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L'ESPRIT

DU COMTE JOSEPH DE MAISTRE

ESSAI

SUR LA VIE ET LES ÉCRITS DE J. DE MAISTRE (1).

I

Le comte Joseph-Marie de Maistre naquit à Chambéry le 1er avril 1754: son père, le comte François-Xavier de Maistre, était président du sénat de Savoie et conservateur des apanages des princes.

(1) Il existe, à ma connaissance, six notices sur M. de Maistre : la première parut en 1821 dans le Journal de Savoie (no x1), p. 97-101; la seconde, dans la Minerve littéraire, tome II, p. 319-322; la troisième a pour auteur Raymond, secrétaire de l'Académie de Chambéry: lu dans la séance de l'Académie royale des Sciences de Turin, cet éloge historique, précieux pour les renseignements biographiques, fut imprimé à Chambéry, en 1827; la quatrième, dans Michaud : Biographie universelle, supplément, est de M. Royé (R-é); la cinquième, dans Feller Biographie universelle; et la sixième est de M. le comte Rodolphe, fils de M. de Maistre : elle est en tête du premier volume des Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre, p. 1-22 de la 2e édit. in-18 (1853).

Mon Essai, pour lequel j'ai puisé aux sources précitées, est le travail

Cette famille ancienne et distinguée par sa noblesse et les services rendus à la patrie, est originaire du Languedoc; on trouve son nom répété plusieurs fois dans la liste des anciens capitouls de Toulouse. Au commencement du dix-septième siècle, elle se divisa en deux branches, dont l'une vint s'établir en Piémont ; c'est celle dont l'illustre comte de Maistre descend; l'autre demeura en France. « Le comte Joseph de Maistre attachait beaucoup de prix à ses relations de parenté avec la branche française; il eut soin de les cultiver constamment, et aujourd'hui même les descendants actuels des deux branches sont unis par les liens d'affections autant que par leur communauté de principes et d'origine (1). »

-

M. de Maistre était heureux et fier de son origine française, et, plus d'une fois, soit dans ses lettres, soit dans ses ouvrages, il y revient avec une insistance toute particulière. « Je suis, — écrivait-il en 1819,- sans «< contredit l'étranger le plus Français et le plus attaché « à la légitimité française. Je crois l'avoir bien prou« vé (2) ! » Dans une autre lettre à M. de Bonald, il lui dit : « Je vous ai trouvé excessivement Français dans quel

ie plus complet et le plus intéressant qu'on puisse espérer sur la vie et les écrits de M. de Maistre, puisque c'est aux Lettres mêmes de ce beau génie que j'ai demandé les éléments de cette notice, où M. de Maistre raconte, pour ainsi dire, sa vie tout entière. Je suis ainsi parvenu à donner une véritable autobiographie, pour me servir d'un procédé et d'un mot empruntés aux écrivains littéraires d'outreManche.

Dans mon Essai, M. de Maistre est peint par lui-même.

(1) Notice biographique, par le comte Rodolphe; page 1, note 1. (2) Lettre à M. de Bonald, du 22 mars 1819, p. 510 du t. I des Lettres et opuscules inédits.

«ques-unes de vos pensées. On vous blâmera ; mais «< pour moi, je vous pardonne. Je le suis bien, moi qui « ne le suis pas (1)... Buffon,... qui était... un très« grand écrivain, a dit (2),... que le style est tout « l'homme. On pourrait dire aussi qu'une nation n'est « qu'une langue. Voilà pourquoi la nature a naturalisé <«< ma famille chez vous, en faisant entrer la langue << française jusque dans la moelle de nos os. Savez-vous <«< bien... qu'en fait de préjugés sur ce point, je ne le <«< céderais pas à vous-même. — Riez, si vous voulez; <«< mais il ne me vient pas seulement en tête qu'on puisse «< être éloquent dans une autre langue autant qu'en <«< français (3). »;

Cet amour de prédilection pour la France, M. de Maistre le reportait encore et surtout à l'antique race des Bourbons. « C'est disait-il, la maison à la« quelle je suis le plus attaché après celle à laquelle je «< dois tout (4). »

Peut-on être plus Français ? et n'ai-je-pas raison de

(1) Tout ce qu'on trouvera souligné ou en italiques dans les nombreuses citations des Lettres et autres ouvrages de M. de Maistre, dont cet Essai est émaillé, est ainsi dans M. de Maistre même. L'emploi des caractères italiques indique, de sa part, soit l'insistance sur telle ou telle proposition, ou bien fait allusion à une pensée déjà émise par lui, ou bien enfin, et cela arrive fréquemment, marque une citation d'auteur sérieux ou comique. M. de Maistre cite tout, depuis Bossuet jusqu'à Dorvigny. - Pour les allusions à Jeannot, désopilante parade de Dorvigny, voir les Lettres de M. de Maistre, p. 89, 238 et 301 du t. I. — Tout trait lui est bon comme Molière, il prend son bien où il le trouve.

