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gagne, et plus ils gagnent, plus il y a d'acheteurs. La pluie d'or tombe sur tous. Mais, à la moindre hésitation, la baisse se précipite, et tout s'écroule.

Ce magnifique édifice était une fata Morgana, créée par le crédit. Le mirage disparaît. Rien de réel n'est anéanti, mais il s'est fait de grands déplacements de richesse. Les habiles sont enrichis et les confiants ruinés.

CHAPITRE VI.

LE LIBRE ÉCHANGE ET LA PROTECTION.

1. La liberté du commerce.

Colbert, demandant à un négociant quel était le meilleur moyen de favoriser le commerce, celui-ci répondit: Laissez faire ; laissez passer.

Ce mot, répété par Gournay1, est devenu le mot d'ordre des partisans du commerce libre, qu'on appelle maintenant le libre échange:

Quoi de plus naturel, en effet, que de permettre à chacun d'acheter et de vendre où il peut le faire le plus avantageusement, soit dans le pays, soit hors du pays.

Qu'un État mette des droits de douane à l'entrée de certaines marchandises étrangères, pour s'en faire un revenu, passe encore, quoique ce soit là un mauvais impôt; mais qu'on établisse de ces droits sous prétexte

1. Jacques-Vincent de Gournay, né en 1712, mort en 1759, « mérite la reconnaissance de la nation, dit Turgot, dans son Éloge, pour avoir contribué plus que personne à tourner les esprits du côté des connaissances économiques. » Ses idées ne nous sont connues que par le résumé qu'en ont publié ses admirateurs.

de protéger l'industrie nationale, c'est une mesure inique, et contraire à l'intérêt général.

En forçant les consommateurs à acheter, aux industriels protégés, plus cher qu'ils pourraient le faire au dehors, on impose aux premiers une taxe au profit des seconds, ce qui n'est pas juste. C'est en cela que consiste le système de la « protection ».

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Mais c'est, dit-on, pour favoriser le travail et par conséquent les travailleurs. Il y a là deux erreurs. Première erreur. Le but de l'économie n'est pas d'augmenter, mais de diminuer le travail. Si je puis obtenir un mètre de toile de l'étranger moyennant une journée de travail, c'est aller contre le but que de me forcer à en dépenser deux.

Pousser à accroître le travail, sans augmenter le produit, c'est ce que Bastiat1 appelle, avec raison, du sisyphisme, car c'est astreindre l'humanité à un effort sans résultat utile, à l'exemple de Sisyphe, condamné à rouler vers le sommet d'une montagne, un rocher qui retombe toujours. Ce qu'il faut poursuivre, c'est la multiplication des biens et la diminution des efforts.

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Seconde erreur. Ce n'est pas rendre service, c'est nuire aux ouvriers, que de les pousser dans les ateliers de la grande industrie, de par la loi et malgré la nature.

Voyez l'Italie maintenant. Quelle pitié que la douane soit venue arracher ouvriers et ouvrières au travail en plein air, en ce beau pays et sous ce doux climat, pour

1. Frédéric Bastiat, né en 1801, mort en 1850, est l'auteur d'un grand nombre d'écrits sur l'économie politique, dont le principal est intitulé Harmonies économiques Il n'a pas découvert de principes nouveaux, et ila même obscurci certaines notions déjà élucidées; mais, par la clarté et le tour piquant de son style, il a beaucoup contribué à répandre les connaissances économiques.

les alteler, douze et quatorze heures durant, dans de tristes ateliers, au mouvement uniforme des machines.

Le libre échange appliquant aux peuples le principe de la division du travail leur en assure tous les bienfaits. Il accroît ainsi considérablement leur bien-être.

Si, dans une famille, chacun s'emploie à faire ce qu'il fait le mieux, il est clair que le produit total et, par suite, la part de chacun seront aussi grands que possible. Sichacun, au contraire, est forcé, par des restrictions législatives, de consacrer une partie de son temps à un travail pour lequel il n'est pas doué, tous et chacun seront plus mal pourvus.

Appliquez ceci aux nations. Que chacune d'elles consacre ses forces aux travaux que la nature favorise spécialement, et elle apportera à l'échange le plus de produits obtenus avec le moins d'efforts possible, et il s'ensuivra que le bien-être de l'humanité sera accru, en proportion de l'accroissement de productivité du travail de chaque pays.

Un homme qui, voulant se suffire à lui-même, s'efforcerait de confectionner tout ce dont il a besoin, aliments, souliers, habits, meubles et livres, serait évidemment bien mal avisé. Une nation qui l'imiterait serait-elle plus sage?

Si mon terrain, qui est sablonneux, est meilleur pour le seigle que pour le froment, le moyen le moins onéreux d'obtenir du froment n'est pas de le cultiver moimême, mais de le demander, en échange de mon seigle, à ceux qui ont des terres argileuses. Cette vérité si évidente montre l'absurdité du système protecteur qui m'obligerait, quand même, à cultiver du froment sur du sable.

Mais, disent encore les partisans de la protection, l'étranger nous inondera de ses produits. Crainte vaine : l'étranger ne donnera pas ses marchandises pour rien. En payement des siennes, il voudra avoir les nôtres. Le commerce est toujours un échange de produits contre produits. Autant il en entre, autant il en sort. En entre t-il plus qu'il n'en sort, tant mieux: parce que l'étranger nous paye un tribut, et que nous pourrons consommer davantage. En sort-il plus qu'il n'en entre, tant pis: parce qu'alors c'est nous qui payons le tribut.

Nous touchons ici à une question difficile : la balance du commerce. Nous la traiterons dans un paragraphe ultérieur.

Les protectionistes veulent vendre beaucoup et acheter peu, afin que l'étranger soit forcé de payer l'excédent de ses achats en numéraire. Quelle contradiction dans ces visées! Comment les différents pays, échangeant les uns avec les autres, peuvent-ils toujours vendre plus qu'ils n'achètent? C'est évidemment impossible.

La cause principale du progrès en industrie, c'est, nous l'avons vu, la concurrence des industriels, chacun d'eux s'efforçant de fabriquer mieux et surtout à meilleur marché, afin d'accaparer la clientèle. Plus généralement vous appliquez la concurrence, plus le profit sera grand pour tous. Par conséquent ne la limitez pas dans les frontières d'un État; étendez-la de pays à pays.

Le monopole engendre l'inertie, et la protection, la routine. Au contraire, l'industriel, forcé de tout perfectionner, conquerra le marché du monde, en voulant conserver le marché national.

Quel est l'effet d'un chemin de fer reliant deux pays? De faciliter entre eux les échanges.

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