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duire par une religion aussi affectueuse, mais plus éclairée peut-être et plus grande qu'elle ne l'était dans la plupart des couvents; en un mot leur inspirer beaucoup plus que leur apprendre, parce que les femmes ont reçu en sentiment leur portion de raison : c'est ce qui fait qu'elles savent, sans les avoir apprises, tant de choses que nous apprenons sans les savoir, et ce qui leur donne un sens naturellement plus droit, quoique moins raisonné, un goût plus sûr, quoique plus prompt, un esprit et des manières moins étudiées, et par cela même plus aimables (1). »

Note C, page 251.

Le père Buffier, dans son Examen des préjugés vulgaires, pour disposer l'esprit à juger sainement de tout (1704), traite, sous forme de paradoxe, cette question que les femmes sont capables de toutes les sciences (2).

Partant de ce principe affirmatif, que, sous le nom de Téandre, il développe habilement à Artémise, son interlocuteur féminin, il s'exprime d'abord en ces termes :

<< Je demanderais volontiers à ceux qui ne les croient pas capables des sciences, si pour y réussir il faut autre chose que de l'esprit, de l'intelligence, de la raison ; ou si les hommes prétendraient seuls en avoir....

«Ils diront avec plus de vraisemblance que l'intelligence et l'esprit suivant le caractère du tempérament, et que celui des femmes étant plus faible, leur esprit n'a

(1) De l'éducation dans la société. Chap. XII, de l'éducation des femmes, p. 414 à 417. OEuvres de M. de Bonald, 1847. - Cf. avec le chap. xu du liv. I de la Théorie de l'éducation sociale, p. 397 à 401. · De l'éducation des femmes, t. II de la Théorie du pouvoir, etc., 1854.

(2) P. 53 à 84, 2o proposition.

point la trempe qu'il faut pour être à l'épreuve des difficultés dont l'étude des sciences est remplie.

« Si la trempe de l'esprit, reprit Téandre, devait se mesurer par la force du corps, on peuplerait le Parnasse d'étranges sortes de personnes, et les soldats aux gardes y devraient occuper les premiers postes. Cependant, ajoutat-il, les femmes ne le céderaient pas encore aux hommes de ce côté-là, et elles trouveraient leurs héroïnes en ce genre, comme ils trouveraient leurs héros.....

« Mais laissons cette force de corps dont il n'est pas ici question. Les fatigues d'Apollon ne sont point celles de Mars. L'expérience ne montre pas, ce me semble, que les hommes qui ont les plus larges épaules soient les plus propres à la théologie, ou aux mathématiques, aux belleslettres, ou à la philosophie. Parlons sérieusement, ajoutat-il. Les hommes les plus propres aux sciences se trouvant assez souvent du tempérament le plus délicat, pourquoi la délicatesse des dames y serait-elle un obstacle, et n'estce pas au contraire une disposition des plus heureuses pour les exercices de l'esprit ? »

Artémise qui, comme on le voit, joue le rôle opposé à mesdemoiselles Adèle et Constance de Maistre, répond à Téandre:

« L'expérience par malheur nous fait plus de tort que votre raisonnement ne nous fait de bien. Car avec cette disposition que vous nous trouvez pour les sciences dans la délicatesse attribuée aux femmes, comment un si petit nombre d'entre elles trouvent-elles le moyen d'y réussir?

« C'est, répondit Téandre, qu'elles ne s'avisent pas de le chercher, et de s'y appliquer... Établissez pour elles des universités, des colléges, des Facultés de droit et de théologie; qu'elles y étudient dès leur jeunesse, et un aussi

grand nombre d'entre elles seront jurisconsultes, philosophes et théologiennes, qu'il y a d'hommes théologiens, jurisconsultes et philosophes. >>

Suit une longue liste d'illustrations féminines dans tous les genres; après quoi Téandre reprend :

« C'est moins la nature qui épargne ses dons à l'égard des dames, que ce ne sont les dames qui négligent de cultiver les dons de la nature.

« C'est comme si vous disiez, interrompit Artémise, que les femmes manquent à leur vocation de n'être pas savantes, et qu'elles sont blâmables de n'y pas correspondre.....

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<< Bien qu'on soit capable d'un état, - dit Téandre, on n'y est pas toujours appelé, et si tous les hommes qui auraient les dispositions nécessaires à devenir docteurs de Sorbonne avaient pris ce parti, quelque vaste et profonde que soit l'érudition de ces Messieurs, la guerre et les finances n'en seraient pas, je pense, beaucoup mieux administrées, ni l'État plus à son aise. La nature a répandu ses dons à tout le genre humain et la Providence a marqué les bornes où chaque sexe et chaque condition devait les renfermer. »

Artémise se révolte à cette idée, mais Téandre insiste sur le soin d'acquérir les connaissances qu'elles doivent avoir, au lieu de celles qu'elles voudraient, et qui ne leur conviennent pas. Que si ce malheur se fait encore sentir à quelques-unes d'elles, il y a tout lieu d'espérer qu'elles auront assez de fermeté pour s'en consoler du moins par le jeu, par les conversations, les promenades, les visites et par d'autres semblables secours.

<< Parlons sérieusement, dit Artémise: ne trouveriezvous point raisonnable qu'une femme qui aurait du goût pour les sciences, y mît jamais son temps, et croyez-vous

que la Providence fût pour elle inexorable jusques à ce point?

« Il s'en faut bien que ce ne soit là ma pensée, répondit Téandre..... A l'égard de celles qui ont d'autres devoirs à remplir, quand elles ont du temps de reste, il leur sera toujours beaucoup plus utile de l'employer à se remplir l'esprit de connaissances honnêtes, pourvu qu'elles n'inspirent point de sotte vanité, que de l'occuper au jeu, et à d'autres amusements aussi frivoles et aussi dangereux que ceux qui partagent la vie de la plupart des femmes du monde. >>

On le voit, de déduction en déduction, de concession en concession,- Téandre ou le père Buffier (c'est tout un) arrive à la même conclusion que M. de Maistre; à savoir que, lors même (ce qu'il admet), les femmes seraient capables de toutes les sciences, elles ne doivent pourtant pas s'y adonner comme les hommes, sur le domaine duquel leur sexe même, la nature et leur mission leur défendent d'empiéter.

CHAPITRE IV

ÉDUCATION

1. Conditions d'une bonne éducation.

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tion. III. Dangers des colléges. IV. Accord étroit de la morale avec la religion. — V. Inconvénient d'une éducation purement scientifique. VI. Périls de l'éducation publique. VII. Les anciens et les nouveaux instituteurs. VIII. Du rôle de la religion dans l'éducation. IX. Cause de la dégradation du dix-huitième siècle.

I

Il faut beaucoup de sagesse et d'attention pour ne pas gêner la croissance de la plante humaine par des soins mal entendus; pour écarter d'elle les plantes parasites et vénéneuses qui se hâtent de lui disputer les sucs de la terre et la rosée du ciel; pour ne pas la courber enfin, en cédant mal à propos à l'envie de la diriger.

Peut-être que l'éducation se réduit à cela. Comment se persuader, en effet, que la nature se soit contredite au point de rendre difficile la chose du monde la plus nécessaire? Le bon sens, éclairé par la vertu, suffit pour donner une excellente éducation. Ce qui nous trompe sur ce point, c'est que nous confondons deux éducations absolument différentes : l'éducation morale et l'édu

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