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(2) Dans son discours à l'Académie.

(3) Lettre à M. de Bonald, du 15 novembre 1817, p. 479 du t. I des Lettres et opuscules inédits.

(4) Lettre à la baronne de Pont, juillet 1804, p. 46, du t. I des Lettres.

revendiquer M. de Maistre comme un de nos plus beaux génies, un de nos écrivains nationaux ?

Le comte de Maistre était l'aîné de dix enfants : cinq filles et cinq garçons, dont trois ont suivi la carrière des armes; un entra dans les ordres, et depuis fut évêque d'Aoste. Quant au comte Joseph - sujet de cet essai biographique, -il suivit l'état de son père dans la magistrature; il s'adonna à l'étude dès sa plus tendre enfance, avec un goût marqué, sous la direction des Jésuites, pour lesquels il a toujours conservé la plus reconnaissante affection et la plus haute estime (1). « Mon grand-père, disait-il, — aimait les Jésuites, « mon père les aimait, ma sublime mère les ai<«< mait, je les aime, mon fils (2) les aime, son fils les aimera (3). >>

Le père de M. de Maistre jouissait d'une réputation très-grande dans la magistrature de Savoie; à sa mort, le sénat crut devoir annoncer au roi la perte qu'il venait de faire par un message solennel, auquel le monarque répondit par un billet royal de condoléance, comme dans une calamité publique.

La mère de l'auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg, Christine de Motz, fille d'un gentilhomme du Bugey, le sénateur Joseph de Motz, prit un soin tout particulier de la première éducation de ce fils, qui devait être un jour si célèbre. Cette femme d'une haute distinction, avait su gagner de bonne heure le cœur et l'esprit de son fils, et exercer sur lui la sainte influence maternelle.

(1) Notice par le comte Rodolphe, p. 1.

(2) Le comte Rodolphe.

(3) Lettre à M. de R.., 1816, p. 433 du t. I.

Rien n'égalait la vénération et l'amour du comte de Maistre pour sa mère. Il avait coutume de dire: << Ma << mère était un ange à qui Dieu avait prêté un corps; «< mon bonheur était de deviner ce qu'elle désirait de « moi, et j'étais dans ses mains autant que la plus jeune « de mes sœurs (1). »

Plus tard, loin de sa femme et de ses enfants, M. de Maistre, dans ses heures de mélancolie, mêlait au souvenir de sa famille absente celui non moins doux et non moins cher de sa mère. « A six cents lieues de distance, « les idées de famille, les souvenirs de l'enfance me ra<< vissent de tristesse. Je vois ma mère qui se promène <<< dans ma chambre avec sa figure sainte, et en écrivant «< ceci je pleure comme un enfant (2). »

En développant le cœur de son enfant, madame de Maistre ne négligea rien pour orner son esprit : la magnifique poésie de Racine lui fut révélée par cette noble femme « Je ne comprenais pas Racine lorsque ma « mère venait le répéter sur mon lit, et qu'elle m'en<< dormait, avec sa belle voix, au son de cette incompa«rable musique. J'en savais des centaines de vers long<< temps avant de savoir lire; et c'est ainsi que mes <«< oreilles, ayant bu de bonne heure cette ambroisie, << n'ont jamais pu souffrir la piquette (3). »

Le trait principal de l'enfance du comte de Maistre, fut une soumission amoureuse pour ses parents. Présents ou absents, leur moindre désir était pour lui une

(1) Notice par le comte Rodolphe, p. 2.

(2) Lettres au chevalier de Maistre, 14 février 1805, p. 66 du t. I des Lettres.

(3) Lettre à mademoiselle Adèle de Maistre, 1805, p. 57 du t. 1 des Lettres.

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