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population, sans jeter le trouble dans l'industrie, comme « l'exode » qui, après la famine de 1847; enleva à l'Irlande trois millions d'habitants sur huit.

L'émigration lente, comme celle qui fait sortir d'Allemagne cent ou deux cent mille personnes par an, n'a pas d'effet sur le salaire. Les naissances comblent les vides, et, l'offre des bras ne diminuant pas, le salaire n'augmente pas.

§ 8. Les corporations et les unions de métier.

Autrefois, les ouvriers d'un même métier formaient. une corporation fermée, où l'on n'était admis qu'après un long apprentissage et de sévères épreuves.

Ainsi, celui qui n'appartenait pas à la corporation des serruriers ne pouvait faire une serrure. Exécuter certains travaux était un privilège exclusif. On était libre de mourir de faim, non de gagner son pain comme on l'entendait.

Dans l'édit de 1776, Turgot dit : « Le droit de travailler est la propriété de tous, et la première, la plus imprescriptible de toutes. >>

Aujourd'hui les corporations ont disparu, mais les ouvriers affranchis, se trouvant faibles, parce qu'ils sont isolés, se sont de nouveau réunis par métier, toutefois dans aucun privilège exclusif.

Ces « Unions de métiers » comptent un nombre considérable de membres en Angleterre et en Amérique, où on les appelle Trade Unions. Au moyen d'un versement hebdomadaire, ils forment une caisse de secours, et ils s'assemblent, de temps à autre, pour délibérer et

agir en commun, afin d'élever leur salaire. Leurs armes sont la coalition et la grève.

§ 9. Les coalitions et les grèves.

Les ouvriers s'efforcent, de temps en temps, d'obtenir une augmentation de salaire, en se coalisant pour l'exi ger, et en refusant de travailler, c'est-à-dire en se mettant en grève, si on la leur refuse.

Les grèves sont fréquentes en Angleterre - 2352 en dix ans (1870-1879), parce que les ouvriers, associés en « Unions de métier » (Trade Unions), forment, au moyen d'un versement hebdomadaire, une caisse qui, à l'occasion, est employée à soutenir les « grévistes ».

La grève est organisée dans une manufacture : dans les autres, les ouvriers continuent à travailler et payent un salaire à ceux qui ne travaillent pas. A la fin, le patron est contraint de céder.

Pour ne pas être ainsi assiégés et réduits à merci, isolément, les maîtres répondent à la grève par le lock out, c'est-à-dire par la cessation complète du travail, ce qui force les ouvriers à se soumettre bientôt, faute de ressources pour continuer la lutte.

Ces grèves occasionnent de grandes souffrances, surtout aux ouvriers. Un statisticien anglais, B. Bevan, a calculé que 112 grèves ont coûté autant de millions en perte de salaires. Parfois, dans certaines localités, elles tuent une industrie.

Elles ne peuvent relever le salaire que quand les lois économiques le permettent, c'est-à-dire quand les profits sont grands. Mais plus souvent elles n'ont lieu

sur le continent que quand les industriels aux abois ne peuvent payer plus cher la main-d'œuvre sans se ruiner et, par suite, sans rendre pire encore la condition de ceux qu'ils emploient.

Pour éviter les grèves, on a maintenant recours, en Angleterre, à deux moyens :

1° L'arbitrage

maîtres et ouvriers exposent leurs raisons à un arbitre compétent, choisi d'un commun accord pour trancher le différend.

2o Le salaire est fixé d'après le prix de vente du produit. Exemple si le prix du fer monte ou baisse, le salaire des ouvriers qui le produisent s'élève ou diminue à proportion.

§ 10. L'augmentation du capital et la diffusion
de la propriété.

Les économistes disént: Le seul moyen d'améliorer la condition des travailleurs est d'augmenter le capital. L'augmentation du capital, si le nombre des ouvriers n'augmente pas, aura pour effet d'élever le salaire.

Rien n'est plus exact; mais cela ne suffit pas. L'accroissement du capital a un terme, et ce terme peut être atteint. On l'entrevoit déjà, sans que la rémunération du travail soit devenue suffisante.

Ce qu'il faut, c'est que le capital accru passe, en grande partie, aux mains des travailleurs eux-mêmes, avec le secours de bonnes lois, et par l'épargne.

Cruelle dérision, dira-t-on : vous préchez l'épargne à ceux qui, vous l'avouez, n'ont même pas le nécessaire. Ils n'ont pas le nécessaire, c'est vrai; et cependant

que d'argent ils dépensent pour un superflu qui leur est funeste, l'alcool et le tabac!

Si les ouvriers épargnaient seulement les sommes énormes qu'ils consacrent aux boissons alcooliques qui les abrutissent, en vingt ans ils pourraient acheter toutes les manufactures où ils travaillent. Ainsi c'est de la pratique de certaines vertus, prévoyance, sobriété et continence, que peut venir le salut.

§ 11. Du rapport entre l'augmentation des salaires
et l'accroissement de la population.

Si la population augmente plus rapidement que le capital, et surtout que les subsistances, aucune réforme ne peut améliorer définitivement le sort des classes les plus pauvres, car le partage même le plus équitable du produit n'attribuera à chacun qu'une rémunération insuffisante.

Stuart Mill a donc raison de dire qu'en économie politique la question de la population domine toutes les

autres.

CHAPITRE VII.

DE L'ACCROISSEMENT DE LA POPULATION.

Faut-il redouter l'augmentation de la population? Deux opinions opposées existent depuis longtemps sur ce sujet.

Dans les cités grecques, où l'espace était resserré, philosophes, politiques et législateurs pensaient que l'accroissement du nombre des citoyens était un mal auquel il fallait porter remède, même par des moyens qui nous font frémir.

les

A Rome, où les hommes manquaient, on honorait les familles nombreuses et l'on punissait le célibat. Au xvne et au xvIIe siècle, quand presque partout gouvernements despotiques dépeuplaient les campagnes, on croyait qu'il fallait, de toute façon, favoriser la multiplication de l'espèce humaine. « La population est toujours un bien, » dit Montesquieu. « Il n'y a pour un État pire disette que celle des hommes, » dit Rousseau. Quesnay, au contraire, disait : « Il est plus urgent de multiplier les subsistances que les hommes; » et la plupart des économistes pensent comme lui. Ils s'inquiètent des mariages trop prolifiques, parce qu'ils

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