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assez; une certaine disposition à ne pas accorder à cette grande pensée, qui s'appelle le christianisme, la vénération qu'elle mérite de ceux qu'elle a nourris et élevés; un respect pour la philosophie, qui pourrait être aussi dévoué, sans se détourner de la religion, et ne s'affaiblirait pas, mais se fortifierait plutôt en s'étendant de l'une à l'autre; un peu plus, en un mot, de l'humeur vive et libre que de la sage discrétion et de l'impartialité du philosophe.

Il y a aussi à lui reprocher de n'avoir point assez senti, compris et approfondi les preuves de l'existence de Dieu de Descartes, qui, quelle qu'en soit d'ailleurs la valeur, ont au moins, comme conception, une nouveauté et une beauté dont il devait être plus touché.

Ainsi il n'y avait pas lieu non plus à lui accorder sans réserve votre complète approbation, et c'est également pour bien constater ce sentiment de votre section que nous vous avons proposé pour lui, ainsi que pour son compétiteur, le partage du prix.

Il sera, de la sorte, clairement et nettement établi pourquoi et comment vous récompensez, et dans quelle mesure est engagée la responsabilité de l'Académie.

Nous concluons donc à la division du prix entre l'auteur du mémoire no 2 et celui du mémoire no 5, parce que ni l'un ni l'autre ne nous a paru avoir des titres suffisants pour le mériter tout entier, et nous finissons en nous félicitant d'avoir eu à vous rendre compte d'un concours aussi remarquable, et qui nous a bien payés, par le vif et sérieux intérêt qu'il

nous a constamment inspiré, du travail considérable et souvent très-difficile auquel il nous a obligés. L'auteur du mémoire n° 4 est M. Renouvier. Celui du mémoire no 5, M. Bouillier. Celui du mémoire n° 2, M. Demoulin.

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L'Introduction sous forme de rapport, qu'on vient de lire dans le livre premier, a, je crois, bien préparé les livres qui suivront, et celui en particulier où je vais parler de Descartes. Elle présente, en effet, dans leur généralité, toutes les vues capitales qui me dirigeront dans cette succession d'études, que je commencerai par le père du cartésianisme, que je poursuivrai par ses disciples, que j'étendrai même à l'occasion à ses principaux adversaires.

Je puis donc, sans plus de retard, débuter par Descartes.

J'insisterai peu sur les circonstances générales, à la suite ou au milieu desquelles est venu et s'est développé Descartes elles sont trop considérables et trop connues de tout le monde, pour que j'aie besoin de beaucoup m'y arrêter. Je me contenterai de les indiquer par quelques traits rapides:

La philosophie moderne tient en principe à plus d'une cause; mais elle tient avant tout à l'état de la religion je n'ai pas besoin, je pense, de m'arrêter à le démontrer, je n'ai qu'à rappeler quelques faits.

:

La réforme en effet est dans l'ordre spirituel une première émancipation qui en appelle une seconde; c'est un principe de liberté dont les conséquences s'étendent de la sphère de la foi à celle de la raison, et qui après avoir eu pour organes Luther et Calvin, doit, en passant par Ramus, Jordano Bruno, Vanini, Campanella et d'autres, aboutir enfin glorieusement à Bacon et à Descartes; choses et hommes, tout concourt à ce grand mouvement d'idées, et de la révolution théologique à la révolution philosophique, au moins sous le rapport de l'esprit qui les anime, tout se tient et s'enchaîne. L'une fait l'autre et la détermine.

Mais il est d'autres causes également considérables, bien qu'elles soient moins directes, dont on ne saurait méconnaître l'action sur la fortune de la philosophie moderné. Ainsi, que signifie dès les siècles précédents, cette suite d'inventions et de découvertes de toute șorte, qui, sans être précisément des principes de philosophie, en sont cependant des symptômes, des conditions ou des instruments, et témoignent d'un besoin et d'un mouvement des esprits, qui doivent visiblement se terminer à des idées? Que signifie la boussole, cette règle de course de l'homme dans des espaces qui n'ont pour lui ni traces ni chemin? Et cette puissance de la poudre, rapide comme la pensée, active comme la volonté, bien autre en ses effets que la simple force du corps, qu'elle efface et annihile presque, tant elle la dépasse et s'en joue, et qui, au service de l'intelligence, comme la foudre aux mains de Dieu, lui donne sur la matière une supériorité si soudaine, si irrésistible, si large? Et cette autre puissance, encore plus faite pour l'esprit et

qui, docile à souhait à l'ambition dont il brûle de multiplier sans fin et de faire durer sans terme ses innombrables productions, lui en prête le moyen aussi simple que facile, et le laisse ainsi se répandre et pénétrer sans limites dans tous les temps, dans tous les lieux, dans tous les rangs de l'humanité; puissance qui elle aussi a quelque chose de divin, tant elle apparaît affranchie dans son noble exercice des conditions ordinaires de l'espace et de la durée? Que signifient encore, à la suite de ces merveilles, ces hardies tentatives qu'elles secondent ou excitent, et qui donnent comme coup sur coup deux nouveaux mondes à l'ancien, lui rendant l'un en l'étendant, lui ouvrant l'autre en le trouvant? Cette ardeur et ce succès d'aventures et de recherches, cette passion de la conquête, au loin, par delà les mers, ce désir de l'inconnu qu'on soupçonne, qu'on devine, qu'on poursuit, qu'on atteint, ne sont-ce pas des signes certains d'une activité de pensée, qui bientôt tentera et fera dans l'ordre intellectuel ce qu'elle vient d'accomplir dans l'ordre matériel, et là aussi passera de l'ancien monde au nouveau? Et dans les années où arrivent et concourent toutes ces choses, un événement qui, par ses conséquences, équivaut presque à une découverte, la prise de Constantinople, ne vient-il pas aussi animer cette pensée, et après l'avoir un moment remplie d'un enthousiasme peut-être un peu trop docile, lui inspirer ensuite une généreuse émulation et un fécond sentiment d'indépendance et de force? On ne songe en effet d'abord qu'à admirer cette antiquité si regrettée, si désirće, enfin retrouvée avec de si vifs empressements; puis on aspire à l'imiter, à faire, à créer comme elle, et l'esprit

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