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verain à ses sujets, et de ceux-ci au souverain : quels sont les plus assujettissants et les plus pénibles? Je ne le déciderai pas il s'agit de juger, d'un côté, entre les étroits engagements du respect, des secours, des services, de l'obéissance, de la dépendance; et d'un autre, les obligations indispensables de bonté, de justice, de soins, de défense, de protection. Dire qu'un prince est arbitre de la vie des hommes, c'est dire seulement que les hommes par leurs crimes deviennent naturellement soumis aux lois et à la justice, dont le prince est le dépositaire : ajouter qu'il est maître absolu de tous les biens de ses sujets, sans égards, sans compte ni discussion, c'est le langage de la flatterie, c'est l'opinion d'un favori qui se dédira à l'agonie (1). »

(1) Caractères, t. I, chap. x, Du Souverain, etc., p. 371.

CHAPITRE III

DES FEMMES

1. Sur la science des Femmes. - II. Leur véritable mission. - III. Les Femmes sont-elles capables de faire tout ce que les hommes font? IV. Des Femmes qui veulent faire les hommes. V. Les Femmes font l'homme. VI. Les droits de la Femme. de la Femme dans la civilisation.

VII. Rôle

Tu as probablement lu dans la Bible, ma chère Adèle : « La femme forte entreprend les ouvrages les « plus pénibles, et ses doigts ont pris le fuseau. » Mais que diras-tu de Fénelon, qui décide avec toute sa douceur: « La femme forte file, se cache, obéit, et « se tait (1). » Voici une autorité qui ressemble fort peu aux précédentes, mais qui a bien son prix cependant : c'est celle de Molière, qui a fait une comédie intitulée Les Femmes savantes. Crois-tu que ce grand comique, ce juge infaillible des ridicules, eût traité ce sujet s'il n'avait pas reconnu que le titre de femme savante est

(1) Voir la note A.

en effet un ridicule? Le plus grand défaut pour une femme, c'est d'être homme. Pour écarter jusqu'à l'idée de cette prétention défavorable, il faut absolument obéir à Salomon, à Fénelon et à Molière; ce trio est infaillible. Garde-toi bien d'envisager les ouvrages de ton sexe du côté de l'utilité matérielle, qui n'est rien; ils servent à prouver que tu es femme et que tu te tiens pour telle, et c'est beaucoup. Il y a d'ailleurs dans ce genre d'occupation une coquetterie très-fine et trèsinnocente. En te voyant coudre avec ferveur, on dira: << Croiriez-vous que cette jeune demoiselle lit Klopstock et le Tasse? » Et lorsqu'on te verra lire Klopstock et le Tasse, on dira : « Croiriez-vous que cette demoiselle coud à merveille? »

:

Tu penses bien, ma chère Adèle, que je ne suis pas ami de l'ignorance; mais dans toutes les choses il y a un milieu qu'il faut savoir saisir le goût et l'instruction, voilà le domaine des femmes. Elles ne doivent point chercher à s'élever jusqu'à la science, ni laisser croire qu'elles en ont la prétention (ce qui revient au même quant à l'effet); et à l'égard même de l'instruction qui leur appartient, il y a beaucoup de mesures à garder une dame, et plus encore une demoiselle, peuvent bien la laisser apercevoir, mais jamais la montrer (1).

II

Tu me demandes, ma chère enfant, après avoir lu mon sermon sur la science des femmes, d'où vient

(1) Lettres et op., etc., de M. de Maistre, t. I, p. 54 et 55. Lettre à mademoiselle Adèle de Maistre.

qu'elles sont condamnées à la médiocrité? Tu me demandes en cela la raison d'une chose qui n'existe pas et que je n'ai jamais dite. Les femmes ne sont nullement condamnées à la médiocrité; elles peuvent même prétendre au sublime, mais au sublime féminin. Chaque être doit se tenir à sa place, et ne pas affecter d'autres perfections que celles qui lui appartiennent.

L'erreur de certaines femmes est d'imaginer que, pour être distinguées, elles doivent l'être à la manière des hommes. Il n'y a rien de plus faux.

Comme tu te trompes, mon cher enfant, en me parlant du mérite un peu vulgaire de faire des enfants! Faire des enfants, ce n'est que de la peine; mais le grand honneur est de faire des hommes, et c'est ce que les femmes font mieux que nous. Crois-tu que j'aurais beaucoup d'obligations à ta mère, si elle avait composé un roman au lieu de faire ton frère? Mais faire ton frère, ce n'est pas le mettre au monde et le poser dans un berceau; c'est en faire un brave jeune homme, qui croit en Dieu et n'a pas peur du canon. Le mérite de la femme est de régler sa maison, de rendre son mari heureux, de le consoler, de l'encourager et d'élever ses enfants, c'est-à-dire de faire des hommes: voilà le grand accouchement, qui n'a pas été maudit comme l'autre. Au reste, ma chère enfant, il ne faut rien exagérer : je crois que les femmes, en général, ne doivent point se livrer à des connaissances qui contrarient leurs devoirs; mais je suis fort éloigné de croire qu'elles doivent être parfaitement ignorantes. Je ne veux pas qu'elles croient que Pékin est en France, ni qu'Alexandre le Grand de

manda en mariage une fille de Louis XIV (1). La belle littérature, les moralistes, les grands orateurs, etc., suffisent pour donner aux femmes toute la culture dont elles ont besoin.

Quand tu parles de l'éducation des femmes, qui éteint le génie, tu ne fais pas attention que ce n'est pas l'éducation qui produit la faiblesse, mais que c'est la faiblesse qui souffre cette éducation. S'il y avait un pays d'amazones qui se procurassent une colonie de petits garçons pour les élever comme on élève les femmes, bientôt les hommes prendraient la première place, et donneraient le fouet aux amazones. En un mot, la femme ne peut être supérieure que comme femme; mais dès qu'elle veut émuler l'homme, ce n'est qu'un singe (2).

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Voltaire a dit que les femmes sont capables de faire tout ce que font les hommes, etc.; c'est un compliment

(1) C'est la pensée de madame de Maintenon, dans ses Entretiens sur l'éducation des filles, écrits par cette illustre femme, pour l'instruction des demoiselles de Saint-Cyr :

« Il est juste de connaître les princes de sa nation, et d'en savoir suffisamment pour ne pas brouiller la suite de nos rois et leurs personnes avec les princes des autres empires, dont il convient aussi qu'elles aient une légère connaissance, pour ne pas prendre un empereur romain pour un empereur de la Chine ou du Japon, un roi d'Espagne ou d'Angleterre pour un roi de Perse ou de Siam; mais tout cela sans règles ni méthode, et seulement pour n'être pas plus ignorantes que le commun des honnêtes gens.» (OEuvres complètes de madame de Maintenon, recueillies et publiées pour la première fois, d'après les manuscrits, par M. Th. Lavallée. 1855, p. 26, loc. cit. sup.)

(2) Lettres et op., etc., t. I, p. 189 à 191. Lettre à mademoiselle Constance de Maistre. Voir la note B.

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