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ports qui, par tout ce qui précède, sont assez évidents, et des ressemblances entre les deux termes que j'ai entrepris de comparer, je passe aux différences dont je dois aussi rendre compte.

Je suivrai pour celles-ci le même ordre que pour celles-là.

Ainsi, je commence par l'objet de la foi et de la raison. Cet objet est le même en soi, avons-nous dit plus haut; mais, comme elles n'ont pas même manière de l'aborder et de s'y attacher, il n'a pas non plus pour elles même aspect et même apparence. Pour la foi, en effet, qui le prend tel qu'il lui vient et y adhère avec une sorte de passive docilité, il reste ce qu'il est naturellement dans sa réalité, là vérité, sans doute, mais la vérité obscure, concrète, enveloppée, ou évidente seulement de cette évidence des choses invisibles qui n'est autre que le mystère. Pour la raison, au contraire, qui le traite autrement, qui l'accepte bien d'abord tel qu'il s'offre en lui-même, mais qui, mal satisfaite ensuite de cette première perception, cherche selon son caractère, c'est-à-dire la réflexion, à s'en former une autre plus lucide et plus simple, et s'applique en conséquence à le mieux déterminer, pénétrer et comprendre, il devient la vérité abstraite, définie, explicite et sans voiles, qui a toute l'évidence convenable à la science; et il n'y a pas pour cela deux vérités différentes : il n'y en a qu'une, mais qui a deux modes distincts de se pro-duire, selon que l'esprit est disposé ou seulement à la croire, ou à l'entendre et à la savoir.

Avec même objet, la raison et la foi ont aussi même mobile, la curiosité. Mais l'une est l'intelligence en possession d'elle-même; l'autre, l'intelligence en

abandon d'elle-même. Elles ne sont donc pas l'une et l'autre curieuses de la même façon, et tandis que celle-ci l'est naïvement, d'entraînement, avec toute la vivacité d'un instinct nouvellement excité et éveillé, celle-là, plus contenue, l'est avec plus de discrétion; elles le sont, l'une avec l'innocence, mais aussi avec l'inexpérience et la facilité de l'enfant; l'autre avec la défiance et la prudence de l'homme fait. C'est bien de part et d'autre même besoin constant d'avoir la vérité, mais ce n'est pas même démarche, même mouvement pour la saisir. Ici, il n'y a que du désir; là, du désir et de la volonté; ici, seulement de la passion; là, de l'attention avec la passion.

En vue du même objet, et par suite du même penchant, la raison et la foi ont aussi mêmes fonctions. Mais à ce point de vue nouveau la différence se place encore à côté de la ressemblance, et la libre intelligence se distingue de la foi, sinon quant aux actes mêmes par lesquels elle se déploie, du moins par la manière dont elle procède à ces actes. En effet, elle les prévoit et les résout, les conduit et les règle selon toute l'expérience qu'un long exercice lui en a donnée.

Mais la foi, qui ne se possède, n'y apporte pas tout cet art, et on peut dire qu'ils se font en elle plus qu'elle ne les fait, qu'ils vont plus qu'elle ne les mène; qu'elle les commence sans savoir, les poursuit sans vouloir, les achève de même, et que, sans pour cela précisément agir à l'aventure, car elle suit toujours des lois, elle est sujette à des entraînements qui ne lui permettent pas la méthode. Et il en est de même à peu près en ce qui regarde

avec affirmation de la vérité cherchée sur tel ou tel point. Mais ces conceptions, fruits, d'une part, de l'inspiration et du sentiment, de l'autre, de la réflexion, si elles se ressemblent par le fond, par le sens général auquel elles se terminent, ne se rapprochent pas sous les autres rapports. Ainsi, comme, d'un côté, elles viennent par traits soudains, par vives et rapides aperceptions, et sans cette suite d'explications qui nous mènent graduellement du connu à l'inconnu, et nous ménagent celui-ci au moyen de celui-là, de manière à lui ôter tout caractère trop tranché et trop imprévu de nouveauté, et que, de l'autre, elles suivent un ordre qui n'a rien de brusque et d'inattendu, et où tout succède et s'enchaîne pour le progrès croissant et régulier de la lumière, il y a certainement là une nouvelle distinction dont on ne peut manquer d'être frappé. Mais elle se fait sentir surtout quand les objets de ces solutions, quand ces vérités découvertes, conçues et affirmées, ont plus particulièrement de la grandeur et de la sublimité. Je ne nie pas sans doute les enthousiasmes de la raison quand elle est du génie, et que le génie dans ses vues s'élève à des hauteurs ou pénètre à des profondeurs qui lui livrent pleine de lumière quelque considérable partie des secrets de la Providence; cette communion, par la science, des grandes intelligences avec l'intelligence infinie, ne se fait pas sans de saints et religieux ravissements. Mais, comme, après tout, même le génie, dès qu'il se conduit par la réflexion, n'a plus même élan divin, même bonheur d'intuition, que la pure révélation, et que, condamné à un travail rigoureux et sévère, il ne poursuit que pas à

