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HIST. PHILOS. DE L'ACADÉMIE DE PRUSSE. raillé par ceux même qui l'ignorent, mais qui persistent à n'y voir qu'une machine de bois ou de plomb. De hautains idéalistes, riant de ce pauvre docteur qui n'a pas su s'élancer sur les sommités qu'ils habitent, se moquent même de son style, sans s'apercevoir combien il est lumineux et net, auprès de leur diction transcendante. Autant les théologiens de Halle réprouvèrent Wolf pour avoir loué la morale de Confucius, autant certains métaphysiciens de nos jours regardent en pitié la morale des Wolfiens. L'espace d'un siècle sépare ces deux genres d'ignorance et de fanatisme; mais si divers qu'ils paraissent, ils sont également contraires à la vérité et à la justice1.

1 Comparez Tiedemann, Esprit de la philos. spécul., T. VI, p. 511-619 (en allemand).

CHAPITRE IV.

Mort du président Gundling. — Il est remplacé par l'évêque Jablonski. -
M. de Viereck succède à M. de Creuz dans la direction ministérielle. -
La Société reprend avec plus d'ardeur ses séances et l'impression de ses
Mémoires. Examen des volumes qu'elle publie dès lors. - Deux mé-
moires de Brucker. - Études d'histoire et de philologie. - Le retour

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d'espoir qui se manifeste dans l'Académie repose sur l'appui que la famille royale lui donne. - Différence profonde entre le roi et sa famille. Cercle du roi sa tabagie. - Cercle de la reine et de ses dix enfants. Les deux sortes de philosophie qui s'y combattent: Du Han et Lacroze. Dans quel esprit la famille royale s'occupe de littérature et de religion. - Elle finit par modifier le caractère de Frédéric-Guillaume Ier.- Ce prince invite Wolf à revenir à Halle, et prescrit l'enseignement de la doctrine wolfienne dans ses États. Autres preuves de cette transformation heureuse. - Baratier. - Estime que cette paisible influence valut à Sophie-Dorothée. - Regrets que l'Académie exprime à sa mort; silence qu'elle garde à la mort du roi.

Sept ans après le bannissement de Wolf, le 11 avril 1731, fut enlevé à la cour de Potsdam, et à l'Académie de Berlin, celui qui avait fait éclater l'orage de Halle, tout à la fois par tendresse fraternelle, par malice et par jalousie. Autant la société particulière du roi regretta Gundling, autant l'Académie s'affligea peu de sa perte. Elle refusa de se joindre au cortége d'officiers et de courtisans, qui accompagna le cercueil dont nous avons indiqué la profane configuration. Il devait lui répugner de rendre les derniers honneurs à l'homme qui, trop souvent, l'avait blessée et confondue, et dont les bouffons des cours voisines prenaient le deuil. Le clergé fit comme l'Académie. Les menaces du roi purent seules décider les ecclésiastiques de Potsdam à suivre ce convoi burlesque.

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Il est probable que les pasteurs de Berlin saisirent même cette occasion pour faire appel à la conscience du monarque et y semer des scrupules, des alarmes profitables à l'Académie. C'est en faisant retentir dans l'âme religieuse de Frédéric-Guillaume Ier le mot terrible de damnation éternelle, qu'on l'empêcha de donner la présidence de l'Académie à d'autres conseillers joyeux, à Graben de Stein, à Morgenstern. Le salut ne lui étant jamais indifférent, pas même au milieu de ses plus grossiers égarements d'esprit, c'est comme une question de foi que la nomination du président lui fut présentée en 1733. L'effet de cette ruse innocente fut le choix du vénérable Jablonski', alors âgé de soixante-treize ans et destiné à quitter la vie huit ans plus tard, un an après Frédéric-Guillaume I. Ce choix fut regardé par l'Académie comme un gage de résurrection, ou du moins comme une consolation, comme une sorte de réparation; et ce qui ajoutait encore à ce sentiment de confiance, c'est que la direction ministérielle fut remise dans ce même temps au baron de Viereck. Ce ministre succédait à M. de Creuz, qui avait remplacé Printzen en 1725, et qui, pour plaire au roi, avait fait peser une économie déplorable sur tous les services publics, et s'était bien gardé de secourir l'Académie. Viereck fut reçu avec autant d'acclamations que Jablonski. Il ne cessa pas de rendre à ce corps une foule de bons offices, principalement dans le détail de la gestion. Rien n'était plus mérité que

