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et l'harmonie de leurs périodes, et ils reproduisent à leur insu une classique imitation de ces écrivains qui probablement, s'ils vivaient aujourd'hui, écriraient eux-mêmes l'un tout autre style et donneraient à leurs œuvres plus de variété de mouvement et de couleur...

Mettre, entre les mains de ceux qui étudient, un livre qui résume pour eux tout le travail littéraire du dix-neuvième siècle et leur montre ce que, par suite de modifications insensibles mais cependant profondes, est devenue aujourd'hui la langue du grand siècle, c'est leur rendre un véritable service et leur faciliter un travail que beaucoup d'entre eux ne feraient pas sans doute faute des éléments nécessaires et indispensables.

De la familiarité établie entre les élèves et la plupart des écrivains modernes, leurs contemporains, il résultera pour tous l'habitude de parler et d'écrire la langue de leur siècle et de leur temps, dans sa forme la plus correcte et la plus pure; et, pour ceux qui sont doués d'une véritable aptitude littéraire, l'avantage, par suite de la comparaison faite entre ces styles si divers, de se faire un style à eux, lequel en empruntant les qualités de tous les autres ne reproduira la manière d'aucun et aura son caractère et sa physionomie propres. (Extrait de la Préface du Cours pratique de Littérature française par M P. POITEVIN.

LITTERATURE CONTEMPORAINE.

JOSEPH DE MAISTRE.

1753-1821.

JOSEPH DE MAISTRE, né à Chambéry, fut ambassadeur de Saraig e a Saint-Pétersbourg, puis ministre d'Etat et régent de la grande chancellerie. Ses principaux ouvrages sont des Considérations sur la Révolution française; le livre Du Pape, et les Soirées de Saint-Pétersbourg on entretiens sur toutes les questions philosophiques qui agitent le monde. Ce dernier ouvrage, plein de pensées élevées et écrit de verve, est le chef-d'œuvre de l'auteur. C'est M. de Maistre qui, dans le Bacon, a donné du beau cette définition qu'on croirait emprunté à Platon: "Le beau, dans tous les genres imaginables, est ce qui plaît à la vertu éclairée.'

Les Lettres et Opuscules de M. de Maistre, publication récente, nous le font voir sous un jour nouveau. Si les Opuscules sont à peine dignes de lui, les Lettres ajouteront à la gloire de son nom. C'est là que l'esprit le plus absolu de notre siècle se montre le plus tendre des pères, et que le plus dogmatique des écrivains est un de nos plus aimables épistolaires.

Lettre à Mlle. Constance de Maistre.

Saint-Pétersbourg, 1808.

Tu me demandes donc, ma chère enfant, après avoir lu mon sermon sur la science des femmes, d'où vient qu'elles sont condamnées à la médiocrité ? Tu me demandes ên cela la raison d'une chose qui n'existe pas, et que je n'ai jamais dite. Les femmes ne sont nullement condamnées à la médiocrité; elles peuvent même prétendre au sublime, mais au sublime féminin. Chaque être doit se tenir à sa place et ne pas affecter d'autres perfections que celles qui lui appartiennent. Je possède ici un chien nommé Biribi, qui fait notre joie ; si la fantaisie lui prenait de se faire seller et brider pour me porter à la campagne, je serais

aussi peu content de lui que je le serais du cheval anglais de ton frère, s'il imaginait de sauter sur mes genoux ou de prendre le café avec moi. L'erreur de certaines femmes est de s'imaginer que, pour être distinguées, elles doivent l'être à la manière des hommes. Il n'y a rien de plus faux. C'est le chien et le cheval. Permis aux poëtes de dire

Le donne son venute in eccelenza
Di ciascun arte ove hanno posto cura.

Je t'ai fait voir ce que cela vaut. Si une belle dame m'avait demandé, il y a vingt ans: "Ne croyez-vous pas, monsieur, qu'une dame pourrait être un grand général comme un homme ?" je n'aurais pas manqué de lui répondre: "Sans doute, madame. Si vous commandiez une armée, l'ennemi se jetterait à vos genoux, comme j'y suis moi-même; personne n'oserait tirer, et vous entreriez dans la capitale ennemie au son des violons et des tambourins." Si elle m'avait dit: "Qui m'empêche d'en savoir en astronomie autant que Newton?" je lui aurais répondu tout aussi sincèrement: "Rien du tout, ma divine beauté! Prenez le télescope: les astres tiendront à grand honneur d'être lorgnés par vos beaux yeux, et ils s'empresseront de vous dire tous leurs secrets." Voilà comment on parle aux femmes en vers et même en prose. Mais celle qui prend cela pour argent comptant est bien sotte.

Le mérite de la femme est de régler sa maison, de rendre son mari heureux, de le consoler, de l'encourager et d'élever ses enfants. Au reste, ma chère Constance, il ne faut rien exagérer: je crois que les femmes, en général, ne doivent point se livrer à des connaissances qui contrarient leurs devoirs; mais je suis fort éloigné de croire qu'elles doivent être parfaitement ignorantes. Je ne veux pas qu'elles croient que Pékin est en France, ni qu'Alexandre le Grand demanda en mariage une fille de Louis XIV. La belle littérature, les moralistes, les grands orateurs, etc., suffisent pour donner aux femmes toute la culture dont elles ont besoin.

