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dez-vous fut à Bactre. Comme la force des Indiens consistait principalement dans le grand nombre d'éléphants qu'ils avaient, elle fit accommoder des chameaux en forme d'éléphants, dans l'espérance de tromper ainsi les ennemis. On dit que Persée, longtemps après, en fit autant contre les Romains; mais cet artifice ne leur réussit ni à l'un ni à l'autre. Le roi des Indes, ayant appris qu'elle approchait, lui envoya des ambassadeurs pour lui demander qui elle était, et de quel droit, sans avoir reçu de lui aucune injure, elle venait de gaîté de cœur attaquer ses états; et il ajoutait que son audace serait bientôt punie comme elle le méritait. Dites à votre maître, répondit-elle, que dans peu je lui ferai savoir moi-même qui je suis. Elle s'avance aussitôt vers le fleuve qui donne son nom au pays. Elle avait fait préparer un grand nombre de barques. Le passage lui en fut long-temps disputé; mais après un sanglant combat elle mit les ennemis en fuite. Plus de mille barques de leur côté furent coulées à fond, et elle fit sur eux plus de cent mille prisonniers. Animée par cet heureux succès, elle avança aussitôt dans le pays, ayant laissé soixante mille hommes pour garder le pont de bateaux qu'elle avait fait construire. C'est ce que demandait le roi, qui exprès avait pris la fuite, afin de lui donner lieu de s'engager dans l'intérieur du pays. Quand il l'y crut assez avancée, il tourna face. Alors se donna un second combat, plus sanglant encore que le premier. Les faux éléphants ne soutinrent pas long-temps le choc des véritables : ceux-ci mirent l'armée en déroute, écrasant

L'Indus.

tout ce qu'ils rencontraient. Sémiramis fit ce qu'elle put pour rallier et ranimer ses troupes, mais inutilement. Le roi, la voyant dans la mêlée, s'avança contre elle, et la blessa en deux endroits, mais sans que ces plaies fussent mortelles. La vîtesse de son cheval la déroba à la poursuite des ennemis. Comme on courait en foule vers le pont pour repasser le fleuve, le désordre et la confusion, inévitables dans de telles conjonctures, y firent périr un grand nombre de troupes. Quand elle eut mis en sûreté celles qui avaient pu se sauver, elle rompit le pont, et par là arrêta les ennemis, à qui le roi, pour obéir à un oracle, avait défendu de poursuivre plus loin Sémiramis et de passer le fleuve. Cette princesse, ayant fait à Bactre l'échange des prisonniers, retourna dans ses états, y ramenant à peine le tiers de son armée. Elle est la seule, et Alexandre après elle, qui ait osé porter la guerre au-delà du fleuve Indus.

I

Je ne puis pas n'être point frappé d'une difficulté que l'on peut faire sur tout ce que j'ai rapporté d'extraordinaire de Ninus et de Sémiramis, qui paraît ne pouvoir guère convenir à des temps si proches du déluge je veux dire cette multitude de troupes, cette nombreuse cavalerie, ces chars armés de faux, ces trésors immenses d'or et d'argent, qui sentent plus les temps postérieurs; et il en faut dire autant de la ma

I Cette armée, si l'on en croit Ctésias, était de trois millions d'hommes et de cinq cent mille chevaux sans compter les chameaux et les chars armés en guerre, dont le nombre était très-considérable. Je ne doute point qu'il n'y ait ici beaucoup d'exagération, ou faute dans les chiffres.

= Walter Raleigh remarque à ce sujet qu'il n'y a aucun pays du monde qui pourrait entretenir une pareille multitude de soldats, quand même tous les hommes et toutes les bêtes pourraient se nourrir avec de l'herbe. (Histor. of the World, c. 12, § 2.) L.

Tom. 3, p. 343, etc.

gnificence des bâtiments qui leur sont attribués. Il bien de l'apparence que les historiens grecs, qui sont venus tant de siècles après, trompés par la ressemblance des noms, par l'ignorance des dates, et par quelques rapports des événements, ont pu attribuer à des princes anciens ce qui appartenait aux rois postérieurs, et charger un seul des exploits et des entreprises qui doivent être partagés successivement entre plusieurs. Ainsi il peut y avoir eu deux Bélus et deux Ninus. Le prémier Belus est Nemrod, comme je l'ai supposé, père de Ninus, qui a donné son nom à Ninive. Le second Belus sera Bélus l'Assyrien, qu'Ussérius fait régner à Babylone l'an du monde 2682 et 1322 avant Jésus-Christ; et ce second Belus aura eu un fils appelé aussi Ninus. Mais je n'entre point dans ces sortes de discussions critiques.

