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I. Esdr. 7, 14.

L'Écriture marque qu'Esdras fut envoyé dans la Judée au nom et par l'autorité du roi d'Artaxerxe et de ses sept conseillers: a facie regis et septem consiliariorum ejus missus est. La même Écriture, longtemps auparavant, et sous le règne de Darius, appelé aussi Assuérus, qui succéda`au mage, nous apprend que ces conseillers étaient instruits à fond de la disposition des lois, des maximes de l'état, des coutumes anciennes; qu'ils suivaient par-tout le prince, qui ne faisait rien, et ne décidait aucune affaire importante Esth. 1. 13. sans les avoir consultés : Interrogavit (Assuerus) sapientes, qui ex more regio semper ei aderant, et illorum faciebat cuncta consilio, scientium leges ac jura majorum.

Ce dernier passage donne lieu à quelques réflexions, qui peuvent beaucoup contribuer à faire connaître le génie et le caractère du gouvernement des Perses.

Premièrement, le roi dont il y est parlé, c'est-à-dire Darius, a été l'un des plus célèbres qui aient régné dans la Perse, et l'un des plus recommandables pour sa sagesse et sa prudence, quoiqu'il n'ait point été sans défauts; et c'est à lui, aussi - bien qu'à Cyrus, qu'on attribue la plupart des excellentes lois qui y ont toujours subsisté depuis, et qui ont fait comme le fond et la règle du gouvernement. Or ce prince, quoique fort habile et fort éclairé, crut cependant avoir besoin de conseil, et il ne craignit point, en s'associant ainsi des coadjuteurs dans la décision des affaires, qu'on le soupçonnât de manquer de lumières : en quoi il marqua une supériorité de génie qui n'est pas commune, et qui suppose un grand fonds de mérite; car un prince qui n'a qu'une lumière et un esprit médiocres est tout plein de ses

pensées; et plus il est borné, moins il est docile. Il croit qu'on manque de respect pour lui quand on veut lui découvrir ce qu'il n'aperçoit pas ; et il s'offense comme d'une injure de ce qu'on ne paraît pas persuadé qu'étant le maître, il est aussi le plus clairvoyant. Darius pensait bien autrement, puisqu'il ne faisait rien sans conseil : illorum faciebat cuncta consilio.

En second lieu, Darius, quelque absolu qu'il fût, et quelque jaloux qu'il pût être de la prééminence de son rang, ne crut point y donner atteinte ni l'avilir en acceptant un conseil qui, sans partager avec lui l'autorité du commandement, qui réside toujours dans la personne du prince, n'avait que celle de la raison, et se bornait à lui faire part de ses lumières et de ses connaissances. Il était persuadé que le plus noble caractère de la puissance souveraine, quand elle est pure, et qu'elle n'a point dégénéré ni de son origine ni de sa fin, est de gouverner par les lois, de régler sur elles ses volontés, et de se croire interdit tout ce qu'elles défendent.

I

En troisième lieu, ce conseil, qui accompagnait partout le roi (ex more regio semper ei aderant), était un conseil subsistant et perpétuel, composé des plus grands seigneurs et des meilleures têtes de l'état, qui, sous la direction du prince, et toujours dépendamment de lui, étaient comme la source de l'ordre public, et l'origine de tout ce qui se faisait avec sagesse au-dedans et audehors de l'état. C'était sur ce conseil que le prince se déchargeait de plusieurs soins, qui l'auraient accablé s'il ne s'était fait soulager; et c'était par lui qu'il exé

I «

Regimur a te, et subjecti tibi, sed quemadmodùm legibus, sumus. ›› (Paneg. Traj.)

17 et 6. 2.

cutait ce qui avait été résolu. C'était par ce conseil subsistant que les grandes maximes de l'état se conservaient, que la connaissance de ses véritables intérêts se perpétuait, que la suite des affaires commencées se liait et s'entretenait, que les surprises et les innovations étaient empêchées. Car, dans un conseil public et général, les matières sont examinées par des hommes non suspects tous les ministres sont mutuellement les inspecteurs les uns des autres; toutes leurs lumières sur les affaires publiques se réunissent; et ils deviennent tous également capables de tout ce qui regarde le ministère, parce qu'ils sont obligés de s'instruire de toutes les matières pour opiner sensément, quoiqu'ils ne soient chargés pour l'exécution que d'un emploi limité.

