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comme les théories, et plus encore que les théories, se rattachent toujours, en principe, à quelque espèce d'impressions présentes ou rappelées. Je n'ai pas besoin d'insister pour en donner l'explication, et je passe à d'autres analogies plus importantes à marquer.

Ainsi, si je regarde aux questions que se posent la foi et la raison, je n'entends sans doute pas nier les distinctions qui se remarquent sous ce rapport entre l'une et l'autre, et j'en donne de suite un exemple :

La religion, dans ses dogmes, ne négligé pas précisément la matière et le monde, et s'en exprime même souvent avec une grande magnificence; mais il n'est pas moins vrai qu'elle n'en traite pas comme la philosophie, et qu'elle en fait la poésie, et non pas la science. La religion, si on me permet de le dire, n'est pas géomètre, physicien, naturaliste, savant; elle est apôtre et prophète; tout au plus a-t-elle dans ses instincts divins comme une géométrie secrète, une physique latente, et tout une science enveloppée qui se trahit par certains traits d'une vive et profonde illumination; mais en général pour enseignements elle a des affirmations, et non des explications.

Aussi, quand il s'est fait que des hommes de foi, trop prévenus de théologie, ont prétendu débattre et décider dans leur sens des questions de pure science, ils n'ont bien mérité ni de la religion, qu'ils ont poussée hors de ses limites naturelles, ni de la philosophie, qu'ils ont tenté de ne pas laisser libre dans les siennes ; ils ont mêlé des torts à des erreurs ; ils ont persécuté, et n'ont rien prouvé. Ils eussent

pu troubler le génie de Galilée s'il eût été moins assuré dans ses fermes raisons.

Il en a du reste été de même des philosophes à leur tour, quand ils ont entrepris mal à propos sur les dogmes de la foi et ont essayé de les éclairer de leurs lumières particulières : ils ont inquiété les fidèles sans satisfaire les libres penseurs; ils ont excédé aussi, et se sont jetes inutilement dans de vaines et fâcheuses difficultés. J'en citerai pour preuve, sinon Descartes lui-même, qui fut assez sobre à cet égard, quoique peut-être cépendant moins que d'ordinaire on ne le pense, du moins plusieurs cartésiens qui allèrent plus loin que lui, et qui, en particulier au sujet du sacrement de l'eucharistie, niant les formes substantielles que supposait l'école, et, espérant plus de lumière de leurs principes nouveaux, tentèrent sans bonheur de porter la philosophie là où la philosophie n'avait en effet que faire.

Mais, ces questions toutes spéciales discrètement mises à part, il n'est pas moins constant qu'il y en a beaucoup d'autres qui sont également du domaine de la foi et de la raison.

Je trouve à ce sujet dans le P. Lami (Traité des premiers éléments des sciences) une remarque que je crois devoir rapporter ici : « Dieu, dit-il, et ses attributs, ne sont pas l'objet de la seule théologie. Cette pensée est un préjugé populaire fondé sur cé qu'on dit que Dieu est au-dessus de la nature, où hors de la nature, ou étranger à la nature; et commé la philosophie ne s'occupe que des choses naturelles, on regarde comme autant de passe-droits les prétendues sorties qu'elle fait sur la Divinitě. Pitoyable

préjugé que de regarder comme étranger à la nature l'auteur même de la nature !.... Non, la philosophie n'est pas moins en droit que la théologie de regarder Dieu comme son principal objet : toute la différence est qu'elle ne le regarde que par la lumière naturelle, au lieu que la théologie y emploie les lumières surnaturelles. » Cette très-juste observation nous met bien sur la trace de tout ce qu'il peut y avoir de commun, quant aux questions dont elles s'occupent, entre la foi et la raison.

En effet, que se demande le philosophe de l'homme, du monde et de Dieu? De l'homme, n'est-ce pas quelles sont sa nature, son origine et sa destinée, et du monde pareillement? et de l'un et de l'autre, comment sous ce triple point de vue ils sont en rapport entre eux? De Dieu, d'autre part, que désire-t-il savoir? n'est-ce pas ce qu'il est pour ses créatures dans toute la suite de leur existence, et comment il veille et préside à tout leur développement?

