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NOTES

DU CHAPITRE II.

Note A, page 217

Il est curieux de rapprocher de l'opinion de M. de Maistre, sur la guerre, celle de Labruyère relative au même sujet c'est un intéressant parallèle, remarquable par la dissemblance du point de vue de ces deux esprits si éminents. C'est le pour et le contre sur un des plus grands problèmes philosophiques qu'il soit possible d'agiter.

Voici ce que dit Labruyère :

« La guerre a pour elle l'antiquité; elle a été dans tous les siècles on l'a toujours vue remplir le monde de veuves et d'orphelins, épuiser les familles d'héritiers, et faire périr les frères à une même bataille..... De tout temps les hommes, pour quelque morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler, se tuer, s'égorger les uns les autres; et, pour le faire plus ingénieusement et avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu'on appelle l'art militaire : ils ont attaché à la pratique de ces règles la gloire, ou la plus solide réputation; et ils ont depuis enchéri de siècle en siècle sur la manière de se détruire réciproquement. De l'injustice des premiers hommes, comme de son unique source, est venue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont

trouvés de se donner des maîtres qui fixassent leurs droits et leurs prétentions. Si, content du sien, on eût pu s'abstenir du bien de ses voisins, on avait pour toujours la paix et la liberté (1). »

Plus loin il revient sur cet insondable mystère de la destruction violente de l'espèce humaine, avec une énergie sans égale :

« Que si l'on vous disait que tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers dans une plaine, et qu'après avoir miaulé tout leur soûl ils se sont jetés avec fureur les uns sur les autres, et ont joué ensemble de la dent et de la griffe ; que de cette mêlée, il est demeuré de part et d'autre neuf à dix mille chats sur la place, qui ont infecté l'air à dix lieues de là par leur puanteur; ne diriezvous pas : Voilà le plus abominable sabbat dont on ait jamais oui parler? Et si les loups en faisaient de même, quels hurlements ! quelle boucherie ! Et si les uns ou les autres vous disaient qu'ils aiment la gloire, concluriezvous de ce discours qu'ils la mettent à se trouver à ce beau rendez-vous, à détruire ainsi et anéantir leur propre espèce ? ou, après l'avoir conclu, ne ririez-vous pas de tout votre cœur de l'ingénuité de ces pauvres bêtes (2) ? »

Ces lignes, fort éloquentes, on ne peut le nier, ont sans doute inspiré à l'abbé de Saint-Pierre ses rêves de paix universelle (3), - utopie irréalisable, renouvelée de nos

(1) Caractères de Labruyère, t. I, chap. x, Du Souverain ou de la République, p. 350 et 351 de l'édit. Lefèvre. 1818, 2 vol. in-8. (2) Ibid., t. II, chap. xi, Des jugements, p. 60 et 61.

(3) « Bacon met au nombre des motifs légitimes de guerre celui d'étendre la civilisation et de tirer un peuple de la barbarie, et il a fait un traité exprès pour le soutenir. C'est un dialogue entre des interlocuteurs de différentes religions, et il fait l'honneur au catholicisme de lui donner à défendre la cause de la civilisation. » M. de Bonald Législation primitive, etc., 4e édition, 1847. Chap. xiv, De l'état de guerre. Note b du chap. xiv, ibid., p. 238.

jours à la veille de la guerre d'Orient, et qui a abouti on sait à quoi c'est-à-dire à tout le contraire de ce que se proposaient les partisans et les apôtres de la paix quand même.

Ils ne voyaient pas, qu'à toutes les époques, mais surtout aux époques de dissolution générale et de décadence, la guerre est le seul élément rénovateur et vraiment civilisateur qu'on puisse imaginer. Sait-on quels immenses résultats sortiront des dernières guerres? Peut-être ne les appréciera-t-on que dans quelques années, et ce sera beaucoup de progrès de la part de l'opinion publique, qui n'a reconnu que dans ces derniers temps, l'immense portée civilisatrice des croisades, encore méconnue, il y a moins de trente ans.

Il est donc vrai, aujourd'hui plus que jamais, que si nous marchons à la barbarie par les idées, nous marchons à la civilisation par les armes.