Enfin, et c'est la quatrième réflexion qui me restait à faire, il est marqué que ceux qui composaient ce conseil étaient instruits à fond des lois, des maximes et des droits du royaume scientium leges ac jura majorum.

Deux choses, que l'Écriture nous apprend avoir été observées chez les Perses, pouvaient contribuer beaucoup à donner au roi et à ceux qui formaient son conseil, les connaissances nécessaires pour bien gouverner: 1. Esdr. 5, premièrement, ces reģistres publics, où tous les arrêts, toutes les ordonnances du prince, tous les priviléges donnés aux peuples, toutes les graces accordées aux Esdr. 4. 15, particuliers, étaient écrits: en second lieu, les annales du royaume, où tous les événements des règnes passés, les résolutions prises, les réglements établis, les services rendus par les particuliers, étaient rapportés fort exactement et dans un grand détail; annales qui étaient

et Esth. 6. 1.

éviter

soigneusement gardées, et souvent lues par les princes
et par les ministres, pour s'instruire du passé, pour
prendre une idée nette de l'état du royaume, pour
une conduite arbitraire, inégale, incertaine ; pour con-
server l'uniformité dans le maniement des affaires, et
pour puiser dans la lecture de ces livres les lumières
necessaires pour bien conduire l'état.

§ III. Administration de la justice.

C'est la même chose d'être roi et d'être juge. Le trône est un tribunal, et la souveraine autorité est un pouvoir suprême de rendre justice. « Dieu vous a établi 2. Paral. 9. 8. « roi sur son peuple, disait la reine de Saba à Salomon, «< afin que vous le jugiez, et que vous lui rendiez «< justice. » C'est pour mettre les princes en état de ne craindre que Dieu, qu'il leur a tout soumis. Il a voulu les attacher invinciblement à la justice, en les rendant indépendants. Il leur a donné tout son pouvoir; afin qu'ils ne pussent s'excuser sur leur faiblesse ; et il les a rendus maîtres de tous les moyens capables d'arrêter l'oppression et l'injustice, afin que devant eux elles fussent toujours tremblantes et hors d'état de nuire à qui que ce fût.

Mais qu'est-ce que cette justice que Dieu a confiée aux rois, et dont il les a rendus garants? c'est la même chose que l'ordre: et l'ordre consiste en ce que l'égalité soit gardée, et que la force ne tienne pas lieu de loi; que ce qui est à l'un ne soit pas exposé à la violence d'un autre; que les liens communs de la société ne soient pas rompus; que l'artifice et la fraude ne prévalent jamais sur l'innocence et la simplicité; que tout soit en paix sous la protection des lois; et que le plus

faible d'entre les citoyens soit mis en sûreté par l'autorité publique.

et

Il paraît, par plusieurs endroits de l'histoire, que les rois de Perse rendaient la justice par eux-mêmes. C'était pour les mettre en état de remplir dignement cette obligation, que dès leur jeunesse on avait soin de les instruire dans la connaissance des lois du pays, que dans les écoles publiques, comme nous l'avons dit de Cyrus, on leur apprenait la justice de la même manière qu'on enseigne ailleurs la rhétorique et la philosophie.

Voilà le devoir essentiel de la royauté. Il est juste et absolument nécessaire que le prince soit aidé dans cette auguste fonction, comme il l'est dans les autres; mais être aidé n'est point être dépouillé. Il demeure juge comme il demeure roi. Il communique son autorité, mais sans quitter sa place, ni la partager. Il paraît donc absolument nécessaire qu'il donne quelque temps à l'étude du droit public, non pour entrer dans un grand détail des lois, mais pour s'instruire des principales règles de la jurisprudence du pays, et pour se mettre en état de rendre justice, et d'opiner avec lumière sur des questions importantes. Les rois de Perse ne ́montaient point sur le trône sans s'être mis pendant quelque temps sous la conduite des mages, pour apprendre d'eux cette science, dont ils étaient seuls dépositaires, aussi-bien que de celle de la religion.

Puisque c'est au prince seul que la justice à été confiée, et qu'il n'y a dans ses états aucun autre pouvoir de la rendre que celui qu'il communique, c'est donc à lui à examiner entre les mains de qui il remet une partie de ce précieux dépôt, pour connaître si ceux

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