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LE FRUIT ET LA DOULEUR.

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me semble qu'on y méconnaît toutes les autres. L'acces soire, le luxe, l'ornement, la broderie, sont le principal et le tout. On vit de gâteaux, et point de pain... Ah! le bon pain quotidien, Seigneur, donnez-le-moi !.... et donnez-moi aussi quelqu'un qui veuille le manger avec moi, lentement, miette à miette, devant mon vieux foyer de famille, et près, tout près du fauteuil de mon cher grand-père !" (Sibylle.)

VICTOR DE LAPRADE.

(1812.)

M. Victor DE LAPRADE, né à Montbrison, a publié quatre volumes de poésie, intitulés : Odes et Poëmes, dont le principal est le poëme de Psyché, où une jeune fille, symbole de l'âme humaine, converse avec toutes les puissances de la nature, avec les arbres, les fleuves, les oiseaux, les vents, et fait un peu l'histoire de toutes les âmes; Poëmes évangéliques, inspirés par la lecture et la méditation des principaux événements de l'Evangile ; Symphonies, poëmes, odes, stances, où les oiseaux, les torrents, les chênes parlent et forment un concert, une symphonie à la gloire de l'univers visible; Idylles héroïques, trois poemes, où l'homme est ramené au bien, au vrai, à Dieu, par la peinture des scènes de la vie champêtre et des joies du foyer domestique, comme par les spectacles grandioses de la nature alpestre.

M. de Laprade est le représentant le plus éminent de la poésle symbolique dans notre littérature. Esprit élevé, passionné pour les symboles et les hautes spéculations idéales, doué du sentiment du paysage, il excelle à faire parler toutes les voix de la nature, à qui il prête un langage plein de fraîcheur, de grâce, de noblesse et de grandeur.

Le Fruit et la Douleur.

Sur le versant pierreux d'un plateau du midi,
Respirant le soleil d'un hiver attiédi,
J'errais en longs détours; les collines désertes
D'arbustes odorants étaient au loin couvertes.
Promeneur attentif, au plus humble arbrisseau
J'évitais en marchant de blesser un rameau.

J'avais déjà suivi tous ces sentiers des landes
Sans briser une tige, une feuille aux lavandes;
Aussi, de leurs bouquets intacts et respectés,
Nul parfum ne montait dans l'air, à mes côtés.

À travers champs, bientôt, dans ma course plus prompte,
Je m'élance, et des fleurs je ne tiens plus de compte ;
Je marche au plus touffu des arbustes meurtris,
Et disperse à grands pas leurs feuilles en débris.
Alors jaillit, alors le vent à longs flots roule

Un doux torrent d'odeurs des plantes que je foule,
Et plus mon pied rapide, au penchant du coteau,

A coups précipités frappe comme un fléau,

Plus j'écrase, à pas lourds, feuilles, rameaux et tiges,
Plus l'essaim des parfums rapidement voltige,

Et plus épais, dans l'air que j'entraine en courant,
S'amasse et monte au loin un nuage odorant.

Vous, mon Dieu, parmi nous quand nos âmes sont mûres
Vous cheminez ainsi, malgré nos vains murmures,
Faisant votre moisson; et lorsque vous voulez
Respirer les parfums dans nos cœurs recélés,
La douleur vous précède: elle vient, sans colère,
Ainsi que le coursier foulant le blé sur l'aire,
Et brise sous ses pieds, comme moi ces rameaux,
Nos fleurs et nos fruits mûrs et nos espoirs nouveaux,
Vous dirigez, Seigneur, tous les coups qu'elle porte ;
Les plus durs sont toujours pour l'âme la plus forte.
C'est vous, dans la douleur, qui nous êtes présent;
Vous ne nous visitez, mon Dieu, qu'en nous brisant.

Mais c'est alors aussi qu'à travers ses blessures
La fleur exhale au loin ses senteurs les plus pures;
Alors, mon Dien, le cœur brisé par le chagrin
Vous livre ses vertus comme l'épi son grain,
Et mille odeurs ont fui de ses veines subtiles,
Qui dormaient jusque-là dans la plante inutiles.
Alors enfin versant, de l'argile ou de l'or,
Le flot immaculé qui s'y gardait encor,

L'homme à vos pieds répand, comme fit Madeleine,
Les plus divins parfums dont son âme était pleine.

app

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Louis BLANC, né à Paris, après s'être fait un nom. comme utopiste, ne se fit pas moins de réputation comme historien. Son fameux ouvrage sur l'Organisation du travail fut suivi de son Histoire de dix ans (de 18.0 à 1840), dont le succès fut immense. Ce livre, interprète populaire de toutes les plaintes de l'opposition, porta un coup terrible à la dynastie de juillet, dont l'auteur voulut préparer la chute par son Histoire de la révolution française, dont le premier volume, le seul qui eût le temps de paraître avant l'explosion de février, annonçait ouvertement l'avènement du socialisme. Depuis, M. L. Blanc a poursuivi avec ardeur, dans l'exil, l'achèvement de cet ouvrage qui touche aujourd'hui à sa fin. On doit encore à cet historien un grand nombre de brochures politiques et quelques écrits de polémique.

à

Mort de Jean-Jacques Rousseau.