Telle était la pensée de M. de Bonald, lorsqu'il disait : «La guerre que se font entre elles les nations pour maintenir l'honneur de leur indépendance, ou l'intégrité de leur territoire, même celle qu'une nation peut faire à une autre pour étendre la civilisation, sont, comme les procès entre les familles, un état légitime, s'il est nécessaire, pour maintenir l'ordre général de la société ; légal, s'il est réglé par les lois propres à cette circonstance de la société (1).

« Les conquêtes qu'une nation peut faire dans une guerre commencée par des motifs légitimes et soutenue par des voies légales, et les indemnités qu'elle peut exiger, sont légitimement acquises, comme les dommages et les dépens que les tribunaux accordent à une partie contre

(1) Législation primitive, etc., 4o édition, 1847, chap. xiv, De l'état: de guerre, p. 177 et 178.

l'autre dans les affaires civiles (1). .

« Les lois de la guerre, qui ne sont que les lois naturelles de l'humanité appliquées à cet état particulier des nations, interdisent de faire aucun mal aux hommes dont il ne puisse pas résulter un plus grand avantage pour la nation que le droit de la guerre autorise à le faire; elles défendent d'aggraver les maux de la nature, et de détruire l'homme lorsqu'on l'a mis hors d'état de nuire..... De là l'obligation à toute puissance en état de guerre de nourrir les prisonniers, de faire panser les blessés, etc. De là enfin ces procédés en pleine guerre, et même au milieu des combats, qui n'ont été connus que des peuples chrétiens, et où la générosité va souvent plus loin que les lois mêmes de l'humanité (2). »

:

C'est ce que l'on a vu notamment dans la dernière guerre d'Orient les armes françaises ont fait moins que l'humanité de nos soldats et surtout l'exemple du dévouement héroïque des aumôniers et des religieuses, qui soutenaient le courage du soldat et exerçaient toutes les vertus qui font le plus d'honneur à l'homme.

Il faut donc avouer que Labruyère n'a pas plus compris le vrai but de la guerre, que l'abbé de Saint-Pierre, et que tous deux se sont profondément trompés avec leurs rêves de paix perpétuelle.

(1) Législation primitive, ibid., p. 178.

(2) Ibid., p. 179. « Les guerriers d'Homère se prodiguent l'insulte avant le combat, et l'injure après la victoire. Les Romains faisaient passer au fil de l'épée des villes et des armées entières. Le christianisme a fait disparaître toutes ces horreurs de l'état de guerre, car ce ne sont pas des guerriers qui ont détruit à la Nouvelle-Espagne les malheureux Indiens; ce sont des marchands.» (Note g du chap. xiv, p. 239.)

Note B, page 227.

« Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau qui, répandu sur une colline vers le déclin d'un beau jour, paît tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute dans une prairie une herbe menue et tendre qui a échappé à la faux du moissonneur, le berger soigneux et attentif est debout auprès de ses brebis; il ne les perd pas de vue, il les suit, il les conduit, il les change de pâturage: si elles se dispersent, il les rassemble; si un loup avide paraît, il lâche son chien qui les met en fuite; il les nourrit, il les défend; l'aurore le trouve déjà en pleine campagne, d'où il ne se retire qu'avec le soleil : quels soins! quelle vigilance! quelle servitude! quelle condition vous paraît la plus délicieuse et la plus libre, ou du berger ou des brebis. Le troupeau est-il fait pour le berger ou le berger pour le troupeau! image naïve des peuples et du prince qui les gouverne, s'il est bon prince (1). »

Dans cette belle page de Labruyère, le bonheur de l'expression égale la vérité de la pensée.

M. de Bonald, avec sa concision ordinaire, a dit :

« Qu'est-ce que l'état de roi? Le devoir de gouverner. Qu'est-ce que l'état de sujet? Le droit d'être gouverné. Un sujet a droit à être gouverné, comme un enfant à être nourri. C'est dans ce sens que « les peuples ont des droits, et les rois des devoirs (2). »

Note C, page 230.

« Il y a un commerce ou un retour de devoirs du sou

(1) Labruyère, Caractères, édit. Lefèvre, t. I, chap. x, Du Souverain, etc., p. 372.

(2) Pensées, p. 285.

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