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d'Égypte, chargé d'une lettre pour Bias, avec qui ce prince était en grand commerce. Il le consultait sur la manière dont il devait répondre à une proposition que lui avait faite le roi d'Éthiopie, de boire toutes les eaux de la mer, moyennant quoi il lui céderait un certain nombre de villes de ses états, sinon Amasis lui en céderait autant des siens. Il était pour-lors ordinaire aux princes de se proposer les uns aux autres de ces questions énigmatiques et embarrassantes. Bias lui répondit sur-le-champ d'accepter l'offre, à condition que le roi d'Éthiopie arrêterait tous les fleuves qui se jettent dans la mer; car il ne s'agissait que de boire la mer, et non les fleuves. On attribue à Ésope une pareille réponse.

Je ne dois pas omettre que les sages dont je viens de parler furent tous amateurs de la poésie, et composèrent tous des vers, quelques-uns même en assez grand nombre, sur des sujets de morale ou de politique, qui sont un objet véritablement digne de la Plut. in So- poésie. On reproche cependant à Solon d'avoir fait des vers licencieux; ce qui nous apprend quelle idée nous devons avoir de ces prétendus sages du paganisme.

lon. p. 79.

A la place de quelques-uns des sept sages que j'ai cités on en substitue d'autres, comme Anacharsis, Myson, Épiménide, Phérécyde. Le premier est le plus

connu.

ANACHARSIS.

Long-temps avant Solon, les Scythes nomades étaient en grande réputation pour leur simplicité, leur 11. lib. 4, frugalité, leur tempérance et leur justice. Homère les appelle la nation très-juste. Anacharsis était un de

v. 6.

ces Scythes, et de la race royale. Comme quelqu'un d'Athènes lui faisait un reproche sur le pays dont il était : « Ma patrie, dit-il, me fait, selon vous, peu d'honneur; et vous, vous en faites peu à votre patrie.» Son bon sens, son profond savoir et sa grande expérience le firent passer pour un des sept sages. Il avait écrit en vers sur l'art militaire, et avait fait un traité des lois des Scythes.

Il rendit visite à Solon. C'est dans une conversation qu'il eut avec lui qu'il compara les lois à des toiles d'araignées, qui n'arrêtent que les petites mouches, et que les grandes rompent aisément.

Accoutumé à la vie dure et pauvre des Scythes, il faisait fort peu de cas des richesses. Crésus l'avait invité à le venir voir, et sans doute lui laissait entrevoir qu'il était en état de l'enrichir : « Je n'ai nul besoin de votre <«<or, lui répliqua-t-il. Je ne suis venu dans la Grèce << que pour m'y enrichir du côté de l'esprit, et je serai « fort content si je retourne dans ma patrie, non plus << riche, mais plus habile et plus homme de bien.» Il se rendit pourtant à la cour de ce prince.

Nous avons déja remarqué qu'Ésope avait été fort étonné et fort mécontent de l'air froid et indifférent avec lequel Solon avait considéré les trésors de Crésus et la magnificence de son palais, parce que c'était le maître même de la maison que ce philosophe aurait souhaité de pouvoir admirer. «< Il faút, dit Anacharsis à Ésope, que vous ayez oublié votre fable du renard et « de la panthère. Celle-ci, pour se faire valoir, ne pouvait que montrer sa peau brillante et marquetée « de différentes couleurs : la peau du renard était simple, mais cachait des ruses et des finesses d'un prix

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Plut. in

conv.

sept. sap.

pag. 155.

<< infini. Je vous reconnais, dit le Scythe, à cette image. « Vous n'êtes frappé que de ce qui brille au-dehors, et « vous 'comptez pour peu ce qui fait véritablement l'homme, c'est-à-dire, ce qui est en lui, et par con« séquent à lui,>>

«

Ce serait ici le lieu d'exposer en abrégé la vie et les sentiments de Pythagore, qui a vécu dans le temps dont je viens de donner l'histoire. Mais je remets à en parler dans un autre endroit, où je joindrai ensemble plusieurs philosophes, pour mettre le lecteur plus en état de faire la comparaison de leur doctrine et de leurs principes.

I

ÉSOPE.

Je joins Ésope aux sages de la Grèce, non-seulement parce qu'il s'est souvent trouvé avec eux, comme nous l'avons vu, mais parce qu'il enseignait la véritable sagesse avec bien plus d'art que ceux qui en donnent des définitions et des règles.