De plus, et par une conséquence naturelle de ces questions, ne veut-il pas aussi connaître ce que l'homme doit faire, et quelle conduite il doit tenir au sein du monde qui le porte, et devant Dieu qui le gouverne? et n'aspire-t-il pas à passer de la théorie à la pratique, de la métaphysique à la morale?

Que fait le fidèle, de son côté? Reste-t-il, dans sa curiosité, étranger et indifférent à ces divers problèmes? Est-ce de l'homme ou du monde qu'il n'a nulle sollicitude? ou bien est-ce de Dieu qu'il ne prend aucun souci? Est-ce l'avenir des choses, leur présent ou leur passé, qui sont pour lui sans intérêt? est-ce la Providence et ses lois dont il n'est point

touché, et n'est-il pas au contraire inquiet de toutes ces choses autant et plus peut-être que le philosophe lui-même?

Ce n'est pas tout; et, en vue de ce qu'il embrasse dans ses dogmes, ne cherche-t-il pas à se faire des maximes qui s'y rapportent, et toutes ses croyances ne se terminent-elles pas à quelques préceptes de bonne vie?

J'ajoute que, s'il est des questions plus particulièrement réservées au domaine de la foi, et dont il convient que le philosophe s'abstienne par sagesse, il en est d'autres qui, tout en appartenant à ce domaine, peuvent cependant se prêter à quelques éclaircissements de la part de la raison et donner lieu à quelques explications discrètement ménagées. Ce sont là des excursions permises à la philosophie sur la terre sacrée de la théologie.

Ainsi, pourquoi, par exemple, abordant avec Bossuet, à la place de la croyance de l'homme fait Dieu des païens, celle du Dieu fait homme des chrétiens, ne pourrions-nous pas dire, comme lui, que c'est Dieu même en Jésus-Christ, mais Dieu s'approchant de nous, se communiquant et s'unissant à nous? car voilà ce qu'est Jésus-Christ, ce Verbe en abrégé, cet infini qui est devenu enfant, cette immensité qui s'est enfermée dans les entrailles d'une sainte Vierge1.

Il n'y aurait rien là de téméraire, si surtout en même temps, et toujours avec Bossuet, nous avions bien soin de marquer que Dieu considéré en luimême et dans sa substance infinie n'a pas d'organes pour agir, de doigts et de mains pour créer, mais

Dans un sermon de vêture.

qu'il fait tout par commandement ; qu'il n'a pas de lèvres à remuer, et ne frappe point l'air avec la langue pour en tirer quelques sons, mais qu'il n'a qu'à vouloir, et tout ce qu'il veut s'accomplit *; si nous ajoutions encore ces paroles du même auteur: Vous donnez à Dieu des bras et des mains; si vous n'ôtez de ces éxpressions tout ce qui se ressent de l'humanité, en sorte qu'il ne vous reste dans les bras et les mains que l'action de la force........, võus errez *. »

Voilà comment je conçois qu'on peut, avec une grande réserve, il est vrai, aborder par la raison certains mystères de la foi.

Qu'on me permette encore un exemple. Je suppose qu'en se réglant sur les meilleures autorités, et en se renfermant dans les plus favorables et les plus convenables interprétations, on essaye de comprendre dans le dogme de la Trinité ce Dieu toujours le même, quoi qu'il veuille et quoi qu'il opère, ce Dieu toujours personnel, quels que soient ses attributs, et qui, personne comme Père, personne comme Fils, personne enfin comme Saint-Esprit, se multiplie sans se diviser, se développe sans s'abaisser et accomplit avec la même excellence les trois actes nécessaires à la perfection de son œuvre la conception, la créa– tion et la conservation pleine d'amour; si dis-je, on veut l'essayer en cette prudente manière, on ne s'écartera pas trop, je pense, des règles d'une sage et modeste philosophie.

Il y aurait ati surplus en toutes semblables matiè

1 Élévations.

2 Idem.

Sixième avertissement sur les lettres de Jurieu.

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