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confirmer, et vingt ans plus tard tout le monde la répétait avec l'ami de Maupertuis. «Frédéric, dit La Condamine, << trouve du temps pour tout, et l'on peut dire de ce << monarque :

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1 Lettre de La Condamine à Formey, 28 septembre 1759.

CHAPITRE II.

But que Frédéric II s'est proposé en renouvelant l'Académie. — En quoi le règlement adopté par Frédéric s'éloigne de celui de Leibniz. — Le point de vue national est agrandi, la tendance pratique est bornée, le caractère chrétien est remplacé par un caractère à la fois religieux et philosophique. L'érection d'une classe de philosophie spéculative est le trait distinctif de la nouvelle Académie. - Ce que l'on y entend par philosophie spéculative. ― Reconnaissance que cette création inspire aux académiciens envers Frédéric.— L'usage du français est substitué à l'emploi de la langue latine.—Justification de cet usage par diverses raisons importantes. Personnel attaché à l'Académie, et source de ses revenus. - Belle indépendance dont jouissent les académiciens.

D'autres discours prononcés à cette époque, par Maupertuis surtout, firent encore mieux connaître les vues de Frédéric et ses intentions diverses. Les devoirs des académiciens, les droits du prince, leur protecteur, le but élevé et les utiles influences d'une corporation à la fois littéraire et scientifique, tout cela fut pour ces orateurs un sujet fertile en réflexions et en résolutions. Tous s'accordaient à reconnaître que Frédéric, en renouvelant la Société des sciences, s'était proposé plusieurs objets d'une égale importance. Tous le louaient d'avoir voulu fonder un établissement propre à guérir les universités du pédantisme, d'un culte doctoral pour les mots et les formes; propre à instruire sans pesanteur et sans ennui, à répandre le goût des lettres agréables et d'une pensée libre, à exercer le jugement et l'imagination plus que la mémoire, à introduire ainsi dans la vie civile la politesse

et l'élégance, en même temps que la raison et la justice. Tous voyaient dans cet établissement une institution capable d'entourer le talent des moyens nécessaires à l'étude de la nature et de l'humanité, et convenable pour attirer en Prusse1, au milieu de sa capitale, des hommes distingués, toujours prêts à réunir leurs lumières dans un même foyer. Tous y voyaient une scène honorable pour le mérite oublié, un sûr asile pour la hardiesse opprimée, pour la vérité persécutée, un encouragement, une récompense, le centre d'une émulation bienfaisante pour l'Allemagne entière.

Les mesures prises par Frédéric, pour atteindre une fin si simple et si variée, paraissaient bonnes en général. On peut les réduire à trois : le choix des académiciens, les dispositions du règlement, l'assignation des revenus.

La liste des quarante ou cinquante académiciens dont Frédéric fit choix ou confirma l'élection, renferme plus de vingt noms justement célèbres, que nous essayerons d'apprécier, quand nous aurons caractérisé les travaux du roi même.

Quant au règlement adopté par Frédéric, il importe de l'examiner avec quelque soin. Il a été présenté comme une suite perfectionnée des statuts rédigés par Leibniz; mais en réalité il s'en écarte sur plusieurs points essentiels. Les traits distinctifs de l'ancienne Académie sont ou remplacés par d'autres caractères, ou notablement modifiés, dans le code de l'Académie moderne.

1 Frédéric voulait, aux termes du rescrit du 1 février 1746, que «<l'Académie n'oubliât rien de ce qui pouvait tendre à l'avancement des Belles-Lettres, soit dans Notre Capitale, soit dans tous les autres États et Villes sujettes à Notre domination, >>

Le point de vue national, la tendance germanique, s'y trouve abandonné pour une certaine disposition cosmopolite, pour l'intérêt de l'esprit humain et du monde.

Le mouvement pratique, le désir d'être particulièrement utile au grand nombre, reparaît encore dans le règlement de 1746, mais il y reçoit pourtant une direction scientifique plutôt que sociale, une impulsion moins usuelle que théorique.

« Le roi, y lit-on, souhaite que les académiciens s'appliquent à la recherche de la vérité, et rapportent toutes leurs vues au véritable bien des lettres et de la société. Il pense que les gens de lettres doivent être, non-seulement des gens qui font honneur à leur patrie par la sublimité des connaissances, mais des citoyens utiles, sous les pas desquels naissent, ou du moins peuvent naître les découvertes les plus intéressantes pour le bien public. Il croit que la publication de ces savantes archives, où les académiciens déposent et consignent à la postérité le fruit de leurs travaux, est un des présents les plus considérables qui puissent être faits au public. »

Mais, d'un autre côté, il n'eût guère vu avec satisfaction ces mêmes savants consacrer leurs recherches à l'amélioration immédiate de la condition populaire. D'autres conseils, ceux du gouvernement et de l'administration, devaient se livrer à ce genre d'études et de soins. L'expérience était, il est vrai, pour Frédéric, la mère commune de la spéculation et de l'application; mais les attributions d'une académie lui semblaient devoir être nettement distinguées, sinon rigoureusement séparées, des fonctions confiées aux hommes d'État et aux gens d'affaires. A l'Académie, de chercher la vérité abstraite et le bien idéal; à l'État, d'appliquer la vérité possible et le bien praticable, c'est-à-dire, de réaliser sagement et peu à peu les découvertes de l'Académie.

Le point de vue religieux, ce caractère évangélique si profondément empreint dans les statuts de 1700, a été complétement effacé des lois sanctionnées par Frédéric II. L'article qui prescrivait à l'une des classes de se livrer « à l'étude de la religion et à la conversion des infidèles,» devait paraître tout au moins étrange aux philosophes du XVIIIe siècle1. Bien que théologien orthodoxe, l'historiographe de la nouvelle Académie, Formey, ne pouvait se défendre d'un sourire ironique. «Je m'assure, « dit-il, qu'on sera un peu surpris de voir la propaga<«<tion de la Foi chrétienne et les Missions étrangères << mises au nombre des objets d'une Société des Scien«< ces. >> Maupertuis, alors presque aussi religieux que Formey, se croyait, en qualité de successeur de Leibniz, tenu de démontrer la convenance de cet article, en même temps que l'opportunité de l'abolir. « Cet article, écrivait-il, est plus singulier par la manière dont il était présenté, qu'il ne l'est peut-être en effet. Notre règlement moderne ne charge aucune classe en particulier de cette occupation: mais ne peut-on pas dire que toutes y concourent? Ne trouve-t-on pas, dans l'étude des merveilles de la nature, des preuves de l'existence d'un Être suprême? Quoi de plus capable de nous faire connaître sa sagesse, que les vérités géométriques, que ces lois éternelles par lesquelles il régit l'univers? La philosophie spéculative ne nous fait-elle pas voir la nécessité de son existence? Enfin, l'étude des faits nous apprend qu'il

1 Voyez, par exemple, les lourdes plaisanteries que Laveaux laisse tomber sur cet article, dans sa Vie anonyme de Frédéric II, T. IV, p. 13 sqq. (Strasbourg, 1788.)

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