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métiers et des fonctions. Elle est donc le lien de la société humaine.

§ 2. Différentes espèces de monnaie.

Des objets de toute sorte ont été employés comme monnaie des fourrures en Sibérie, des cubes de sel, des coupons de coton bleu ou des coquillages (cauris) en Afrique, du fer à Sparte; jadis, presque partout, des têtes de bétail.

Dans le Rig-Veda, dans le Zend-Avesta, dans Homère, les objets sont estimés en têtes de bœufs. Les armes de Diomède valent neuf bœufs, et celles de Glaucos cent (Iliade, VI, 234). Le tripode donné en prix aux lutteurs dans le chant XXIII de l'Iliade est estimé douze bœufs, et une esclave, habile ouvrière, quatre (Gladstone, Juventus mundi, p. 554). Les tributs que les Francs vainqueurs imposaient aux Saxons étaient comptés en bœufs. Notre mot « pécuniaire » (pecunia) vient de pecus « bétail,», de même que le mot « pécule » petit trésor1. Le mot anglais fee (feoh en saxon) signifie « rétribution »; le mot scandinave fä « richesse » est identique. Le mot grec xua signifie « propriété » et « troupeau »; le mot gothique Skatts, à la fois « trésor » et « troupeau »; Schatz, en allemand, « trésor »; Sket, en frison, « bétail ». En hébreu, kassaph signifie « mouton » et « mon

1. « Il n'est pas étrange, dit le commentateur Festus, que ces mots d'usage si fréquent dérivent du bétail. Chez les anciens, c'est en bétail principalement que consistaient les richesses et les patrimoines, de telle façon que nous disons encore pecunia, peculium. »

naie »; ganal, « chameau » et « rétribution » ; Miknèh, de la racine kana « créer, » troupeau et acquisition ou prix d'achat. Le sanscrit rupya (roupie, monnaie de l'Inde) dérive de rûpa « bétail ».

La monnaie en métal a été employée d'abord comme représentant la monnaie en bétail, car nous voyons, dans l'Agamemnon d'Eschyle, que les pièces portaient l'empreinte d'un bœuf. Il en était de même pour l'as romain.

Lorsque, à mesure des progrès de la civilisation, les échanges sont devenus plus fréquents, les monnaies ont été faites exclusivement en or et en argent. L'emploi simultané universel de ces deux métaux provient de ce qu'ils possèdent, plus que toute autre substance, les qualités que doit réunir une bonne monnaie. Ces qualités sont les suivantes :

1° L'or et l'argent se conservent parfaitement sans se détériorer. Monnayé, fondu, remonnayé, l'or recueilli par les Grecs et les Romains circule encore, en partie, parmi nous.

2o La production des métaux précieux est restreinte par la rareté des minerais. Il s'ensuit qu'ils ont une grande valeur relativement à leur poids, ce qui facilite leur maniement, leur transport et leur thésaurisation.

3o Augmentée par la production annuelle, diminuée par les pertes accidentelles et l'usure, la masse des métaux précieux, dont la valeur tant en monnaie qu'en objets d'ornement, est estimée environ 50 milliards, s'accroît lentement, presque dans la même proportion que l'accroissement des besoins monétaires résultant de l'augmentation de la population et du total des échanges dans le monde. L'offre et la demande se fai

sant ainsi à peu près équilibre, leur valeur reste très stable.

4o Cette masse de métaux précieux amortit les variations de valeur qui pourraient résulter des variations dans la production annuelle, de même que le niveau des eaux d'un grand lac est peu influencé par les changements de débit des rivières qui s'y jettent.

5o Les métaux précieux sont recherchés et acceptés par tous, ce qui est la qualité indispensable d'un objet qui doit servir de moyen général d'échange. Ils sont reçus dans tous les pays civilisés. Ils peuvent donc servir de moyen de payement universel.

6o Ils sont facilement divisibles, et chaque partie a une valeur proportionnée à son poids.

7° Ils reçoivent et conservent parfaitement l'empreinte qui fait connaître leur origine, leur valeur nominale, et ainsi leur poids en métal fin.

8° Ils sont facilement reconnaissables : l'or, par son poids; l'argent, par le son.

De toutes les qualités de la monnaie, la plus essentielle est la stabilité de la valeur, parce qu'un changement dans sa valeur affecte tous les contrats.

§ 3. Valeur de la monnaie.

La valeur de la monnaie se mesure par la quantité d'objets qu'elle procure, c'est-à-dire par sa puissance d'acquisition.

Au moyen âge, on achetait un hectolitre de blé avec l'argent fin contenu dans cinq de nos francs. Aujour d'hui on n'en obtient que le quart. L'argent ne vaut

donc plus que le quart de ce qu'il valait avant la découverte de l'Amérique.

La valeur des métaux précieux a tant diminué, malgré l'énorme accroissement de leur emploi, parce que leur masse et leur production annuelle ont considérablement augmenté.

On estime la masse d'or et d'argent, existant en Europe, en l'an 1500, à deux milliards, et leur production annuelle, à environ vingt-cinq millions. La masse actuelle doit être maintenant de 50 à 60 milliards dans le monde entier, et la production annuelle, de 900 millions environ.

La valeur de la monnaie dépend, comme celle de tout autre objet, du rapport entre l'offre et la demande.

L'offre résulte de la quantité de monnaie qui circule et de la rapidité de la circulation. Si chaque franc opère trois achats en un jour, il faudra trois fois moins de francs pour effectuer une même quantité d'échanges que si ce franc ne changeait de mains qu'une fois. L'offre et l'action utile d'une mème masse de monnaie seront ainsi triplées.

La demande de la monnaie résulte de la quantité d'échanges à accomplir au moyen du numéraire. L'offre de la monnaie augmente-t-elle plus que la demande, sa váleur diminue, et les prix haussent.

La demande de la monnaie, c'est-à-dire la quantité des échanges réclamant un payement en numéraire, augmente-t-elle plus que la quantité de la monnaie en circulation, la valeur de la monnaie s'élève et les prix baissent.

La quantité de la monnaie et la quantité des échanges augmentent-elles parallèlement, mais parvient-on, en

même temps, à accomplir certaines transactions sans recourir au numéraire, son emploi diminue, l'offre en augmente, les prix haussent.

Les objets d'ornement en or et en argent n'agissent pas sur les prix comme offre, mais comme demande de monnaie; car, pour vendre et acheter ces objets, il faut du numéraire.

Les métaux précieux en lingots n'agissent sur les prix que quand ils sont représentés par des billets remplissant les fonctions de la monnaie.

Le coût de production des métaux précieux n'agit sur leur valeur que dans la mesure où il contribue à en modifier la quantité et par conséquent l'offre.

§ 4. L'abondance de la monnaie est-elle un avantage?

Il n'y a aucun avantage pour l'humanité ou pour un pays isolé à posséder beaucoup de monnaie.

On peut accomplir autant d'échanges avec peu qu'avec beaucoup de monnaie, parce que, les prix diminuant en proportion de la diminution de la quantité du numéraire, l'unité monétaire échangera d'autant plus d'objets qu'elle est plus rare et qu'ainsi elle a plus de valeur.

Supposez que l'humanité possède deux fois plus de monnaie qu'aujourd'hui. Elle n'en sera pas plus riche; car elle n'aura pas plus de choses utiles, ni de jouissances réelles. La situation de chacun sera ce qu'elle était auparavant. Seulement, toutes choses restant les mêmes, les prix auront doublé : on payera deux francs ce qu'on payait un franc, et tous les biens seront évalués

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