Sémiramis, quelque temps après son retour, découvrit que son fils lui dressait des embûches, et qu'un de ses principaux officiers s'était offert à lui prêter son ministère. Elle se ressouvint alors de l'oracle de JupiterAmmon; et, avertie que la fin de sa course approchait, sans faire souffrir aucune peine à cet officier, qu'elle avait arrêté, elle abdiqua volontairement l'empire, remit le gouvernement entre les mains de son fils, et se déroba à la vue des hommes, dans l'espérance de jouir bientôt des honneurs divins, comme l'oracle le lui avait promis: en effet, on dit qu'elle fut honorée par les Assyriens comme une divinité, sous la forme d'une colombe. Elle avait vécu soixante-deux ans, dont elle en avait régné quarante-deux.

On peut voir dans les mémoires de l'académie des Belles-Lettres deux savantes dissertations sur l'empire

des Assyriens, et en particulier sur le règne et les actions de Semiramis.

Ce que dit Justin de Sémiramis, qu'après la mort Lib. 1, c. 2. de son mari, n'osant ni remettre l'empire à son fils qui était encore trop jeune, ni s'en charger elle-même ouvertement, elle gouverna sous le nom et sous l'habit de Ninyas; et qu'après avoir régné de la sorte pendant plus de quarante ans, devenue passionnée pour son propre fils, elle voulut le porter au crime et én fut tuée : tout cela, dis-je, est tellement destitué de toute vraisemblance, que je croirais perdre le temps si j'entreprenais de le réfuter. Il faut pourtant avouer que presque tous les auteurs qui ont parlé de Sémiramis ne nous donnent pas une idée fort avantageuse de la pureté de ses mœurs.

Je ne sais si le règne éclatant de cette princesse n'a pas en partie engagé Platon à soutenir, dans ses livres de la République, que les femmes, aussi-bien que les hommes, 'doivent être admises au maniement des affaires publiques, à la conduite des guerres, au gouvernement des états; et, par une conséquence nécessaire, qu'on doit les appliquer aux mêmes exercices dont on fait usage par rapport aux hommes pour leur former le corps et l'esprit : il n'excepte pas même de ces exercices ceux où la coutume était de combattre entièrement nu, prétendant que les femmes seraient suffisamment vêtues et couvertes de leur vertu 1.

On est surpris avec raison de voir un philosophe, d'ailleurs si éclairé, renoncer si ouvertement aux maximes les plus communes et les plus naturelles de la

· ἐπείπερ ἀρετὴν ἀντὶ ἱματίων ἀμφιέσονται.

Tome II. Hist, ane.

3

Lib. 5,

de Rep. p. 451-457.

De curâ rei famil.

modestie et de la pudeur, vertus qui font le principal ornement du sexe, et insister si fortement sur un principe auquel, pour le réfuter, il suffirait d'opposer la pratique constante de tous les siècles, et de presque tous les peuples de la terre.

Aristote, plus habile en cela que Platon son maître, lib. 1, c. 3. sans donner atteinte en aucune sorte au solide mérite et aux qualités essentielles du sexe, a marqué avec sagesse la différente destination de l'homme et de la femme par la différence des qualités du corps et de l'esprit que l'auteur même de la nature a mise entre eux, en donnant à l'un une force de corps et une intrépidité d'ame qui le mettent en état de porter les plus dures fatigues et d'affronter les plus grands dangers, et donnant à l'autre au contraire une complexion faible et délicate, accompagnée d'une douceur naturelle et d'une modeste timidité, qui la rendent plus propre à une vie sédentaire, et qui la portent à se renfermer dans l'intérieur de la maison et dans les soins d'une industrieuse et prudente économie.

De administ.

pag. 839.

Xénophon pense comme Aristote; et, pour relever domestica les travaux de la femme qui se renferme dans l'enceinte de la maison, il la compare agréablement à l'abeillemère, appelée ordinairement le roi des abeilles, qui seule gouverne toute la ruche et en a l'intendance, qui distribue les emplois, qui anime les travaux, qui préside à la construction des petites cellules, qui veille à la nourriture et à la subsistance de sa nombreuse famille, qui règle la quantité de miel destinée à cet usage, et qui, régulièrement dans les temps marqués, envoie en colonie au-dehors les nouveaux essaims pour décharger la ruche. Il remarque, comme Aristote, la

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