pas et ne discerne que peu à peu l'objet de ses recherches, vient-il enfin à toucher au terme de ses efforts? il a sans doute bien encore son admiration et sa gloire; mais tout y est plus tempéré, plus sérieux et plus calme, que dans la spontanéité du sentiment. Il n'en est pas de même de la foi, lorsque dans ses poétiques entraînements, portée comme d'un coup devant ces magnificences mystérieuses de la terre et du ciel, auxquelles rien ne la prépare, elle s'en émerveille soudain, s'en éblouit, s'en enchante; elle a vraiment alors de célestes transports. Vous est-il jamais arrivé d'entendre un voyageur vous parler du moment où, jusque-là sans horizon, puis tout d'un coup parvenu à un point d'où tout s'éclairait, il vit soudain s'élever et comme jaillir au ciel des cimes infinies, ou s'étendre à ses pieds une plaine sans limites? Il a pu vous dire alors ses accents éclatants de joie et d'admiration, ou sa muette contemplation. Eh bien ! la foi a de ces acclamations ou de ces prodigieux recueillements, parce qu'elle a aussi de ces divins sommets des choses ou de ces vastes régions que Dieu, pour plus de grandeur encore, lui découvre sous ombre, riches, quoique voilées, d'indicibles beautés; et si, en outre, c'est parmi de puissants combats du cœur, des angoisses poignantes d'espérance et de crainte, des tourmentes de pensées, d'amour et de désir; si, pour prendre une figure qui vous est familière, c'est parmi les éclats du tonnerre et des éclairs, et sur les ailes de la tempête, que la vérité révélée perce et s'abat sur les esprits, alors avec de profonds étonnements il y a de saints tremblements, et la religion arrive au coeur pleine de sublimes abaissements.

La raison n'a pas de ces surprises, parce qu'elle n'a pas de ces spectacles; elle n'a pas de ces admirations, parce qu'elle n'a pas de ces miracles. La vérité lui vient en quelque sorte plus naturelle, plus humaine; il n'en est pas de même de la foi, pour laquelle elle est plutôt surnaturelle, surhumaine : non que pour cela elle ne soit pas toujours la même vérité, mais parce qu'elle paraît de l'une à l'autre avec un caractère, sous un jour et sous un aspect différents,

De la différence des solutions à celle du langage qui la représente, la relation est étroite. En effet, comme, d'une part, l'intelligence à l'état de réflexion, et grâce à la manière dont elle se possède et se gouverne, est en grande partie soustraite aux mouvements de la passion, des sens et de l'imagination, et que de l'autre, au contraire, faute d'une suffisante liberté, elle y demeure fortement engagée et soumise; comme penser est avant tout ici sentir, aimer, prier et aspirer, et là chercher, discerner, définir et expliquer, non pas sans doute en l'absence de toute espèce d'émotion, mais seulement avec ce qu'il y a de plus contenu dans l'émotion, il s'ensuit que, quand les dogmes et les doctrines s'expriment, c'est en paroles et d'un ton qu'on ne saurait assimiler. Le style de la figure, de l'image et de la couleur du vif et prompt sentiment, de l'enthousiasme et de la divine inspiration, n'appartient pas à la science; et celui de la simplicité, de la précision, de la rigueur et de la clarté philosophiques, en un mot de l'abstraction, ne convient pas à la religion.

La religion est, si on me permet de le dire, la poésie des choses saintes; elle ne doit donc pas, quoiqu'elle parle des mêmes sujets que la philoso

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