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entraînent après elles. Qui pouvait nous donner l'idée de Dieu, demande-t-il, si ce n'était Dieu même? Comment songerions-nous à chercher Dieu dans l'univers, si nous ne le trouvions d'abord en nous-mêmes, au fond de notre raison et de notre âme? C'est dans les profondes et sccrètes racines de notre imparfaite existence l'Être des êtres a déposé le témoignage de son existence éternelle; et le monde qui nous entoure n'est que le miroir où se réfléchit l'image de la Divinité.

que

Cette notion originaire et nécessaire, Formey l'appelle une notion commune, c'est-à-dire une notion que possèdent tous les êtres moraux, les uns distinctement, les autres confusément. L'existence de Dieu lui semble une notion non moins commune que l'existence de soi-même. <«<La liaison de ces deux propositions: Je suis, donc il y a un Dieu, dit-il, se montre aussi nécessaire que celle qui enchaîne ces deux autres: Je pense, donc je suis. » Pour mettre cette liaison en pleine lumière, le disciple de Wolf ramène ces jugements à deux autres notions primitives, au principe de contradiction et au principe de la raison suffisante. Puisque tout ce qui nous environne existe et que le néant ne saurait rien produire (ainsi le veut le principe de contradiction), il y a inévitablement un être qui ne tient son existence que de lui-même (ainsi le veut le principe de la raison suffisante). L'idée d'un tel être, d'un être indépendant de toute cause, renferme celle de sa réalité et de tous ses attributs; or, des caractères semblables ne peuvent convenir à l'univers, lequel forme une chaîne d'individus qui se tiennent et dépendent tous les uns des autres: il faut donc admettre un être

VOL. I.

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tout à la fois nécessaire, distinct et indépendant de l'univers'.

Dans d'autres mémoires, où Formey nomme ces notions communes notions antérieures, il demande également que l'on commence par asseoir sur l'idée métaphysique de Dieu tout argument destiné à en démontrer la vivante réalité. Pour prouver qu'il y a un Dieu, dit-il, on en appelle ordinairement aux fins de la nature qui annoncent leur auteur; et pour prouver que les différents usages auxquels se rapportent les parties de l'univers et les détails de la création, sont effectivement des fins disposées par une intelligence, on se fonde sur ce motif qu'il y a un Dieu n'est-ce pas là évidemment un cercle vicieux? L'inconséquence de tels raisonnements subsistera, tant que l'on n'aura pas établi, par des notions antérieures*, que ce sont de véritables fins que nous observons dans la nature, et que des causes fatales et inintelligentes n'ont pu déterminer les choses comme elles sont. Notions antérieures, dont un créateur spirituel pouvait seul déposer les germes dans l'esprit humain; notions abstraites et immuables, telles que celles de raison suffisante, de possibilité, d'absolue nécessité, de perfection, de dessein voulu et réglé; notions supérieures autant qu'intérieures, tout ensemble inhérentes au génie de l'homme et le dominant, parce qu'elles émanent de l'intelligence divine. Formey prise si fort cette preuve d'ontologie, qu'il

↑ Voyez un mémoire de l'année 1747 : Les preuves de l'existence de Diew ramenées aux notions communes.

2 Examen de la preuve qu'on tire des fins de la nature, 1747.— Quel est le degré de certitude dont sont susceptibles les preuves tirées de la considération de cet univers, etc., 1765.

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combat partout ceux des wolfiens qui la regardaient comme inférieure aux arguments mathématiques. Si les arguments mathématiques, dit-il, sont plus certains en apparence et plus concluants; s'ils sont moins difficiles à découvrir, parce qu'ils ne sont pas, comme les vérités morales, sujets à l'influence des sens, de l'imagination, des passions, des intérêts de tout genre; ils ne sont pas, aux yeux du penseur impartial, plus évidents ni plus convaincants, parce qu'ils ne sont ni plus simples ni plus impérieux. Rien de plus simple, au contraire, rien de plus universel et de plus absolu que les notions qui servent de base à la preuve métaphysique; car ce qui atteste leur souveraine infaillibilité, c'est précisement l'impossibilité de les démontrer, c'est l'impossibilité de les rattacher et de les réduire à des conceptions plus hautes, plus pures ou plus larges.