1 Né près de Dantzig en 1660, élevé en Pologne, Jablonski vécut, après avoir séjourné en Hollande et en Angleterre, à Koenigsberg et à Berlin, où il mourut en 1741. Grand orientaliste, prédicateur distingué, savant exégète, historien ecclésiastique.

le tribut de reconnaissance que lui paya l'Académie, vingt-six ans plus tard, sur sa tombe même. « Il fut, disait-elle, le sage pilote d'une nacelle battue des flots: <«< il la préserva du naufrage et la conduisit jusqu'au port <«< assuré du Renouvellement. Il agit en véritable père de «< cette société, en ami généreux et affectionné de tous «< ceux qui la composaient. » Viereck portait, comme Creuz et Printzen, le titre de Protecteur, que Frédéric [er avait pris pour lui-même, mais que Frédéric-Guillaume Ier avait dédaigné.

Parmi les faits qui attestent combien les efforts combinés de Jablonski et de Viereck furent utiles et louables, nous n'en alléguerons que deux. En 1735, ils surent déterminer le roi à donner à l'Académie un assortiment considérable d'ouvrages relatifs aux sciences physiques et mathématiques. Ce prince, à la vérité, n'autorisa point le ministre des finances à fournir la somme nécessaire pour leur acquisition; mais il ordonna aux administrateurs de la Bibliothèque royale d'en détacher cette collection spéciale, et de la faire joindre à l'humble bibliothèque que, malgré son indigence, l'Académie était parvenue à fonder dans les bâtiments de l'Observatoire.

Le second témoignage consiste dans l'ardeur avec laquelle la compagnie reprit ses séances et l'impression de ses Mémoires. Le deuxième volume avait paru treize ans après le premier, c'est-à-dire en 1723, dédié à M. de Printzen. Le tome troisième avait été publié en 1727 sous les auspices de M. de Creuz. Le quatrième fut mis au jour sept ans plus tard, en 1734; et l'Académie en fit hom

mage à M. de Viereck, son très bienveillant chef et Mécène, Domino ac Macenati benevolentissimo.

Entre ce moment, que l'Académie était pourtant forcée d'appeler encore une saison froide pour les sciences1, et l'époque du Renouvellement, œuvre de Frédéric II, il parut trois volumes. Dans le cours de ces dix années, de 1734 à 1744, la Société publia donc plus de travaux que durant les trente ans précédents.

Après 1734, elle n'eut plus besoin de déguiser aux étrangers, avec la même pudeur qu'autrefois, l'amère honte de son délaissement, ni de répéter ce qu'elle avait dit, par l'organe même de Gundling, sept ans auparavant : « Comme toutes les saisons ne favorisent pas éga<«<lement la culture des mêmes plantes, comme les fruits << ne parviennent pas à leur maturité immédiatement

après la floraison ainsi les entreprises honorables << gagnent peut-être plus à avancer avec lenteur qu'avec << rapidité; ainsi de difficiles et délicats commencements << s'aplanissent et se fortifient chez ceux qui savent atten<< dre des époques plus propices. » L'Académie ne couvre plus son découragement du voile de la sagesse et ne se réfugie plus dans l'exemple de Fabius le temporiseur. Elle espère sûrement une meilleure fortune, et la fermeté de son accent témoigne déjà d'un heureux changement de situation.

Au surplus, hormis deux ou trois morceaux, ni les premiers ni les derniers volumes des Mélanges de Berlin ne contiennent rien de spécialement philosophique, et n'en pouvaient rien contenir : le règlement s'y opposait. 1 Frigido hoc in scientias seculo.

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