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d'admiration. Ce moyen fut le soin extraordinaire qu'il prit de faire élever les enfants des Lacédémoniens dans une exacte et sévère discipline; car, comme le fait remarquer Plutarque, la religion du serment aurait été un faible lien, si, par l'éducation et la nourriture, il n'eût imprimé les lois dans leurs mœurs, et ne leur eût fait sucer presque avec le lait l'amour de sa police. Aussi vit-on que ses principales ordonnances se conservèrent plus de cinq cents ans, comme une bonne et forte teinture qui a pénétré jusqu'au fond; et Cicéron fait la même remarque, en attribuant le courage et la vertu des Spartiates, non pas tant à leur bon naturel qu'à l'excellente éducation qu'on recevait à Sparte cujus civitatis spectata ac nobilitata virtus, Orat. pro non solùm natura corroborata, verùm etiam disci- Flacco.c.63. plina putatur. Ce qui fait voir de quelle importance il est pour un état de veiller à ce que les jeunes gens soient élevés d'une manière propre à leur inspirer l'amour des lois de la patrie.

Le grand principe de Lycurgue, et Aristote le répète en termes formels, était que, comme les enfants sont à l'état, il faut qu'ils soient élevés par l'état et selon les vues de l'état. C'est pour cela qu'il voulait qu'ils fussent élevés en public et en commun, et non abandonnés au caprice des parents qui, pour l'ordinaire, par une indulgence molle et aveugle et par une tendresse mal entendue, énervent en même temps et le corps et l'esprit de leurs enfants. A Sparte, dès l'âge le plus tendre, on les endurcissait au travail et à la fatigue par les exercices de la chasse et de la course; on les accoutu

I

Ώσπερ βαφῆς ἀκράτου καὶ ἰσχυρᾶς καθαψαμένης. [PLUT. compar. Lyc. c. Numa, § 5.]

Tome II. Hist. anc.

25

Lib. 8, Politic. [c. 1.]

4.

mait à supporter la faim et la soif, le chaud et le froid; et ce que les mères auront bien de la peine à se persuader, c'est que tous ces exercices durs et pénibles tendaient à leur procurer une forte et robuste santé, capable de soutenir les fatigues de la guerre, à laquelle ils étaient tous destinés, et la leur procuraient en effet.

Mais ce qu'il y avait de plus excellent dans l'éducation Obéissance. de Sparte, c'est qu'elle enseignait parfaitement aux jeunes gens à obéir. De là vient que le poëte Simonide donne à cette ville une épithète bien magnifique, qui marque qu'elle seule savait dompter les esprits et rendre les hommes souples et soumis aux lois, comme les chevaux que l'on forme et que l'on dresse dès leurs plus tendres années. C'est pour cela qu'Agésilas conseilla à Xénophon de faire venir ses enfants à Sparte 2, afin qu'ils y apprissent la plus belle et la plus grande de toutes les sciences, qui est celle d'obeir et de commander.

5.

Respect

pour les vieillards. Plut.

in Lacon.

Institut.

Une des leçons qu'on inculquait le plus souvent et le plus fortement aux jeunes Lacédémoniens, était d'avoir un grand respect pour les vieillards et de leur en donner des marques en toute occasion, en les sapag. 237. luant, en leur cédant le pas dans les rues, en se levant par honneur devant eux dans les compagnies et dans les assemblées publiques, mais sur-tout en recevant avec docilité et soumission leurs avis et même leurs réprimandes. On reconnaissait à ce caractère un Lacédémonien. En user autrement, c'eût été se dégrader soi-même et faire injure à sa patrie. Un vieillard

I

* Δαμασίμβροτος, c'est-à-dire,

dompteuse d'hommes.

2 Μαθησόμενος τῶν μαθημάτων

τὸ κάλλιστον, ἄρχεσθαι καὶ ἄρχειν. (PLUT. in Agesil., pag. 606.)

d'Athènes entrant dans le théâtre pour assister aux spectacles, aucun de ses compatriotes ne lui offrit de place. Dès qu'il approcha de l'endroit où étaient assis les ambassadeurs de Lacédémone avec leur suite, tous se levèrent devant le vieillard et le placèrent au milieu d'eux. Lysandre 1 avait donc raison de dire que la vieillesse n'avait nulle part de domicile si honorable que dans la ville de Sparte, et qu'il était beau d'y vieillir.

I

§ II. Choses blámables dans les lois de Lycurgue.

Pour mieux faire sentir le faible des lois de Lycurgue, je n'aurais qu'à les comparer à celles de Moïse, qu'on reconnaît bien avoir été dictées par une sagesse plus qu'humaine. Mais mon dessein n'est pas d'entrer ici dans un détail exact de tout ce qui pourrait être blâmé dans les ordonnances de Lycurgue: je me contenterai de quelques légères réflexions que le lecteur, sans doute, justement blessé et révolté par le simple récit de quelques-unes de ces ordonnances, aura déja faites avant moi.

