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BUFFON ET LINNÉE.

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raient, si deux des plus grands hommes qui aient illustré le dernier siècle n'avaient concouru, malgré l'opposition de leurs vues et de leur caractère, ou plutôt à cause de cette opposition même, à lui donner des accroissements aussi subtils qu'étendus.

Linnæus et Buffon semblent en effet avoir possédé, chacun dans son genre, des qualités telles, qu'il était impossible que le même homme les réunît, et dont l'ensemble était nécessaire pour donner à l'étude de la nature une impulsion aussi rapide.

Tous deux passionnés pour leur science et pour la gloire, tous deux infatigables dans le travail, tous deux d'une sensibilité vive, d'une imagination forte, d'un esprit transcendant, ils arrivèrent tous deux dans la carrière, armés des ressources d'une érudition profonde; mais chacun s'y traça une route différente, suivant la direction particulière de son génie. Linnæus saisissait avec finesse les traits distinctifs des êtres; Buffon en embrassait d'un coup d'oeil les rapports les plus éloignés. Linnæus, exact et précis, se créait une langue à part pour rendre ses idées dans toute leur vigueur; Buffon, abondant et fécond, usait de toutes les ressources de la sienne pour développer l'étendue de ses conceptions. Personne mieux que Linnæus ne fit jamais sentir les beautés de détail dont le Créateur enrichit avec profusion tout ce qu'il a fait naître; personne mieux que Buffon ne peignit jamais la majesté de la création, et la grandeur imposante des lois auxquelles elle est assujettie. Le premier, effrayé du chaos où l'incurie de ses prédécesseurs avait laissé l'histoire de la nature, sut, par des méthodes simples et par des définitions courtes et claires, mettre de l'ordre dans cet immense labyrinthe, et rendre facile la connaissance des êtres particuliers; le second, rebuté de la sécheresse d'écrivains qui, pour la plupart, s'étaient contentés d'être exacts, sut nous intéresser à ces êtres particuliers par les prestiges de son langage harmonieux et poétique. Quelquefois, fatigué de l'étude pénible de Linnæus, on vient se reposer avec Buffon; mais toujours, lorsqu'on a été délicieusement ému par ses tableaux enchanteurs, on veut revenir à Linnæus pour classer avec ordre ces charmantes images dont on craint de ne conserver qu'un sou venir confus; et ce n'est pas sans doute le moindre méri

te de ces deux écrivains que d'inspirer continuellement le désir de revenir de l'un à l'autre, quoique cette alternative semble prouver et prouve en effet qu'il leur manque quelque chose à chacun.

(Prospectus du Dict. des Sc. naturelles.)

ÉTIENNE.

(1770-1845.)

Charles-Guillaume ÉTIENNE, né au village de Chamouilly, vint jeune à Paris, pour se livrer à la littérature. Une comédie spirituelle, intitulée Brueys et Palaprat, commença sa réputation. Il devint censeur du Journal de l'Empire, puis censeur de tous les journaux et membre de l'Institut. A la Restauration il perdit ses places, et se réfugia dans la polémique des journaux de l'opposition. En 1820, il fut élu député par le département de la Meuse, et ne s'occupa plus que de politique. Après la révolution de 1830, il fut nommé pair de France. Cn a d'Étienne plusieurs pièces de théâtre, entre autres les Deux Gendres, une des meilleures comédies de l'époque impériale, et Joconde, un des bons ouvrages de l'Opéra-Comique.

Les Dîners du grand monde.

DUPRÉ A SA FILLE.

Dans le grand monde il est aisé de deviner
Quelle sorte de gens on rencontre à dîner :
Des hommes en faveur, de graves personnages,
Qu'on a soin d'inviter pour avoir leurs suffrages;
Quelques seigneurs venus des pays étrangers,

Et s'efforçant en vain de paraître légers;

Certains mauvais plaisants, courant toujours le monde,
Devinant un repas une lieue à la ronde:
Misérables bouffons, parasites connus,

Des Lucullus nouveaux complaisants assidus :
D'autres, dont l'industrie est la seule ressource,
Vrais courtiers de bureau, politiques de bourse,
Chaque jour, de scandale et de propos méchants
Fabriquant un recueil pour divertir les grands :
Hommes perdus d'honneur, avides mercenaires,
Qui, tour à tour agents de plaisirs et d'affaires,
Par leur impertinence indignent tout Paris,
Et se sont fait un nom à force de mépris.
N'est-ce pas à peu près toute la compagnie

LES INCONVENIENTS DE LA FORTUNE.