Quand tu parles de l'éducation des femmes qui éteint le génie, tu ne fais pas attention que ce n'est pas l'éducation qui produit la faiblesse, mais que c'est la faiblesse qui souffre cette éducation. S'il y avait un pays d'Ama

UN TRAIT DE LOUIS XII.

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zones qui se procurassent une colonie de petits garçons pour les élever comme or élève les femmes, bientôt les hommes prendraient la première place; et donneraient le fouet aux Amazones. En un mot, la femme ne peut être supérieure que comme femme; mais dès qu'elle veut émuler l'homme, ce n'est qu'un singe.

Adieu, petit singe. Je t'aime presque autant que Biribi, qui a cependant une réputation ordinaire à Saint-Pétersbourg.

ANDRIEUX.

(1759-1833.)

François-Guillaume-Jean-Stanislas ANDRIEUX, naquit à Strasbourg. Les Etourdis, Anaximandre, le Manteau, comédies écrites d'un style élégant et facile, et quelques contes en vers inspirés par une aimable et douce philosophie, sont les principaux titres littéraires de cet écrivain. (Son joli conte du Meunier de Sans-Souci demeurera toujours son chef-d'œuvre.) A la création de l'Institut (1797), il fut admis comme membre de la classe de littérature, et élu en 1829 secrétaire perpétuel de l'Académie française. Nommé professeur de littérature au collége de France en 1814, il occupa cette chaire jusqu'à sa mort. Ses leçons, qui n'étaient que de spirituelles causeries, très-agréables à entendre, n'ont été ni recueillies ni publiées; mais elles ne s'effaceront jamais de la mémoire de ses nombreux auditeurs.

Un trait de Louis XII.

Je vais, ami lecteur, d'un de nos meilleurs rois,
De Louis douze, ici vous conter une histoire ;
De ce Père du peuple on chérit la mémoire :

La bonté sur les cours ne pcrd jamais ses droits.

Il sut qu'un grand seigneur, peut-être une excellence,
De battre un laboureur avait eu l'insolence.

Il mande le coupable; et, sans rien témoigner,
Dans son palais un jour le retient à dîner.
Par un ordre secret que le monarque explique,
On sert à ce seigneur un repas magnifique,
Tout ce que de meilleur on peut imaginer,
Hors du pain, que le roi défend de lui donner.
Il s'étonne; il ne peut concevoir ce mystère.

Le roi passe et lui dit : "Vous a-t-on fait grand'chère ?
"On m'a bien servi, Sire, un superbe festin;

"Mais je n'ai point diné: pour vivre, il faut du pain.

"Allez, répond Louis avec un front sévère, "Comprenez la leçon que j'ai voulu vous faire : "Puisqu'il vous faut, monsieur, du pain pour vous nourrir, Songez à bien traiter ceux qui le font venir."

XAVIER DE MAISTRE.

(1764-1852.)

Xavier DE MAISTRE, frère du précédent, se réfugia en Rus sie au plus fort de la tourmente révolutionnaire; il y prit du service et s'éleva au grade de général dans le corps d'état-major. Les lettres, les sciences et les beaux-arts furent les plus douces occupations de sa vie ; prosateur spirituel et élégant, poëte aimable et gracieux, paysagiste distingué, physicien et chimiste savant et habile, il ne pouvait manquer de devenir célèbre ; cependant ce n'est ni à ses tableaux, ní à ses études sur la formation des trombes de mer, ni à son travail sur les couleurs qu'il doit sa renommée; mais à son Voyage autour de ma chambre, au Lépreux de la vallée d'Aoste, et au Prisonnier du Caucase, œuvres charmantes qui ne se distinguent pas moins par le charme du style que par la délicatesse des sentiments.

La Jeune Sibérienne.

Elle marchait un soir le long des maisons d'un village, pour chercher un logement, lorsqu'un paysan, qui venait de lui refuser très-durement l'hospitalité, la suivit et la rappela. C'était un homme âgé, de très-mauvaise mine. Prascovie hésita si elle accepterait son offre, et se laissa cependant conduire chez lui, craignant de ne pas obtenir un autre gîte. Elle ne trouva dans l'isba qu'une femme âgée, et dont l'aspect était encore plus sinistre que celui de son conducteur. Ce dernier ferma soigneusement la porte, et poussa les guichets des fenêtres. En la recevant dans leur maison, ces deux personnes lui firent pen d'accueil elles avaient un air si étrange, que Prascovie éprouvait une certaine crainte, et se repentait de s'être arrêtée chez elles. On la fit asseoir. L'isba n'était éclairée que par des esquilles de sapin enflammées, plantées dans un trou de la muraille, et qu'on remplaçait lorsqu'elles étaient consumées. A la clarté lugubre de cette flamme, lorsqu'elle se hasardait à lever les yeux, elle

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