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L'ELOQUENCE CHRETIENNE.

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l'improvisation avec la précision, la pureté, l'élégance d'une compo sition achevée. Il a le premier élevé la critique littéraire au niveau de l'histoire.

Nous devons encore à M. Villemain une Histoire de Cromwell, remarquable par la clarté et l'élégance du style, des Discours et · Mélanges littéraires, un Tableau de l'éloquence chrétienne au IVe siècle; des Études d'histoire moderne, des Études de littérature, une traduction de la République de Cicéron et des Hymnes de Pindare; deux charmants volumes intitulés: Souvenirs contemporains d'histoire et de littérature, où il peint les hommes et les choses qu'il n'aime pas avec une modération de bon goût; un Essai sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique, qui est une histoire de la poésie lyrique ancienne et moderne, et Chateaubriard, sa vie, ses écrits et son influence littéraire et politique.

L'Eloquence chrétienne.

Les philosophes de la Grèce énoncèrent, dans l'enceinte de leurs écoles, quelques grandes vérités morales, et Platon avait eu de sublimes pressentiments sur les destinées humaines; mais ces idées, mêlées d'erreurs et enveloppées de ténèbres, divulguées à voix basse depuis Socrate, ne s'adressaient pas à la foule du peuple, et dans ces gouvernements si favorables en apparence à la dignité de l'homme, on ne faisait rien pour lui apprendre ses devoirs et ses immortelles espérances. Le christianisme élevait une tribune, où les plus sublimes vérités étaient annoncées hautement pour tout le monde, où les plus pures leçons de la morale étaient rendues familières à la multitude ignorante: tribune formidable, devant laquelle s'étaient humiliés les princes scuillés du sang des peuples; tribune pacifique et tutélaire, qui plus d'une fois donia refuge à ses mortels ennemis; tribune où furent longtemps défendus les intérêts partout abandonnés, et qui seule plaidait éternellement là cause du pauvre contre le riche, du faible contre l'oppresseur, et de l'homme contre lui-même.

Là, tout s'ennoblit et se divinise: l'orateur, maître des esprits, qu'il élève et qu'il consterne tour à tour, peut leur montrer quelque chose de plus grand que la gloire et de plus effrayant que la mort; il peut faire descendre des cieux une éternelle espérance sur ces tombeaux où Périclès n'apportait que des regrets et des larmes. Si, comme l'orateur romain, il célèbre les guerriers de la légion de Mars tombés au champ de bataille, il donne à leurs âmes cette immortalité que Cicéron n'osait promettre qu'à leur souvenir; il charge Dieu lui-même d'acquitter la reconnais

sance de la patrie. Veut-il se renfermer dans la prédica tion évangélique? Cette science de la morale, cette expérience de l'homme, ces secrets des passions, études éternelles des philosophes et des orateurs anciens, doivent être dans sa main. C'est lui, plus encore que l'orateur de l'antiquité, qui doit connaître tous les détours du cœur humain, toutes les vicissitudes des émotions, toutes les parties sensibles de l'âme, non pour exciter ces affections violentes, ces animosités populaires, ces grands incendies des passions, ces feux de vengeance et de haine où triomphait l'antique éloquence, mais pour adoucir, pour apaiser, pour purifier les âmes. Armé contre toutes les passions, sans avoir le droit d'en appeler aucune à son secours, il est obligé de créer une passion nouvelle, s'il est permis de profaner par ce nom le sentiment profond et sublime qui seul peut tout vaincre et tout remplacer dans les cœurs, l'enthousiasme religieux, qui donne à son accent, à ses paroles, plutôt l'inspiration d'un prophète que le mouvement d'un orateur.

A cette image de l'éloquence apostolique, n'avez-vous pas reconnu Bossuet? Grand homme, ta gloire vaincra toujours la monotonie d'un éloge tant de fois entendu. Ce privilége sublime te fut donné; et rien n'est inépuisable comme l'admiration que le sublime inspire. Soit que tu racontes les renversements des États, et que tu pénètres dans les causes profondes des révolutions; soit que tu verses des pleurs sur une jeune femme mourante au milieu des pompes et des dangers de la cour; soit que ton âme s'élance avec celle de Condé, et partage l'ardeur qu'elle décrit; soit que, dans l'impétueuse richesse de tes sermons à demi préparés, tu saisisses, tu entraînes toutes les vérités de la morale et de la religion, partout tu agrandis la parole humaine, tu surpasses, l'orateur antique, tu ne lui ressembles pas; réunissant une imagination plus hardie, un enthousiasme plus élevé, une fécondité plus originale, une vocation plus haute, tu sembles ajouter l'éclat de ton génie à la majesté du culte public, et consacrer encore la religion elle-même. (Mélanges.)

Mirabeau.

