Page images
PDF
EPUB

gloire désintéressée est le vrai salaire de la vertu. Ici les juges ne sont point suspects. Les actions parlent encore. C'est le roi, environné de ses officiers, qui préside et qui prononce : c'est toute une armée qui est témoin. Le champ de bataille est un tribunal sans faveur et sans cabale. Toutes les voix se réunirent en faveur d'Aristomène, et lui adjugèrent le prix.

p. 235-241.

Euphaès ne survécut pas long-temps à ce jugement, Pausan. 1. 4, et mourut quelques jours après. Il avait régné treize ans, et fait la guerre pendant presque tout ce temps contre les Lacédémoniens. Comme il mourait sans enfans, il laissa au peuple messénien le soin de lui choisir un successeur. Cléonnis et Damis le disputèrent à Aristomène : mais celui-ci fut élu préférablement aux autres. Quand il fut roi, il honora des plus grandes charges ses deux rivaux. Vifs amateurs du bien public encore plus que de la gloire, concurrents, mais non ennemis, ces grands hommes brûlaient de zèle pour la patrie; ils n'étaient ni jaloux ni amis que pour la sauver.

l'acad. des

J'ai suivi, dans le récit que je viens de faire, le Mém. de sentiment de feu M. Boivin l'aîné, et j'ai profité de sa Inscriptions, savante dissertation sur un fragment de Diodore de Sicile qui était peu connu. Il y suppose et y prouve

1 Ce fragment fut d'abord publié par H. Étienne, d'après un manuscrit, dans lequel il était anonyme. Cet habile critique n'y voyait qu'une déclamation d'un rhéteur inconnu. Isaac Vossius, comme nous l'apprend son père (Hist. Gr. II. p. 519), le trouva, sous le nom de Diodore de Sicile, dans un manuscrit de la bibliothèque des Médicis, de même

qu'Assemani, dans un manuscrit de la
bibliothèque vaticane. Malgré l'auto-
rité des copistes de ces manuscrits, il
est douteux que Diodore de Sicile soit
l'auteur de ce fragment, qui sent bien
la déclamation: il se peut (et l'on a
de fréquents exemplés analogues)
qu'un sophiste ait brodé cette dispute
sur les faits racontés par Pausanias,
et qu'ensuite un autre copiste ait cru

tom. 2,

p. 84-113.

[ocr errors]

que le roi dont il est parlé dans le fragment est Euphaès, et qu'Aristomène est celui que Pausanias appelle Aristodème, selon la coutume des Anciens, qui souvent avaient deux noms.

I

Aristomène, nommé autrement Aristodème 1, régna près de sept ans, et fut également estimé et aimé de ses sujets. La guerre continua toujours pendant ce Clem. Alex. temps-là. Vers la fin de son règne, il battit les Lacéin Protrept. démoniens, prit leur roi Théopompe, et égorgea en Euseb. in l'honneur de Jupiter d'Ithome trois cents hommes, lib. 4, c. 16. parmi lesquels le roi était la principale victime. Lui

pag. 20.

Præpar.

Pausan. p. 241-242.

même s'immola peu de temps après sur le tombeau de sa fille, pour satisfaire à la réponse d'un oracle. Damis lui succéda, mais sans porter la qualité de roi.

Depuis sa mort, les affaires des Messéniens allèrent toujours fort mal, et ils se trouvèrent sans ressource et sans espérance. Réduits à la dernière extrémité, et manquant absolument de vivres, ils abandonnèrent Ithome, et se retirèrent chez ceux de leurs alliés qui étaient les plus voisins. La ville aussitôt fut rasée, et tout le reste du pays se soumit. On obligea les Messéniens de s'engager par serment à ne jamais abandonner le parti des Lacédémoniens, et à ne se point révolter contre eux précaution bien inutile, et qui ne devait servir qu'à leur faire ajouter le parjure à la révolte. On ne leur imposa point de tributs, et on se contenta d'exiger d'eux qu'ils portassent à Sparte la moitié des

devoir faire honneur du tout à Dio-
dore de Sicile. -L.

I Pausanias, Clément d'Alexan-
drie, Eusèbe, l'appellent Aristo-
dème il n'est appelé Aristomène

que dans le fragment attribué à Diodore. Le premier nom est sans doute le véritable. Aristomène ne paraît que dans la seconde guerre, comme l'établit Pausanias. (Messen. c. 6.)

-L.

grains qu'ils auraient recueillis dans la moisson. Enfin il fut stipulé que, tant hommes que femmes, ils assisteraient en habits de deuil aux funérailles des rois et des principaux citoyens de Sparte; ce qu'on regardait apparemment comme une marque de dépendance, et comme une sorte d'hommage rendu à la nation. Ainsi AN. M. 3281 fut terminée la première guerre de Messénie, après avoir duré vingt ans.

Seconde guerre de Messenie.