Néanmoins, tout en préconisant cet argument emprunté à Descartes, Formey adresse aux cartésiens un reproche qui depuis fut répété par Kant1. Il les accuse de s'appuyer sur une hypothèse, à savoir que Dieu est l'être souverainement parfait; il leur conseille de prouver cette donnée, avant de conclure que Dieu, comprenant toutes les réalités, toutes les perfections, possède aussi cette perfection qui s'appelle l'existence.

Mais la preuve métaphysique même, ce fondement de la religion naturelle, convaincra-t-elle l'athée? Pour le convertir, répond Formey, il faudrait lui démontrer qu'il est impossible qu'il n'y ait pas un Dieu; et c'est là une

1 Voyez la Critique de la raison pure, logique transcendantale. -Comp. M. V. Cousin, Philos. de Kant, leç. vi.

396 HIST. PHILOS. DE L'ACADÉMIE DE PRUSSE.

entreprise difficile. Toutefois, on le peut forcer de reconnaître, d'abord, qu'un être indépendant est nécessaire à la raison humaine; puis, que la matière et le monde physique ne sauraient constituer un être pareil, parce qu'ils ne formeraient jamais qu'un infini fini, et par conséquent une chose dépendante et contingente. Peut-être, ceux qui méconnaissent la nature de la Divinité, en la revêtant d'attributs qui ne lui conviennent pas, d'attributs indignes d'elle, sont-ils plus dangereux encore; et Formey n'hésite pas à mettre Spinosa parmi les athées. De tous les attributs essentiels à cette nature sublime, le plus distinctif lui semble la providence.

Un trait particulier caractérise ses vues sur l'existence à venir. Il penche vers l'hypothèse que Luther avait affectionnée, vers ce sommeil de l'âme qui, commençant à la mort individuelle, finirait à la résurrection commune des corps, le psychopannychisme. «C'est l'état naturel de l'âme, dit Formey; et il faut, pour opérer son réveil et le rendre durable, des causes et des combinaisons qui ne subsistent que fort peu de temps et passent avec la plus grande rapidité. Nous sommes bien éveillés dans ce moment; nous allons nous endormir; nous réveillerons-nous? Nous pouvons l'espérer religieusement, et nous ne devons pas en désespérer philosophiquement'.

1 Année 1774, p. 22.

FIN DU PREMIER VOLUME.

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L'Académie de Prusse date de la même époque que la monarchie prussienne. Mais elle a pour antécédents les institutions fondées ou renouvelées par le grand Électeur.—Il importe donc de passer en revue ces institutions. - Accueil bienveillant que l'Électeur fait aux réfugiés français, et usage auquel il les emploie.-Leur arrivée semble l'avoir détourné de l'érection d'une Université brandebourgeoise: description du plan de cette Université, européenne et latine à la fois.— Principaux établissements français protégés par l'Électeur : à Berlin, le Collége français et l'Académie dite des Nobles; à Halle, l'Institut français. Les réfugiés publient un Nouveau Journal des Savants. L'Institut de Halle est le berceau de l'Université établie sous Frédéric Ier. —L'Èlecteur érige l'université de Duisbourg. - Il restaure l'université de Koenigsberg.-Il soutient en particulier l'université de Francfort-sur-l'Oder. —A Berlin il fait fleurir le lycée de Joachimsthal.Il jette les bases de la Bibliothèque royale. Il favorise les travaux des orientalistes, des physiciens, des légistes, des historiens. Il crée le poste d'historiographe de Brandebourg. — Il prépare tous les éléments dont la réunion forma l'Académie de Berlin.

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