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que Stuart Mill appelle l'état stationnaire, et il y voit un état heureux pour l'humanité, qui n'est pas faite, dit-il, pour se consumer toujours dans la poursuite de l'argent. Il a raison. La vie véritablement digne de nos hautes destinées est celle du citoyen d'Athènes contemporain de Socrate, s'occupant de philosophie, d'art et de la chose publique, à condition toutefois que la moitié de la journée soit consacrée à un travail productif.

Quelle est la limite extrême de la baisse de l'intérêt? C'est celle où la rémunération de l'épargne serait insuffisante pour faire renoncer à la consommation immédiate de la richesse produite. Quand cent francs économisés ne rapporteront plus que cinquante centimes, le nombre de ceux qui épargneront diminuera beaucoup.

N'oublions pas cependant que le souci de l'avenir est souvent assez grand pour porter à thésauriser de l'argent dans un coffre, où il ne rapportera rien du

tout.

Lorsque la rémunération des capitaux ne suffira plus pour engager à en créer de nouveaux, c'est que l'humanité aura à sa disposition tous les moyens de production nécessaires; et, à condition de bien entretenir ceux-ci, elle pourra alors consacrer, chaque année, à des jouissances immédiates, tout ce que le travail produira. Ce temps est encore éloigné.

§3. La légitimité de l'intérêt et les lois contre l'usure.

Le sentiment moral, dans toute l'antiquité, Aristote, les Pères de l'Église et le droit ecclésiastique ont con

damné tout intérêt dans les termes les plus sévères, comme un vol et même comme un homicide. Caton dit Majores ita in legibus posuerunt furem dupli condemnari, feneratorem quadrupli; « Les lois denos ancêtres condamnaient le voleur à restituer le double, et le prêteur à intérêt, le quadruple ». On disait encore à Rome : Quid est fenerari? Quid est hominem occidere? « Qu'est-ce que prêter à intérêt? Qu'est-ce que tuer un homme? >>

Cette condamnation était dictée, d'abord, par une erreur sur la nature du capital, ensuite, par la vue des maux qui résultaient du prêt à intérêt.

Erreur sur la nature du capital. On croyait que le capital était uniquement de l'argent, lequel est stérile. « L'intérêt, dit Aristote, est de la monnaie qui engendre de la monnaie, et c'est de toutes les acquisitions celle qui est le plus contre la nature. » (Livre I, chap. vII.) On retrouve la même idée à Rome: Nummus non parit nummum « Le numéraire n'engendre pas de numéraire ». En effet, une pièce de vingt francs n'aura pas, au bout d'un an, produit un franc pour en payer le loyer. On peut lire à ce sujet le traité de Bossuet sur l'Usure.

Les anciens étaient trompés par l'apparence. L'argent, en effet, ne produit rien, mais il n'est que le moyen d'arriver aux provisions, aux outils, aux machines, en un mot au capital, qui est, lui, essentiellement productif, puisque c'est grâce à lui que le travail produit tout. Comme le dit Bentham, répondant à Aristote, une darique d'or ne peut engendrer une autre darique, mais, avec cette pièce de monnaie, je puis acheter un bélier et une brebis qui me donneront des agneaux d'où naîtra un troupeau.

Dans l'antiquité, les maux causés par le prêt à intérêt le rendaient odieux, parce que c'étaient le plus souvent les malheureux qui empruntaient pour subsister, non pour tirer parti de l'emprunt. L'intérêt de la dette dévorait le capital. L'emprunteur était bientôt réduit à la misère et à la merci du créancier. C'est l'histoire des plébéiens à Rome.

Quand on lit la loi des Douze Tables, on comprend que, pour échapper à ses créanciers, le peuple fuie la cité et se réfugie sur le mont Sacré. Voici ce qu'elles portent à ce sujet :

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SI PLUS MINUSVE SECUERINT, SE ché, qu'ils (les créanciers) se le

FRAUDE ESTO.

partagent en morceaux; s'ils en coupent des parts plus ou moins grandes, qu'ils n'en soient pas responsables.

Chez les Israélites, le prêt à intérêt étant considéré comme un agent de ruine et de torture, il était interdit au Juif à l'égard d'un autre Juif, mais permis à l'égard de l'étranger.

Le droit canonique et les Pères de l'Église, en condamnant tout intérêt, ne faisaient que se conformer à l'idée de justice qui régnait à ce sujet en Grèce, à Rome et dans l'Ancien Testament.

L'analyse prouve que l'intérêt est à la fois juste et nécessaire.

Il est juste; car celui qui a créé un capital, une charrue, par exemple, doit être récompensé du sacrifice qu'il a fait en ne consommant pas, dans le loisir, les provisions qui l'ont nourri pendant qu'il fabriquait ce nouvel instrument de travail.

S'il prête sa charrue, celui qui l'empruntera obtiendra un plus grand produit. Serait-il équitable que celui-ci gardât pour lui tout cet accroissement du produit, dû à l'emploi de l'instrument perfectionné?

Celui qui le prête et celui qui l'emploie sont deux associés il est juste qu'ils partagent le bénéfice obtenu.

:

L'intérêt n'est que l'équivalent de l'utilité produite journellement par la chose dont on cède la jouissance.

L'intérêt est aussi nécessaire. S'il était interdit ou supprimé, nul n'épargnerait plus, que pour thésauriser; toutes les économies seraient mises dans des coffres, comme jadis; pourquoi risquer de les perdre sans profit? Peu de capital nouveau créé, et point de capital prêté, voilà quelle serait la situation.

Jadis, en tout pays, des lois contre l'usure défendaient l'intérêt considéré comme excessif, c'est-à-dire dépassant cinq ou six pour cent. Ces lois ont été abolies presque partout. On a bien fait. Elles étaient inutiles et même funestes à ceux qu'on voulait protéger. Inutiles, car le prêteur les éludait, en stipulant une

commission aux renouvellements de l'emprunt, rendus très fréquents; funestes, car elles augmentaient le risque de prêter. Elles avaient donc nécessairement pour effet d'élever le taux de l'intérêt.

§ 4. Comment l'abondance ou la rareté du numéraire agit sur le taux de l'intérêt

Ce que l'entrepreneur d'industrie désire avoir en location, ce n'est pas du numéraire, mais des provisions, des matières premières, des outils, des machines, tout ce qui, mis en œuvre par le travail, produit des choses utiles.

Toutefois, c'est par le numéraire ou par des titres de crédit reposant sur le numéraire, qu'on arrive à la possession de ces instruments de la production, et c'est sous forme de numéraire que les prêts s'effec

tuent.

Le numéraire est un agent de circulation qui fait passer les choses d'une main dans une autre.

Il s'ensuit que, si le numéraire est rare, ce moyen d'arriver au capital productif est plus difficile à obtenir et se fait payer plus cher.

Quand les navires manquent pour transporter les marchandises, le fret coûte davantage. De même, quand les véhicules monétaires font défaut, l'intérêt s'élève.

Seulement, à mesure qu'on apprend à faire passer la possession des objets d'une main dans une autre, par l'emploi des titres de crédit, l'influence de la rareté du numéraire métallique sur le taux de l'intérêt diminue.

En outre, si la rareté de la monnaie persiste, les

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