Page images
PDF
EPUB

Quel est l'effet des droits d'entrée mis sur les marchandises étrangères? D'entraver les échanges.

Comment arrive-t-il que les mêmes hommes fassent, au même moment, deux choses dont les effets sont aussi complètement opposés?

Vous dépensez quarante et cinquante millions pour percer un tunnel à travers les Alpes, et aux deux issues de ce tunnel, vous, Italiens, et vous, Français, vous placez un douanier qui, par les taxes qu'il prélève, détruit en grande partie l'utilité de cette merveille de la science de l'ingénieur. Quel inexplicable contradiction!

:

Un protectionniste conséquent devrait demander la destruction des machines; car machines et libre. échange ont exactement le même effet ils diminuent le travail nécessaire pour obtenir un produit. Grâce à la machine, j'obtiens le charbon à moindres frais; grâce à l'étranger, je puis aussi l'avoir à meilleur compte le résultat est identiquement le même.

Repoussez-vous l'étranger, brisez donc aussi la machine. Des deux façons, il faudra plus d'efforts pour se procurer même quantité de charbon.

Le capital se dirige spontanément vers l'emploi le plus lucratif. La protection le détourne vers un emploi moins lucratif, en faisant payer la différence par une taxe levée sur les consommateurs. La production est diminuée d'autant.

Un dernier argument est invoqué par les protectionnistes. Pour les objets de première nécessité, disent-ils, le blé et le fer, par exemple, un pays ne peut dépendre de l'étranger; car, en cas de guerre, il ne pourrait plus ni se nourrir, ni se défendre.

Réponse : Il n'est pas d'exemple qu'un peuple, en temps de guerre, ait manqué des choses nécessaires. Aujourd'hui, cela est encore moins à craindre qu'autrefois d'abord à cause des chemins de fer qui facilitent le ravitaillement; en second lieu, parce que le traité de Paris de 1854 a admis que les navires neutres peuvent continuer à transporter les marchandises des belligérants.

Le blocus hermétique d'un État est donc devenu plus impossible que jamais.

N'est-il pas insensé de s'infliger un dommage per manent et certain, pour en éviter un autre éloigné et plus qu'improbable?

§ 2. La balance du commerce.

La balance du commerce est la comparaison qu'établit un pays entre ses exportations et ses importations. Quand le total des exportations dépasse celui des importations, la balance est dite favorable, parce que la différence, croyait-on, doit être soldée en numéraire par l'étranger; dans le cas contraire, elle est dite défavorable, parce que le pays doit payer l'excédent de ses importations, au moyen de métaux précieux.

Ce calcul, a-t-on dit; est erronné. En effet, j'exporte pour un million de marchandises, et la douane en constate la sortie. Mais le navire qui les porte périt; je ne puis donc rien acheter en retour; excédant des importa tions un million. Cependant le pays est appauvri d'autant. Au contraire, mes marchandises, arrivées

à destination, sont vendues un million et demi, et je les emploie à acheter d'autres marchandises, qui, importées chez nous, me donnent un nouveau bénéfice. La douane constate la sortie d'un million et l'entrée d'un million et demi balance défavorable, un demi-million. Et pourtant le demi-million est exactement ce dont le pays s'est enrichi.

Les faits, ajoute-t-on, corroborent ces exemples, car les pays les plus riches ont des excédents d'importation : par exemple, l'Angleterre pour plus de deux milliards, la France, en ces dernières années, pour un milliard.

En 1880, l'Angleterre a importé pour trois milliards et demi de plus qu'elle n'a exporté, qui proviennent, estime-t-on deux milliards, de ses bénéfices sur fret, assurances, et profits des marchands, et un milliard et demi, de l'intérêt des capitaux placés à l'étranger.

Cependant, à mon avis, tout n'était pas erreur dans l'ancienne doctrine de la balance du commerce. Maintenant encore, les hommes d'affaires suivent d'un œil attentif et parfois anxieux, les fluctuations de la balance. En effet, si la balance habituelle des exportations et des importations vient à être dérangée, par exemple, quand il faut payer le grain nécessaire pour combler le vide laissé par une mauvaise récolte, cet excédent d'importation doit être soldé au moyen du numéraire. La monnaie, moyen des échanges et base du crédit, devient rare, et il en résulte une gêne ou une crise.

§ 3. Ce que les libre échangistes n'ont pas vu.

Supprimer du travail, et non l'accroître, tel est le but. Le libre échange l'atteint comme la machine. Donc tous deux sont un bien : rien n'est plus évident.

Mais il est des hommes qui vivent uniquement du travail. Le supprimez-vous, ils n'ont plus qu'à disparaître.

Le libre échange, comme la machine, peut donc imposer un déplacement aux travailleurs, car ils doivent quitter la place où la douane leur imposait un travail stérile, pour se rendre là où, avec moins d'efforts, ils obtiendront plus de produits.

C'est ce qui a eu lieu, en France, quand la Révolution de 1789 a abattu les douanes intérieures qui séparaient les anciennes provinces.

Abolissez les douanes qui séparent aujourd'hui les différents États, et le même fait peut se reproduire.

Le déplacement opéré, les hommes seront partout mieux pourvus, car leur travail sera plus productif, mais ils seront peut-être autrement distribués, ce qui ne se fera pas sans souffrances.

La conclusion est celle-ci : Ne faites pas naître, par un monopole légal, des ouvriers là où la nature ne leur aurait pas accordé une rémunération suffisante. Mais, quand ils existent, réformez vos tarifs avec prudence et prévoyance.

§ 4. Le système de la protection temporaire.

Nul n'a mieux exposé ce système qu'un économiste allemand, Friedrich List', l'initiateur de l'Union douanière allemande (Zollverein), d'où est sortie l'unité politique de l'Allemagne.

Le but final, dit-il, est le libre échange universel; mais, pour qu'il apporte à chaque État, et par conséquent au genre humain, le plus d'avantages possible, il faut que chaque peuple tire le meilleur parti de ses ressources naturelles.

Un pays exclusivement agricole est nécessairement arriéré voyez la Pologne d'autrefois.

Sans doute il est mauvais que le privilège fasse naître des industries artificielles, mais bien des industries naturelles à une contrée ne s'y développeront pas, si au début elles ne sont pas protégées. La meilleure voie pour arriver au libre échange et pour en tirer le meilleur profit est donc la protection temporaire.

Adam Smith et Stuart Mill ont émis la même opinion. Je n'en admets ni les motifs, ni la conclusion.

Un pays agricole n'est pas nécessairement arriéré. Si la Pologne l'a été autrefois, ainsi que le prétend List, c'est parce qu'une aristocratie frivole, disposant du revenu net, l'a employé à s'amuser, et n'a rien fait

1. Friedrich List, né en 1789, à Reutlingen, dans le Wurtemberg, mort en 1846. Son principal ouvrage est intitulé: Das national System der politischen OEconomie; il a été traduit en français par Henr Richelot. L'idée fondamentale est que les conclusions économiques doivent tenir compte de l'existence des nations indépendantes.

« PreviousContinue »