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même, particulièrement ces quatre points: la circulation du sang, les esprits animaux, la glande pinéale, et le mécanisme des bêtes.

A ces opinions de Descartes, on peut joindre celles qu'il professe au sujet des formes substantielles et des causes finales.

Je ne parle pas de ses travaux mathématiques, qu'il n'était de mon sujet ni de ma compétence de faire connaître et d'apprécier.

Si maintenant on veut embrasser dans une estime sommaire l'ensemble de sa philosophie, on jugera qu'il lui a donné un point de départ vrai, un criterium de vérité incontestable, une méthode simple et sûre; qu'il l'a composée d'une théorie de l'âme, qui, si elle n'est pas irréprochable dans ses détails, est inattaquable dans son principe; d'une théorie de Dieu, qui est également, sinon dans tous ses points, au moins dans ses arguments fondamentaux, et dans l'un d'eux surtout, à l'abri d'objection; d'une physique et d'une physiologie qui ne sont certainement pas sans hypothèses et sans erreurs; mais dans lesquelles cependant, outre d'importantes vérités établies, se trouve ouverte la voie à nombre de vérités depuis reconnues. Quant à l'algèbre, il l'a simplifiée, il l'a appliquée à la géométrie, et, en général, par l'esprit philosophique qu'il a porté dans les mathématiques, il a heureusement préparé et Leibnitz et Newton.

Grand métaphysicien, grand physicien et grand géomètre, tel fut en somme Descartes, génie original et puissant, plein d'invention et de règle, hardi et contenu tout à la fois, admirablement destiné, élevé et développé, pour accomplir dans

l'ordre des idées, ce que j'ai appelé précédemment une chose rare et grande entre toutes, c'est-à-dire une révolution heureuse. Descartes fut en effet le père d'une telle révolution; il la commença et la décida.

Ses disciples la continuèrent à différents titres et en différents sens; nous verrons comment dans ce qui va suivre. Mais avant, et pour mieux faire apprécier Descartes, je veux montrer à côté de lui, et, par opposition, deux de ses principaux adversaires: Hobbes et Gassendi. On ne juge bien un chef d'école, qu'en le plaçant au milieu de ceux qui le combattent, comme de ceux qui le suivent, et son histoire n'est pas seulement celle de ses idées considérées en lui et dans les siens, c'était aussi au moins en partie celle des opinions contraires qui ont paru dans le même temps.

Il y a d'ailleurs dans Hobbes et dans Gassendi, comme plus tard dans Locke, des parties cartésiennes, il y a surtout de l'esprit même qui anima Descartes, et qui ne manqua certainement pas aux deux hommes que je viens de nommer; esprit de règle et d'indépendance, de libre et sérieux examen, dont ils n'usèrent pas comme Descartes, mais qu'ils contribuèrent cependant à propager.

J'ajoute que dans une histoire de la philosophie en France au XVIIe siècle, il ne faudrait pas oublier ceux qui préparèrent dès lors dans notre pays, pour le siècle suivant, le règne d'une autre philosophie que celle du cartésianisme. Il est bon de marquer d'avance les principes qui, alors encore contenus et sans crédit, un jour cependant triompheront, sauf

à avoir aussi leurs retours, et à céder l'empire à d'autres.

C'est par ces diverses raisons, qu'après avoir parlé de Descartes dans le livre précédent, je parlerai dans le suivant de Hobbes et de Gassendi.

LIVRE III.

CHAPITRE PREMIER.

HOBBES.

Hobbes naquit à Malmesbury, petit village du comté de With, en 1588, l'année où l'invincible Armada préparée à si grands frais et pour des desseins si menaçants contre l'Angleterre par Philippe II, fut dispersée par la tempête, et réduite à l'impuissance. On dit même que ce fut par l'effet de la peur qu'éprouva la mère de Hobbes à l'approche de cette flotte qu'elle le mit au monde avant le terme. Par suite de cette circonstance il fut longtemps d'une santé assez faible, mais avec l'âge il se fortifia, et, grâce à sa tempérance et à la régularité de ses habitudes, il put prolonger sa vie jusqu'à quatre-vingt

onze ans.

Il était fils d'un ministre, qui de bonne heure s'appliqua à cultiver par l'étude des langues anciennes son esprit naturellement doué d'une rare aptitude; il traduisit en vers latins la Médée d'Eu

à huit ans,

ripide.

A peine âgé de quatorze ans, il fut envoyé à l'université d'Oxford; il y resta cinq ans, et y poursuivit avec succès le cours de ses études; on n'y enseignait

que la scolastique, il n'en fut pas pour cela un partisan plus dévoué de l'école. Ses dispositions à cet égard furent à peu près celles que Bacon montra en sortant de Cambridge, Descartes, de la Flèche, et Gassendi, du collége de Digne.

A dix-neuf ans, il quitta l'université et entra comme précepteur dans la maison du comte de Devonshire, Guillaume de Cavendish, et resta toujours fort attaché à cette famille. Ces relations ne furent même pas étrangères à ses doctrines, tant politiques, que métaphysiques; car on lit dans l'épître dédicatoire placée en tête du Traité de la Nature humaine, et adressée au comte de Newcastle, gouverneur du prince de Galles: «< ces principes, milord, sont ceux que je vous ai déjà exposés dans nos entretiens particuliers, et que suivant vos désirs j'ai placés ici selon un ordre méthodique '.

Sa première publication fut une traduction de Thucydide, précédée d'une préface, dans laquelle il exprimait le dessein de donner à son pays, tout prêt à se jeter dans les agitations d'une révolution, une leçon indirecte de modération et de sagesse.

On sait quel était alors l'état des esprits en Angleterre. Élisabeth les avait calmés ou contenus, et surtout occupés de grandes choses, mais Jacques Ier, qui lui succéda, n'avait rien de ce qu'il fallait pour continuer à les maintenir. Roi peu fait pour le trône, espèce de théologien couronné, capitaine ès arts et clerc aux armes, comme l'appelait Henri IV, il n'était propre par son intelligence comme par son caractère qu'à les exciter et à les troubler de nouveau,

1 Plusieurs autres de ses traités, la Logique, le de Cive, le de Hominé sont dédiés au comte de Devonshire.

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