Av. J.C. 723.

p. 242-261. Justin. lib. 3,

C. 5.

La douceur que les Lacédémoniens avaient montrée Pausan. 1. 4, d'abord à l'égard des peuples de Messénie ne fut pas de longue durée. Quand ils virent tout le pays soumis, et qu'ils le crurent hors d'état de leur susciter de nouvelles affaires, ils s'abandonnèrent à leur caractère naturel, qui était un caractère de fierté et de hauteur, qui dégénérait souvent en dureté, et quelquefois même en férocité; au lieu de traiter les vaincus avec bonté comme des alliés et des amis, et de s'attacher à gagner par la douceur ceux qu'ils avaient domptés par la force, ils ne semblaient attentifs qu'à appesantir de jour en jour leur joug, et à leur en faire sentir tout le poids. Ils les chargeaient de tributs, les livraient à l'avarice de ceux qui etaient commis pour en faire la levée, n'écoutaient point leurs plaintes, ne leur rendaient aucune justice, les traitaient avec mépris comme de vils esclaves, et employaient contre eux les violences les plus criantes.

L'homme, né pour la liberté, ne s'apprivoise point avec la servitude : la plus douce l'irrite et le révolte. Que fallait-il donc attendre d'un esclavage aussi dur qu'était celui des Messéniens? Après l'avoir supporté

I

I & Quum per complures annos gravia servitutis verbera, plerumque

avec peine pendant près de quarante ans, ils songèrent à secouer le joug, et à se rétablir dans leur ancien AN. M.3320. état. Cette année était la quatrième de la 23o olympiade : la charge d'archonte à Athènes était pour - lors réduite à l'espace d'un an : Anaxandre et Anaxidame régnaient à Sparte.

Av. J.C. 684.

Leur premier soin fut de se fortifier du secours des peuples voisins. Ils les trouvèrent fort disposés à entrer dans leurs vues. Leur propre intérêt les y portait : ce n'était point sans crainte et sans jalousie qu'ils voyaient s'élever au milieu d'eux une ville puissante, qui paraissait manifestement vouloir étendre sa domination sur toutes les autres. Les peuples de l'Élide, ceux d'Argos, ceux de Sicyone, se déclarèrent en leur faveur. Avant qu'ils fussent assemblés, il se donna un combat. Aristomène 2, second de ce nom, était à la tête des Messéniens. C'était un chef d'un courage intrépide, et d'une extrême habileté dans le métier de la guerre. Les Lacédémoniens furent battus. Aristomène, qui voulait donner d'abord aux ennemis une idée avantageuse de lui - même, sachant qu'elle influe sur tout le reste des entreprises, eut la hardiesse d'entrer de nuit à Sparte3, et d'attacher à la porte du temple de Minerve, surnommée Chalcioecos, un bouclier dont l'inscription marquait que c'était un présent qu'Aristomène offrait à la déesse, des dépouilles des Lacédémoniens.

et vincula, cæteraque captivitatis
mala perpessi essent, post longam
pœnarum patientiam, bellum instau-
rant. » (JUSTIN. lib. 3, cap. 5.)
I Trente-neuf ans (PAUSAN.Messen.
c. 15). -L

2 Selon plusieurs historiens, il y
avait eu un autre Aristomène dans la
première guerre de Messénie. (DIOD.

lib. 15, p. 378. [§ 66].)

Diodore de Sicile ne donne cela que comme un on dit. Voyez la note pag. 476. —L.

3 Ce qui put favoriser son projet, c'est que les lois de Lycurgue défendaient de porter de la lumière dans les rues de Sparte (PLUTARCH. Instit. Lacon., § 1).- L.

Cette bravade en effet étonna les Lacédémoniens; mais ils furent encore plus alarmés de la puissante ligue qui se formait contre eux. L'oracle de Delphes, qu'ils consultèrent sur les moyens de réussir dans cette guerre, leur ordonna de faire venir d'Athènes un chef pour leur donner conseil et les conduire. La démarche était humiliante pour une ville aussi fière que Sparte; mais la crainte de s'attirer le courroux du dieu par une désobéissance si marquée, l'emporta sur tout autre motif. On députa donc vers les Athéniens. Cette demande les embarrassa. Ils n'étaient pas fâchés de voir ceux de Lacédémone aux mains avec leurs voisins, et n'avaient pas envie de leur fournir un bon général : d'un autre côté, ils craignaient aussi de désobéir au dieu. Pour se tirer d'embarras, ils leur présentèrent Tyrtée. Il était poëte de profession, avait quelque chose d'original dans l'esprit, et de choquant dans le corps, car il était boiteux. Malgré ces défauts, les Lacédémoniens le reçurent comme un chef que le ciel même leur envoyait. Le succès ne répondit pas d'abord à leur attente. Ils furent battus trois fois consécutivement.

Les rois de Sparte, abattus par tant de défaites, et n'espérant pas un meilleur succès pour l'avenir, voulaient absolument retourner à Sparte, et y ramener les troupes. Tyrtée s'opposa fortement à ce dessein, et les fit revenir à son avis. Il parla aux troupes, et prononça des vers qu'il avait préparés dans cette vue, et travaillés avec un soin extrême. Il les consolait de leurs pertes passées, qu'il attribuait, non à aucune faute de leur part, mais à un malheur et à un destin que nulle sagesse humaine ne peut surmonter. Il leur

« PreviousContinue »