Qui va chez vous, ce soir, se trouver réunie?
Eh! quel plaisir pourrais-je avoir dans un repas,
Entre des gens si hauts et des hommes si bas?
Parlez-moi d'un festin où l'amitié s'épanche,
Où l'on cause, où l'on rit d'une gaieté bien franche:
On se trouve entouré d'amis et de parents,
Le plaisir y préside et confond tous les rangs.
Mais il faut à tout prix que de nos jours on brille,
Et le bon ton n'est plus de diner en famille.
(Les deux Gendres.)

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DESAUGIERS.

(1772-1827.)

Marie-Antoine DESAUGIERS, a coopéré à la composition de plus de cent pièces de théâtre, qui toutes portent le cachet de son esprit ; mais c'est par ses chansons qu'il a illustré son nom. Il a une gaieté si franche et si communicative, tant de verve et d'entrain, qu'on éprouve encore aujourd'hui un vif plaisir à lire ses joyeux refrains.

Les Inconvénients de la fortune.
Depais que j'ai touché le faîte

Et du luxe et de la grandeur,
J'ai perdu ma joyeuse humeur :
Adieu, bonheur !

Je bâille comme un grand seigneur ;
Adieu bonheur !

Ma fortune est faite.

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Pour le plus léger mal de tête,
Au poids de l'or je suis traité
J'entretiens seul la Faculté.
Adieu, santé !

Hier, trois docteurs m'ont visité...
Adieu santé !

Ma fortune est faite.

Mais je vois en grande étiquette
Chez moi venir ducs et barons
Lyre, il faut suspendre tes sons;
Adieu, chansons !

Mon suisse annonce, finissons...!
Adieu, chansons!

Ma fortune est faite.

LEMERCIER.

(1772-1840.)

Nepomucène LEMERCIER, né à Paris, a donné au théâtre un trèsgrand nombre de tragédies, dont les plus remarquables sont Agamemnon et Frédégonde et Brunehaut, les drames de Richelieu et de Pinto, ou la journée des dupes, et quelques comédies qui n'eurent qu'un médiocre succès. Parmi ses œuvres les plus originales nous devons signaler son poëme satirique de la Panhypocrisiade, qui renferme des beautés du premier ordre. Il a publié un Cours de littérature dramatique, qui prouve un très-grand talent d'observation et surtout une délicatesse de goût qu'on ne trouve pas toujours dans ses productions dramatiques. Il est entré à l'Institut en 1810.

Le Sage et le Courtisan.

Dave et Agathémie.

D. La paix de la chaumière est une triste idole;
Je ne vis qu'à la cour.

A. Moi, je respire aux champs.

D. J'escorte les seigneurs.

A. J'évite les méchants.
A. Moi, l'industrie agreste.

D. J'apprends l'art de régner.

D. Je vois des lambris d'or.

LE SAGE ET LE COURTISAN.

A. Et moi, l'azur céleste.

D. J'ai de pompeux banquets.

A. Moi, de prompts appétits.

D. J'ai la faveur des grands.

A. J'ai l'amour des petits.

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D. J'éblouis par mon faste et soumets Vénus même. A. Moi, quand on m'aime un peu, c'est pour moi seul qu'on m'aime.

D. Je marche décoré.

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D. J'entends les bruits publics, j'admire les héros.
A. J'entends murmurer l'onde, et vois s'enfler les flots.
D. Tu t'endors sans honneur au sein de la paresse.
A. Je veille à conserver une libre sagesse.

D. Dédaignes-tu la gloire où je suis parvenu?

A. Qui de nous, dans mille ans, sera le plus connu ?
D. Tu n'es jaloux de rien !... Comment es-tu si sage?
A. En regardant toujours les hommes au visage.
D. Adieu! je m'en vais lire au front des souverains.
A. Adieu! moi, je vais lire au front des cieux sereins.
(La Panhypocrisiade.)

\COURIER.

(1773-1825.)

Paul-Louis-COURIER, célèbre écrivain politique et épistolaire, naquit à Paris. Il entra jeune dans la carrière militaire et fit avec distinction les guerres de la République et de l'Empire. En 1809, il quitta le service pour jouir de son indépendance et cultiver les lettres. I se fit connaître par des traductions du grec, et par des Pamphlets, modèles de finesse, de malice et d'esprit. Par sa Correspondance, publiée depuis sa mort, il mérite d'être compté parmi les meilleurs auteurs épistolaires de notre siècle.

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