Ne me demandez pas ce que fut Mirabeau selon leg maximes de la morale, mais ce qu'il fit et quelle puissance

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il exerça sur les autres hommes. Personne de vous peutêtre ne l'a connu; mais si nous consultons les mémoires du temps, si dans ses paroles à demi figées sur le papier nous cherchons à reconnaître l'inspiration primitive, nous voyons un homme audacieux par le caractère autant que par le génie, attaquant avec véhémence, lorsqu'il aurait eu peine à se défendre, faisant passer les mépris qu'on lui avait d'abord montrés pour le premier des préjugés qu'il veut détruire; y réussissant à force de hardiesse et de talent, ressaisissant par l'éloquence l'ascendant sur les passions qu'il cesse de flatter. Ces dons naturels, cette voix tonnante, cette action, tout cela était enseveli dans les livres des rhéteurs; mais tout cela est ressuscité par Mirabeau. Cet homme est né orateur. La tête énorme, grossie par son énorme chevelure; sa voix âpre et dure, longtemps traînante avant d'éclater; son débit d'abord lourd, embarrassé, tout, jusqu'à ses défauts impose et subjugue. Il commence par de lentes et graves paroles, qui excitent une attention mêlée d'anxiété; lui-même il attend sa colère; mais qu'un mot échappe du sein de la tumultueuse assemblée, ou qu'il s'impatiente de sa propre lenteur, tout hors de lui, l'orateur s'élève. Ses paroles jaillissent, énergiques et nouvelles; son improvisation devient pure et correcte, en restant véhémente, hardie, singulière; il méprise, il insulte, il menace. Une sorte d'impunité est acquise à ses paroles comme à ses actions. Il refuse les duels avec insolence, et fait taire les factions du haut de la tribune.

(Cours d'éloquence française.)

E. DESCHAMPS.

(1791.)

Emile DESCHAMPS, né à Bourges, a publié des poésies remarquables surtout par leur grace et leur élégance; des traductions très-estimées de Roméo et Juliette, Macbeth, La Cloche de Schiller, etc., et, sous le titre de Poésies des Crèches, des pièces très heureusement inspirées par la moralité du but. Il a semé dans les revues une foule d'articles en prose, qui ont prouvé la flexibilité de son talent.

Petite Violette.

Petite Violette, un jour, venait de naître
Sur le bord d'un ruisseau, dans un vallon caché;
Quand elle dit, mettant le nez à la fenêtre:

Belle fleur, j'ai le front vers la terre penché,
Ce n'est guère la peine; et puis, près de cette onde,
Qu'est-ce que je verrai ?—rien du tout.--et les fleurs
Sont faites pour le monde.

C'est donc raison d'aller prendre racine ailleurs."

Tout en parlant ainsi, petite Violette,
Avec les petits doigts de sa petite main
Tire ses petits pieds du sol, fait sa toilette,
Et se met en chemin.

"La montagne au front bleu, qui dans l'air se dessine, Me conviendrait, dit-elle.-A son premier plateau

Si je pouvais atteindre ! oh! ce serait bien beau,
Et je verrais du monde un bon morceau !.
C'est donc raison d'aller prendre là-haut racine."

Petite Violette a, d'un agile pas,

Gravi sur ce coteau qu'un grand soleil colore;
Mais à peine installée, elle n'y trouve pas

Son compte, et soupirant encore:

"D'ici l'on ne voit pas grand'chose,-il me faut tout; Ah! du second plateau je pourrais, j'imagine,

Voir le monde; et cela de l'un à l'autre bout.

C'est donc raison d'aller plus haut prendre racine.”

Sitôt dit, sitôt fait.-Sous l'orage et le vent
Petite Violette, enfiammée, intrépide,

Monte la côte plus rapide;

Le voyage est plus dur qu'auparavant.

Toutefois la voici bien ou mal arrivant

Jusqu'au second plateau que baigne un lac limpide.
Mais, à peine installée: "Ah! dit-elle, d'ici
Je n'aperçois le monde encor qu'en raccourci,
C'est du dernier sommet, qui perce et qui domine
Les grands nuages entr'ouverts,

Que l'on peut voir tout l'univers;

C'est donc raison d'aller y prendre enfin racine."

Et sans plus réfléchir à rien

Comme sous l'aiguillon d'une voix qui l'appelle,
Notre folle aussitôt se remet de plus belle

A son voyage aérien.

LE FLEUVE.

La route, cette fois, est beaucoup plus mauvaise.
Ou plutôt il n'est plus ni route, ni sentier.
Petite Violette éprouve un grand malaise;
Elle retournerait sur ses pas volontiers;
Mais elle a comme le vertige,
Mais la tête lui tourne.-Alors,
Se poussant aux derniers efforts,
Par une sorte de prodige,

Elle arrive, le cœur bien gros, le corps bien las,
Sur ce pic, noble but de ses voeux. Mais, hélas !

Plus de terre, pas une mousse;

Le sol est un granit aride, où rien ne pousse;
Un vent glacial souffle autour avec fureur,

Et l'horizon n'est plus qu'une brumeuse horreur.
Petite Violette, au bruit des avalanches,

Tremble de froid et de terreur

Dans toutes ses petites branches;
Elle met sa tête à couvert
Sous son petit tablier vert..
Ses petites mains s'alourdissent;

Ses petits pieds se gonflent, s'engourdissent;
Elle se prend à pleurer.-Tout le bleu

De sa petite joue a pâli peu à

peu;

Et ses pleurs, desséchés sur place,
Y pendent en lambeaux de glace.

Enfin dans l'ouragan se perd un petit cri:

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Que ne suis-je restée aux bords où j'ai fleuri !"

Petite Violette épuisée, et qui souffre

Tout ce qu'une fleur peut souffrir,

Se tait, raidit sa tige et roule, et dans un gouffre
Achève bientôt de mourir.

As-tu dans le vallon une calme chaumine,

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Trois arbres au soleil ?. .-C'est tout ce qu'il te faut. Ne cherche pas à t'en aller plus haut;

Tu ne ferais qu'élever ta ruine !

Soit

Le Fleuve.

que l'onde bouillonne et se creuse en grondant Parmi les durs rochers un lit indépendant,

Soit qu'elle suive en paix une pente insensible,

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