à tour...

« Plus on a l'âme belle, plus on a le goût exquis et pur; plus on connaît la nature, plus on aime la vérité, plus on estime les ouvrages de Richardson (1). »

Jusqu'ici ce n'est que ridicule; Diderot va se montrer follement impie :

« Alors je comparais l'ouvrage de Richardson à un livre plus sacré encore, à un évangile apporté sur la terre pour séparer l'époux de l'épouse, le père du fils, la fille de la mère, le frère de la soeur, et son travail rentrait ainsi dans la condition des êtres les plus parfaits de la nature (2).....

« Dans ce livre immortel, comme dans la nature au printemps, on ne trouve point deux feuilles qui soient d'un

même vert...

(1) Éloge de Richardson, en tête du tome I de Clarisse, trad. de Le Tourneur, édit. de Genève, in-8, 1785, p. xxvi et xxvii.

(2) Ibid., p. XXXII.

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