I.

Sur le choix

qui devaient être élevés

En effet, pour commencer par le choix des enfants qui devaient être élevés ou exposés, qui ne serait cho- des enfants qué de l'injuste et barbare coutume de prononcer un arrêt de mort contre ceux des enfants qui avaient le ou exposés. malheur de naître avec une complexion trop faible et trop délicate pour pouvoir soutenir les fatigues et les exercices auxquels la république destinait tous ses sujets? Est-il donc impossible et cela est-il sans exemple, que des enfants, faibles d'abord et délicats, se fortifient

I «

Lysandrum Lacedæmonium dicere aiunt solitum: Lacedæmone esse honestissimum domicilium se

nectutis.» (Cic. de senect., n. 63.)
Εν Λακεδαίμονι κάλλιστα γηρῶσι.
(PLUT. in Moral., pag. 795.)

dans la suite de l'âge et deviennent même très-robustes? Quand cela serait, n'est-on en état de servir sa patrie que par les forces du corps? et compte-t-on pour rien la sagesse, la prudence, le conseil, la générosité, le courage, la grandeur d'ame, en un mot, toutes les Cic. Offic. qualités qui dépendent de l'esprit? Omnino illud ho1. 1, n. 79. nestum, quod ex animo excelso magnificoque quæriIbid. n. 76. mus, animi efficitur non corporis viribus. Lycurgue

2.

des corps.

lui-même a-t-il rendu moins de services et fait moins d'honneur à Sparte, par l'établissement de ses lois, que les plus grands capitaines par leurs victoires? Agésilas était d'une taille si petite et d'une mine si peu avantageuse, qu'à sa première vue les Égyptiens ne purent s'empêcher de rire et cependant il avait fait trembler le grand roi de Perse jusque dans le fond de son palais.

Mais ce qui est bien plus fort que tout ce que je viens de rapporter, un autre a-t-il quelque droit sur la vie des hommes, que celui de qui ils l'ont reçue, c'est-à-dire que Dieu même ? et un législateur n'usurpe-t-il pas visiblement son autorité, quand, indépendamment de lui, il s'arroge un tel pouvoir? Cette ordonnance du Décalogue, qui n'était autre chose que le renouvellement de la loi naturelle, tu ne tueras point, condamne généralement tous ceux des Anciens qui croyaient avoir droit de vie et de mort sur leurs esclaves et même sur leurs enfants.

Le grand défaut des lois de Lycurgue, comme Platon Soin unique et Aristote l'on remarqué, c'est qu'elles ne tendaient qu'à former un peuple de soldats. Ce législateur paraît en tout occupé du soin de fortifier les corps, nullement de celui de cultiver les esprits. Pourquoi bannir de sa

république tous les arts et toutes les sciences 1, dont un des fruits le plus avantageux est d'adoucir les mœurs, de polir l'esprit, de perfectionner le cœur, et d'inspirer des manières douces, civiles, honnêtes, propres, en un mot, à entretenir la société et à rendre le commerce de la vie agréable? De là vient que le caractère des Lacedémoniens avait quelque chose de dur, d'austère et souvent même de féroce: défaut qui venait en partie de leur éducation, et qui aliéna d'eux l'esprit de tous les alliés.

3.

Cruauté bar

des enfants.

C'était une excellente pratique à Sparte d'accoutumer de bonne heure les jeunes gens à souffrir le chaud, le bare àl'égard froid, la faim, la soif, et d'assujettir 2 par différents exercices durs et pénibles le corps à la raison, à laquelle il doit servir de ministre pour exécuter ses ordres ; ce qu'il ne peut faire s'il n'est en état de supporter toutes sortes de fatigues. Mais fallait-il porter cette épreuve jusqu'au traitement inhumain dont nous avons parlé ? et n'était-ce pas une brutalité et une barbarie dans des pères et des mères, de voir de sang-froid couler le sang des plaies de leurs enfants et de les voir mê ne souvent expirer sous les coups de verges?

4.

humaine dans

On admire le courage des mères spartaines, à qui la Fermeté peu nouvelle de la mort de leurs enfants tués dans un combat non-seulement n'arrachait aucune larme, mais causait les mères. une sorte de joie. J'aimerais mieux que dans une telle occasion la nature se fit entrevoir davantage et que l'amour de la patrie n'étouffât pas tout-à-fait les senti

I

<< Omnes artes, quibus ætas puerilis ad humanitatem informari

solet. » (Pro Arch., n. 4.)

2

« Exercendum corpus, et ita

afficiendum est, ut obedire consilio
rationique possit in exequendis ne-
gotiis et labore tolerando.» (Lib. 1,
de Off., n. 79.)

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