Une hospitalité prévoyante attendait l'auteur d'Émile peu de distance de Paris, au sein d'une campagne riante, dont plusieurs sites lui devaient rappeler les rivages heureux de Vevay et les rochers de Meillerie. Un petit pavillon lui était offert près du château d'Ermenonville, jusqu'à ce qu'au milieu d'un ancien verger, en des lieux disposés suivant la description de l'Elysée de Clarens, on Îui eût préparé une habitation toute remplie des images de la Nouvelle Heloise. Le pauvre vieillard ne sut pas résister à la tentation de voir des arbres, de respirer l'air des coteaux : il accepta et partit. Mais la tristesse avait pris trop impérieusement possession de lui pour qu'il se déshabituât de souffrir. Jeté dans un siècle auquel il se sentait étranger, il devait, comme tous les précurseurs, être martyr de sa propre gloire. Ainsi, rien ne put assoupir ses peines et le sauver du découragement de vivre: ni les soins d'une généreuse famille, ni le libre séjour des bois si chers à sa sauvage inquiétude, ni son affection pour le plus jeune enfant de son hôte, compagnon gracieux de ses promenades et qu'il nommait son petit gouverneur, ni enfin le calme des heures employées à rassembler des fleurs, à cueillir des plantes, à rêver le long des eaux endormies, à interroger Dieu dans la solitude.

Le 2 juillet 1778, Rousseau se leva de grand matin et sortit. Mais, au lieu de se rendre au château, selon son

habitude, il alla saluer la naissance du jour. Il rentre, fait infuser dans une tasse de café quelques plantes rapportées de sa promenade; et, comme si dans le pressentiment d'une fin prochaine, il eût craint de laisser après lui une injustice, il demande qu'on paye un ouvrier auquel une petite somme était due. Thérèse prit de l'argent et descendit; mais à peine avait elle atteint le bas de l'escalier, qu'elle entendit des gémissements. Effrayée, elle remonte, et trouve Rousseau assis sur une chaise de paille, le coude appuyé sur une commode et les traits marqués d'une fatale empreinte. Bientôt, madame de Girardin se présente. Alors, se tournant vers elle d'un air affectueux et triste: "Madame, lui dit Rousseau, je souffre cruellement. Votre sensibilité ne doit pas être mise à l'épreuve d'une pareille scène et de la catastrophe qui la terminera. Il témoignait en termes suppliants le désir de rester seul avec sa femme: madame de Girardin se retira. Il fit ouvrir les fenêtres, et d'une voix profondément émue: "Quelle éclatante journée, que la verdure est belle, que la nature est grande! Etre éternel, l'âme que tu vas recevoir dans ton sein est aussi pure qu'elle l'était quand elle en sortit. Fais-la jouir de ce bonheur qu'il ne sera plus au pouvoir des hommes de troubler. Puis, à la vue de Thérèse qui fondait en larmes: "Ma chère femme, lui dit-il, ne pleurez pas. Le moment approche que j'avais tant souhaité. Je vais être heureux." Et il la fit asseoir près de lui, la consolant par de douces paroles, se repro chant de l'avoir appelée au partage d'une existence amère, et se reposant dans la certitude qu'il ne la laissait pas sans soutiens et sans amis. Il parla de son petit gouverneur; des pauvres du village, qui ne manqueraient pas de prier Dieu pour lui; d'un présent de noces qu'il destinait à de bonnes gens dont il avait arrangé le mariage et qu'il fallait leur donner. Cependant, ses douleurs devenaient de plus en plus vives. Tout à coup il se lève, dans un état d'inexprimable exaltation: "Pas un nuage au ciel... Voyez-vous cette lumière immense ?... Voilà Dieu, oui, Dieu lui-même... Ah! je sens dans ma tête des secousses terribles... mes entrailles se déchirent... Etre des êtres!" I fit quelques pas... qu'arriva-t-il alors? Seule, Thérèse était présente ; et elle a dû nier le suicide, pour qu'on ne lu en imputât point la fatalité. Ce qui est cer

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UNE BRANCHE D'AUBÉPINE.

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tain, c'est que lorsqu'on accourut, aux cris poussés par elle, on aperçut Jean-Jacques renversé sur le carreau. I avait un trou profond à la tête, et Thérèse était couverte du sang qui avait rejailli du front de son mari. On rele & l'infortuné : à dix heures du matin, il était mort.

Le 4 juillet, ses dépouilles mortelles traversaient a minuit l'ile des Peupliers. Quelques amis, parmi lesquels des étrangers, suivaient en silence. L'air était calme; la lune éclairait le cercueil.

Cette île des Peupliers est une retraite mélancolique et obscure. Des coteaux environnent et cachent le petit lac qui l'entoure, lac ignoré, dont jamais le vent ne tourmente la surface. Il n'y a dans l'île que du gazon, des peupliers et des roses. Là, Jean-Jacques Rousseau fut déposé à l'abri des agitations humaines et au milieu des fleurs qu'il aimait; là il reposa, la face tournée vers le soleil levant. (Histoire de la Révolution.)

2

AUTRAN.

(1813.)

Joseph AUTRAN, né à Marseille, débuta par l'ode intitulée Départ pour l'Orient, hommage à M. de Lamartine. Il publia ensuite un recueil de poésies sous le titre de Ludibria ventis, puis les Poëmes de la mer, auxquels succédèrent à distance Mélianah, Laboureurs et Soldats et la Vie rurale, oeuvres poétiques qui se distinguent toutes par la noblesse, si ce n'est par l'élévation de la pensée, et par un style toujours pur, mais où se trahit un peu trop la recherche et le travail. La tragédie de la Fille d'Eschine, donnée avec succès à l'Odéon en 1848, a partagé le grand prix Montyon avec la comédie de Gabrielle de M. E. Augier. Outre ses ouvrages en vers, il a publié un livre plein d'intérêt, sous le titre d'Italie et Semaine sainte à Rome..

Une branche d'aubépine.

Il est, aux environs de notre métairie,
Une haute contrée aux espaces déserts,
Où croissent, frais tapis qui parfument les airs,
Le thym, le genêt d'or, la bruyère fleurie.

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