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Le bon Roi Dagobert

Avait un grand sabre de fer;
Le grand saint Éloi

Lui dit: O mon Roi!

Votre Majesté

Pourrait se blesser.

C'est vrai, lui dit le Roi,

Qu'on me donne un sabre de bois.

Le bon Roi Dagobert

Se battait à tort, à travers ;

Le grand saint Éloi

Lui dit: O mon Roi !

Votre Majesté

Se fera tuer.

C'est vrai, lui dit le Roi,

Mets toi bien vîte devant moi.

Le bon Roi Dagobert

Voulait conquérir l'univers ;
Le grand saint Éloi

Lui dit: O mon Roi!

Voyager si loin

Donne du tintoin.

C'est vrai, lui dit le Roi,

Il vaudrait mieux rester chez soi.

Le Roi faisait la guerre,

Mais il la faisait en hiver;

Le grand saint Éloi

Lui dit: O mon Roi!

Votre Majesté

Se fera geler.

C'est vrai, lui dit le Roi,

Je m'en vais retourner chez moi.

Le bon Roi Dagobert
Voulait s'embarquer sur la mer ;
Le grand saint Éloi

Lui dit: O mon Roi!
Votre Majesté

Se fera noyer.

C'est vrai, lui dit le Roi,

On pourra crier: Le Roi boit.
Le bon Roi Dagobert
Avait un vieux fauteuil de fer;
Le grand saint Éloi

Lui dit: O mon Roi!

Votre vieux fauteuil

M'a donné dans l'œil.

Eh bien, lui dit le Roi,

Fais le vîte emporter chez toi.

Le bon Roi Dagobert
Mangeait en glouton du dessert;
Le grand saint Éloi

Lui dit: O mon Roi!

Vous êtes gourmand,

Ne mangez pas tant;
Bah bah! lui dit le Roi,
Je ne le suis pas tant que toi.

Le bon Roi Dagobert
Ayant bu, allait de travers ;
Le grand saint Éloi

Lui dit: O mon Roi!

Votre Majesté

Va tout de côté.

Eh bien, lui dit le Roi,

Quand t'es gris marches-tu plus droit?

Anon.

XVIII

LE VIEUX CHÂTEAU DES ARDENNES, OU LE RÉVEIL D'ENGUERRAND

Tout au beau milieu des Ardennes,
Est un château sur le haut d'un rocher,
Où fantômes sont par centaines;
Les voyageurs n'osent en approcher:
Dessus ses tours

Sont nichés les vautours,

Les oiseaux de malheur.

Hélas! ma bonne, hélas ! que j'ai grand' peur!

Tout à l'entour de ses murailles,
On y entend les loups-garoux hurler ;
On entend traîner des ferrailles,

On voit des feux, on voit du sang couler,

Tout à la fois

De très sinistres voix

Qui vous glacent le cœur.
Hélas! ma bonne, hélas! etc.

Sire Enguerrand venait d'Espagne,
Passant par là, cuidait se délasser ;
Il monte au haut de la montagne :

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Faites mon lit; je veux me reposer.

Beau cavalier,

Restez en étrier;

Vous mourriez de frayeur."

Hélas! ma bonne, hélas ! etc.

"Par la sembleu, par la cent diable! Me prenez-vous pour un jeune écolier? Faites du feu, dressez la table; Mettez des draps, venez me débotter. Nous les verrons

Tous ces esprits félons

Qui font tant de frayeur.”
Hélas! ma bonne, hélas ! etc.

"Bonsoir vous dis, mon capitaine,
Tenez-vous bien ferme sur l'oreiller.-
De moi ne soyez point en peine,
Le diable y soit, j'ose le défier.—
Monsieur, tout doux !

D'aussi fermes que vous
Y ont manqué de cœur.'
Hélas! ma bonne, hélas ! etc.

Vers minuit, voilà grand tapage,
Tout le château commence à s'ébranler ;
On entend des cris pleins de rage,
Tous les enfers semblent se rassembler.
Quels hurlements !

Quels grincements de dents! Que de cris! que d'horreur! Hélas! ma bonne, hélas ! etc.

Tout à coup, par la cheminée, On voit et têtes et cornes tomber; Des pieds, des mains, une nuée Sur les parois, partout semblent flamber. En même temps,

Des portes les battants

S'ouvrent avec rumeur.

Hélas! ma bonne, hélas! etc.

Un démon de figure hideuse
Était traîné par cent diables affreux;
Sa bouche était tout écumeuse,

Le plomb fondu lui découlait des yeux ;
Et ses cheveux,

Tout embrâsés de feux,
S'hérissaient de douleur.

Hélas! ma bonne, hélas ! etc.

Sur ses épaules déchirées,

Les démons fouettaient à coups redoublés ;
Les fouets dont leurs mains sont armées
Sont des serpents des plus envenimés ;
Il veut crier ;

Un crapaud, du gosier

Lui sort avec clameur.

Hélas! ma bonne, hélas ! etc.

Une ombre tout échevelée

Va, lui plongeant un poignard dans le cœur,
Avec une épaisse fumée

Le sang en sort, si noir qu'il fait horreur;
Avec éclat

Criant: "Meurs, scélérat!

Expie ta fureur!"

Hélas! ma bonne, hélas ! que j'ai grand' peur !

X

Cazotte. 17

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