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au lieu de se détourner de leur chemin, pour l'éviter, s'amuseraient-elles à se plaindre du peu de charité qu'on aurait eu de dénoncer le dessein criminel de ces assassins? S'irritent-ils lorsqu'on leur dit de ne pas manger d'une viande, parce qu'elle est empoisonnée, ou de ne pas aller dans une ville, parce qu'il y a la peste?

« D'où vient donc qu'ils trouvent qu'on manque de charité, quand on découvre des maximes nuisibles à la religion, et qu'ils croient au contraire qu'on manquerait de charité si on ne leur découvrait pas les choses nuisibles à leur santé et à leur vie, sinon parce que l'amour qu'ils ont pour la vie leur fait recevoir favorablement tout ce qui contribue à la conserver, et que l'indifférence qu'ils ont pour la vérité, fait que non-seulement ils ne prennent aucune part à sa défense, mais qu'ils voient même avec peine qu'on s'efforce de détruire le mensonge?... »

L'école de la modération est assez nombreuse en France, nous le savons; ceux qui la suivent avec bonne foi et en toute simplicité peuvent s'apercevoir que leur système s'accorde mal avec le langage tenu par les plus hautes et les plus vénérables autorités (1). Nous aimons à croire qu'ils ne viendront pas nous parler de ce qu'exigerait la douceur des mœurs, à une époque où l'impiété s'est signalée par un

(1) Il n'y a qu'une vérité; cette vérité ne doit pas vivre tranquillement à côté de l'erreur, et l'erreur ne veut pas vivre tranquillement à côté de la vérité. Les hommes ne sont pas dans l'erreur uniquement pour le plaisir d'y être : ils s'y créent des intérêts; il y cherchent des satisfactions auxquelles la vérité, même inerte, oppose des obstacles qu'il leur faut nécessairement combattre et surmonter. L'attaque appelle la résistance; la lutte s'établit, s'envenime: voilà le fait éternel contre lequel tous les syllogismes ne prouveront rien.

(L. VEUILLOT.)

langage et par des actes plus épouvantables que jamais; nous espérons qu'ils voudront bien se demander si cette modération qu'ils affectent pour eux-mêmes et qu'ils louent chez les autres, ne vient pas tout simplement de ce qu'ils n'ont pas cette ardeur d'un zèle jaloux qui s'alarme des périls dont la foi est menacée, et s'indigne de l'obstination perverse de ceux qui cherchent à la détruire. Toutefois, nous ne les obligerons pas à se condamner eux-mêmes; nous leur permettrons de se dire que chacun a reçu divers dons en partage à l'un l'esprit d'indulgence et de douceur; à l'autre le zèle, l'intelligence et le courage; mais serait-ce trop que de leur demander d'accorder le bénéfice de leur indulgence à ceux que le zèle anime, de laisser en paix les hommes de bonne volonté, et de tolérer l'amour du bien comme ils savent tolérer l'ardeur pour le mal ?

XXIII

MAXIMES DE JOUBERT

Quand l'abus de l'esprit est un badinage, il platt; quand il est sérieux, il déplaît.

Dans la conversation, on affuble vite sa pensée du premier mot qui se présente, et l'on marche en avant.

On se contente, dans la conversation, de signaler, d'étiqueter les choses par leur nom, sans se donner le temps d'en avoir l'idée.

- C'est un grand désavantage, dans la dispute, d'être attentif à la faiblesse de ses raisons, et attentif à la force des raisons des autres; mais il est beau de périr ainsi.

Le but de la dispute ou de la discussion ne doit pas être la victoire, mais l'amélioration.

Ce n'est jamais l'opinion des autres qui nous déplaît, mais la volonté qu'ils ont quelquefois de nous y soumettre, lorsque nous ne voulons pas,

La contradiction ne nous irrite que parce qu'elle trouble la paisible possession où nous sommes de quelque opinion ou de quelque prééminence. Voilà pourquoi les faibles s'en irritent plus que les forts, et les infirmes plus que les sains.

On peut convaincre les autres par ses propres raisons, mais on ne les persuade que par les leurs.

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Une bonne raison pour se faire comprendre n'a jamais besoin que d'un mot, si on la sait bien.

Souvent une raison est bonne, non comme concluante, mais comme dramatique, parce qu'elle a le caractère de celui qui l'allègue, et qu'elle naît de son propre fonds; car il y a des arguments ex homine, comme il en est ad hominem.

- C'est presque toujours avec les difficultés qui naissent de ses idées, et non avec celles qui naissent des choses, que l'homme est aux prises, dans les discussions dont il tourmente son esprit et l'esprit des autres.

Il faut se piquer d'être raisonnable, mais non pas d'avoir raison; de sincérité, et non pas d'infaillibilité.

La franchise est une qualité naturelle, et la véracité constante, une vertu.

-On ne peut s'expliquer franchement qu'avec l'espoir d'être entendu, et l'on ne peut espérer d'être entendu que par les gens qui sont moitié de notre avis.

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Quelqu'un a dit plaisamment : « Quand on est parvenu à s'entendre, on ne sait plus que se dire. » Oui, mais on est tenté de se quitter et de se fuir, quand on ne s'entend pas.

D

- Il faut savoir entrer dans les idées des autres et savoir en sortir, comme il faut savoir sortir des siennes et y rentrer,

Certaines gens, quand ils entrent dans nos idées, semblent entrer dans une hutte.

Que peut-on faire entrer dans un esprit qui est plein, et plein de lui-même ?

- L'huile coulant sur le marbre offre l'image d'un caractère impénétrable aux douceurs de la persuasion. On est pressé dans la vie, et ces caractères décidés, tout faibles qu'ils sont en secret, ressemblent à ces bornes qu'on aime mieux tourner que franchir, quand on les rencontre sur son thémin; au lieu d'assiéger leurs opinions dans les règles, on les bloque ou l'on se détourne.

Les esprits intraitables s'exposent à être flattés. On cherche naturellement à désarmer ceux qu'on ne peut pas vaincre, et qu'on ne peut pas combattre.

FIN.

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