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SOCIÉTÉ LIEGEOISE DE LITTÉRATURE WALLONNE.

CONCOURS DE 1862

RAPPORT DU JURY SUR LES CONCOURS No. 5, 6 ET 9.

MESSIEURS,

Relativement parlant, nos Concours de poésie ont réussi cette année. Au lieu des doléances que nous exprimions en 1861, vous allez entendre l'éloge mérité de quelques pièces dont le succès nous paraît assuré devant le public. Nos poëtes n'étaient qu'endormis ils se réveillent. Nous avons traversé une période intermédiaire, non pas toutefois une période d'inactivité, puisqu'on y a vu paraître, entr'autres, le beau travail lexicographique de MM. Dejardin et consorts, et le mémoire non moins remarquable de M. Stanislas Bormans, sur notre ancienne Corporation des Tanneurs. Mais la verve de nos joyeux chanteurs semblait refroidie; on eût dit l'esprit liégeois frappé tout d'un coup de stérilité. Attachons le plus grand prix aux savantes et curieuses re

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cherches, mais félicitons-nous de ne plus être forcés d'imiter les vieilllards, dont toutes les louanges ne s'adressent qu'au temps passé.

Un seul jury a été chargé cette année d'examiner toutes les compositions poétiques soumises à la Société. Vous avez trouvé un inconvénient à multiplier outre mesure le nombre des arbitres, et un avantage à introduire une certaine unité de vues dans l'appréciation d'œuvres différentes de nature, il est vrai, mais les unes comme les autres empreintes du sceau de notre génie local. Qu'il nous soit permis cependant de vous dire combien notre mission nous a paru délicate. Nous avons dû nous prémunir contre l'entraînement très-naturel, qui aurait pu nous porter à comparer entre elles les distinctions respectivement destinées à des morceaux dont les genres n'ont pas les mêmes exigences. Nous avons dû nous mettre en garde contre l'effet plus immédiat, plus saisissant et plus complet de telle production esquissée à grands traits, mais restée en fin de compte à l'état d'ébauche, en égard à telle autre délicatement ciselée, mais appartenant à un genre secondaire, où la finesse de l'exécution peut seule faire naître l'impression voulue. Mis en demeure de nous prononcer sur l'une et sur l'autre, nous l'avons été aussi de nous défier de nous-mêmes, en un mot de rapporter chaque morceau au type ou à l'étalon qui lui convient spécialement, s'il est permis de parler ainsi, plutôt que de nous laisser diriger par nos prédilections individuelles. Il est difficile sans doute de s'abstraire à ce point; mais puisque c'est à cette condition seulement que l'appréciation de plusieurs concours par les mêmes personnes peut être convenablement pratiquée, nous nous sommes préoccupés, aussi attentivement que possible, d'appliquer ces principes.

avec toute la rigueur désirable. Ainsi un premier prix obtenu dans un genre ne vaut peut-être pas plus qu'un accessit obtenu dans un autre genre, si ce dernier est plus difficile; il constate seulement que le lauréat a réalisé nos espérances, dans les limites du cadre où il s'est volontairement renfermé. Cela dit, entrons en matière, sans nous livrer à des considérations générales qui ne sauraient être, pour le moment, que des répétions inutiles.

Deux proverbes dramatiques ont été d'abord l'objet de nos discussions. Le premier, intitulé: Qui túse lon va lon, n'a guère d'heureux que son titre, quelques vers bien frappés, mais surtout le rhythme adopté par l'auteur. Il est écrit en vers de huit syllabes, innovation excellente, ou plutôt retour aux traditions les plus saines de l'art. Rien n'égale l'aisance et la liberté d'allures de ce vers gracieux, jamais compassé, jamais solennel et monotone comme l'alexandrin, rappelant l'iambe du théâtre antique et la coupe si franche des vieilles poésies françaises. Notre auteur le manie avec une facilité dont il doit se défier, parce qu'elle engendre une abondance stérile. Les mots courent, courent sans fin, emportés par sa plume légère; le charme de la cadence, la rapidité du mouvement lui font oublier les situations, les caractères de ses personnages, la suite même des pensées qu'il leur prête. Il y a donc un certain mérite de forme dans cette pièce émaillée de spots et de traits souvent heureux; quant au fond, nous regrettons d'avoir à le dire, c'est une des compositions les plus pauvres, dont nos rapports aient jamais fait mention. Elle ne supporte pas l'analyse. Le personnage principal, Lárgosse, celui qui túse lon, est tout simplement un coquin de bas étage, rampant, égoïste, odieux jusqu'à la fin, et sans véritable adresse, puisque les obstacles qu'il veut

vaincre s'évanouissent devant lui comme par enchantement. Orphelin recueilli par un oncle, lequel est tout disposé à quitter le rasoir et la savonnette, dès qu'il aura convolé en secondes noces avec une riche cotéresse, Lârgosse voudrait bien devenir Figaro à son tour. Mais Fifine, la fille du barbier amoureux, est fiancée de son côté à un certain Malton, sous les drapeaux pour le quart d'heure. Malton sera naturellement le cessionnaire de la boutique : c'est lui qu'il faut évincer. Mais comment faire, sinon lui souffler Fifine! Notez que Lârgosse ne tient pas à Fifine, mais à la boutique : vous voyez d'ici combien le spectateur, dûment prévenu par l'intéressé, se passionnera pour le succès de ses manoeuvres. Lârgosse flatte le barbier, il flatte les uns et les autres; mais tout est encore incertain, lorsque Malton arrive à point nommé pour être chassé honteusement par l'intrigant, à qui tout le monde vient prêter main forte, sans qu'on sache pourquoi. Pas d'incident qui justific ce dénouement; des hors-d'œuvre de mauvais goût, qui ralentissent l'action et vous font trépigner d'impatience, tant ils réussissent peu à être comiques. En résumé, l'auteur ne paraît pas comprendre les exigences les plus élémentaires de la scène. Ajoutons que ses héros s'expriment comme ceux des drames romantiques vous représentez-vous les dialogues de Fifine et de Lârgosse sur le ton de madame Dorval, tout parsemés de comparaisons pittoresques sentimentalement idéalistes! On n'insiste pas sur de pareilles choses: absence complète de tact et de naturel, confusion de tous les styles, oubli de toutes les convenances littéraires. Il faut pourtant rendre justice aux efforts de l'auteur. Nous jugeons le fragment suivant digne d'être recueilli. Un certain Marcachou, ami du barbier, essaye de le détourner du mariage.

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