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Plus mon Loire Gaulois que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur Angevine.

Id.

XI

STANCES SUR LA RETRAITE

Tircis, il faut penser à faire la retraite ;
La course de nos jours est plus qu'à demi faite ;
L'âge insensiblement nous conduit à la mort :
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des vents notre nef vagabonde ;
Il est temps de jouir des délices du port.

Le bien de la fortune est un bien périssable;
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable.
Plus on est élevé, plus on court de dangers;

Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,

Et la rage des vents brise plutôt le faîte

Des maisons de nos rois, que les toits des bergers.

Oh! bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire,
Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A selon son pouvoir mesuré ses désirs!

Il laboure le champ que labourait son père,
Il ne s'informe point de ce qu'on délibère
Dans ces graves conseils d'affaires accablés ;
Il voit sans intérêt la mer grosse d'orages,
Et n'observe des vents les sinistres présages,
Que pour le soin qu'il a du salut de ses blés.

Roi de ses passions, il a ce qu'il désire ;
Son fertile domaine est son petit empire,

Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau,
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces ;
Et, sans porter envie à la pompe des princes,
Se contente chez lui de les voir en tableau.

Racan 16

XII

CIRCÉ

Sur un rocher désert, l'effroi de la nature,
Dont l'aride sommet semble toucher les cieux,
Circé, pâle, interdite, et la mort dans les yeux,
Pleurait sa funeste aventure.

Là ses yeux errant sur les flots

D'Ulysse fugitif semblaient suivre la trace :
Elle croit voir encor son volage héros ;
Et cette illusion soulageant sa disgrâce,
Elle le rappelle en ces mots,

Qu'interrompent cent fois ses pleurs et ses sanglots:

"Cruel auteur des troubles de mon âme,
Que la pitié retarde un peu tes pas :
Tourne un moment les yeux sur ces climats;
Et si ce n'est pour partager ma flamme,
Reviens du moins pour hâter mon trépas.

Ce triste cœur devenu ta victime,
Chérit encor l'amour qui l'a surpris.
Amour fatal! ta haine en est le prix.
Tant de tendresse, ô Dieu! est-elle un crime
Pour mériter de si cruels mépris?"

C'est ainsi qu'en regrets sa douleur se déclare;
Mais bientôt de son art empruntant le secours,
Pour rappeler l'objet de ses tristes amours,
Elle invoque à grands cris tous les dieux du Ténare,
Les Parques, Némésis, Cerbère, Phlégéton,
Et l'inflexible Hécate, et l'horrible Alecton.
Sur un autel sanglant l'affreux bûcher s'allume;
La foudre dévorante aussitôt le consume:
Mille noires vapeurs obscurcissent le jour;
Les astres de la nuit interrompent leur course,
Les fleuves étonnés remontent vers leur source,
Et Pluton même tremble en son obscur séjour.

Sa voix redoutable
Trouble les enfers;
Un bruit formidable
Gronde dans les airs;
Un voile effroyable
Couvre l'univers ;

La terre tremblante
Frémit de terreur;
L'onde turbulente
Mugit de fureur;
La lune sanglante

Recule d'horreur.

Dans le sein de la mort ses noirs enchantements
Vont troubler le repos des ombres ;

Les Mânes effrayés quittent leurs monuments;
L'air retentit au loin de leurs longs hurlements;
Et les vents échappés de leurs cavernes sombres
Mêlent à leurs clameurs d'horribles sifflements.
Inutiles efforts! amante infortunée,

D'un dieu plus fort que toi dépend ta destinée.
Tu peux faire trembler la terre sous tes pas,
Des enfers déchaînés allumer la colère;

Mais tes fureurs ne feront pas

Ce que tes attraits n'ont pu faire.

Ce n'est point par effort qu'on aime,
L'amour est jaloux de ses droits;
Il ne dépend que de lui-même,
On ne l'obtient que par son choix.
Tout reconnaît sa loi suprême :
Lui seul ne connaît point de lois.

Dans les champs que l'hiver désole
Flore vient rétablir sa cour;
L'Alcyon fuit devant Éole;
Éole le fuit à son tour;

Mais sitôt que l'Amour s'envole,

Il ne connaît plus de retour.

J. B. Rousseau.

17

XIII

NOËL

D'où vient, chers cabalistes,
Messieurs du Parlement,
Que vous êtes si tristes?
N'avez-vous point d'argent ?—
Nos charges sont taxées,
Nos procès abolis,
Nos survivances ôtées,
Hélas! tout est détruit.

Ce qui nous désespère
C'est de voir nos enfants
S'en aller à la guerre,
Jusques à vingt-sept ans,
Couchés dessus la dure
Et souffrir bien du mal;
Pour dernière aventure,
Mourir à l'hôpital.

Quoi la vigueur ancienne
Qui résistoit aux rois,
Est-elle donc en peine
De mourir sous les lois?-
Si nous faisions cabale,
Le roi nous chasseroit,
Nous traitant de canaille
Et nous rembourseroit.

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