Ésope était Phrygien. Il avait beaucoup d'esprit, mais était tout contrefait : petit de corps, bossu, horriblement laid de visage, ayant à peine figure d'homme, et ne pouvant presque parler dans les commencements. Il était esclave, et le marchand qui l'avait acheté eut bien de la peine à s'en défaire, tant on était choqué de sa mine et de sa taille.

Le premier maître qu'il eut l'envoya aux champs

I « Æsopus ille e Phrygia fabulator, haud immeritò sapiens existimatus est: quum, quæ utilia monitu suasuque erant, non severè, non imperiosè præcepit et censuit, ut philosophis mos est; sed festivos dele

ctabilesque apologos commentus, res salubriter ac prospicienter animadversas, in mentes animosque hominum cum audiendi quadam illecebra induit. » (AUL. GELL. Noct. att. lib. 2, cap. 29.)

labourer la terre, soit qu'il le jugeât incapable de toute autre chose, soit pour s'ôter de devant les yeux un objet si désagréable.

Il fut vendu dans la suite à un philosophe nommé Xanthus. Je ne finirais point si je voulais rapporter tous les traits d'esprit et de vivacité dont ses paroles et sa conduite étaient pleines. Un jour que son maître avait dessein de régaler quelques amis, il lui commanda d'acheter ce qu'il y aurait de meilleur. Il n'acheta que des langues, qu'il fit accommoder à toutes les sauces. Entrée, premier et second service, entremets, tout ne fut que langues. « Ne t'avais-je pas commandé, lui dit Xanthus tout en colère, de prendre au marché tout ce qu'il y aurait de meilleur ? Et qu'y a-t-il de meilleur que la langue? reprit Ésope. C'est le lien de la vie civile, la clef des sciences, l'organe de la vérité et de la raison. Par elle on bâtit les villes et on les police, on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées; on s'acquitte du premier de tous les devoirs, qui est de louer les dieux. Hé bien (dit Xanthus, qui prétendait l'attraper) achète-moi demain ce qu'il y a de pire: ces mêmes personnes viendront chez moi, et je veux diversifier. Le lendemain Ésope ne fit servir que le même mets, disant que la langue est la pire chose qui soit au monde. C'est la mère de tous les débats, la nourrice des procès, la source des divisions et des guerres. Elle est l'organe de l'erreur, du mensonge, de la calomnie, des blasphèmes 1.»

Ésope eut bien de la peine à obtenir sa liberté. Un

Ces faits sont tirés de la vie d'Ésope par le moine Planude, Iaquelle paraît être une compilation

des données les plus incertaines et les moins croyables. —— L.

fab. 2.

des premiers usages qu'il en fit, fut d'aller chez Crésus, qui, sur sa grande réputation, desirait depuis longtemps de le voir. Sa taille et sa mine rabattirent beaucoup d'abord de l'opinion qu'il en avait conçue. Mais la beauté de son esprit éclata bientôt à travers ces voiles et ces dehors grossiers qui la couvraient; et ce prince comprit, comme le disait Ésope dans une autre occasion, qu'il ne fallait pas considérer la forme du vase, mais la liqueur qui y est enfermée.

Il fit plusieurs voyages dans la Grèce, soit pour son Phædr. 1. 1, plaisir, soit pour les affaires de Crésus. Passant par Athènes, peu de temps après que Pisistrate y eut usurpé la puissance souveraine et aboli l'état populaire, et voyant que les Athéniens portaient ce nouveau joug fort impatiemment, il leur raconta la fable des grenouillés qui demandèrent un roi à Jupiter.

avons,

On doute que les fables d'Ésope, telles que nous les soient toutes de lui, du moins pour l'expression. On en attribue une grande partie à Planude, qui a écrit sa vie, et qui vivait dans le quatorzième siècle.

Ésope est regardé comme l'auteur et l'inventeur de cette manière simple et naturelle d'instruire par des apologues et des fictions; et c'est ainsi qu'en parle Phèdre :

Æsopus auctor quam materiam repperit,
Hanc ego polivi versibus senariis.

Mais 2, à proprement parler, la gloire de cette invention

1 Les fables d'Ésope, quel qu'en soit l'auteur, sont beaucoup plus anciennes que Planude, puisqu'on les a trouvées dans des manuscrits d'une époque antérieure à ce moine. - L.

2 << Illæ quoque fabulæ, quæ, etiamsi originem non ab Æsopo acceperunt (nam videtur earum primus auctor Hesiodus), nomine tamen Æsopi maximè celebrantur, ducere animos solent, præcipuè rusticorum

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