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L'ART POËTIQUE.

CHANT PREMIER.

C'EST envain qu'au Parnaffe un temeraire Auteur

Penfe de l'Art des Vers atteindre la hauteur.
S'il ne fent point du Ciel l'influence fecrete,
Si fon aftre en naiffant ne l'a formé Poëte,
Dans fon genie étroit il eft toûjours captif.
Pour luy Phébus eft fourd, & Pégaze est retif.

O vous donc, qui brûlant d'une ardeur perilleuse,
Courez du bel esprit la carriere épineuse,
N'allez pas fur des vers fans fruit vous confumer,
Ni prendre pour genie une amour de rimer.
Craignez d'un vain plaifir les trompeufes amorces,
Et confultez long-temps voftre efprit & vos forces.
La nature fertile en Efprits excellens,

Sçait entre les Auteurs partager les talens.
L'un peut tracer en vers une amoureufe flamme:
L'autre, d'un trait plaisant aiguiser l'Epigramme.

Malherbe d'un Heros peut vanter les exploits,
Racan chanter Philis, les Bergers, & les bois.
Mais fouvent un Efprit qui fe flatte, & qui s'aime,
Méconnoift fon genie, & s'ignore foi-même.
Ainfi Tel* autrefois, qu'on vit avec Faret
Charbonner de fes vers les murs d'un cabaret,
S'en va mal à propos, d'une voix infolente,
Chanter du peuple Hebreu la fuite triomphante,
Et poursuivant Moïfe au travers des deserts,
Court avec Pharaon fe noyer dans les mers.

Quelque fujet qu'on traite, ou plaifant, ou fublime,
Que toûjours le Bon fens s'accorde avec la Rime.
L'un l'autre vainement ils femblent fe haïr,
La Rime eft une efclave, & ne doit qu'obeïr.
Lors qu'à la bien chercher d'abord on s'évertuë,
L'efprit à la trouver aifément s'habituë.

Au joug de la Raison fans peine elle fléchit,
Et loin de la gefner, la fert & l'enrichit.
Mais lors qu'on la neglige, elle devient rebelle,
Et pour la ratraper, le fens court aprés elle.
Aimez donc la Raison. Que toûjours vos écrits
Empruntent d'elle feule & leur luftre & leur prix.

La plufpart emportez d'une fougue infenfée Toûjours loin du droit fens vont chercher leur pensée. Ils croiroient s'abbaiffer dans leurs vers monstrueux, S'ils penfoient ce qu'un autre a pû penfer comme eux. Evitons ces excés. Laiffons à l'Italie

De tous ces faux brillans l'éclatante folie.
Tout doit tendre au Bon fens: mais pour y parvenir
Le chemin eft gliffant & pénible à tenir.

Saint Amand, Auteur du Moïfe fauvė.

Pour peu qu'on s'en écarte, auffi-toft on se noye. La Raifon, pour marcher, n'a fouvent qu'une voye.

Un Auteur quelquefois trop plein de fon objet
Jamais fans l'épuiser n'abandonne un sujet.
S'il rencontre un Palais, il m'en dépeint la face:
Il me promene aprés de terraffe en terraffe :
Icy s'offre un perron, là regne un corridor,
Là ce balcon s'enferme en un baluftre d'or :
Il compte des plafonds les ronds & les ovales.
Ce ne font que Feftons, ce ne font qu'Aftragales*.
Je faute vingt feüillets pour en trouver la fin,
Et je me fauve à peine au travers du jardin.
Fuyez de ces Auteurs l'abondance fterile;
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop eft fade & rebutant:
L'efprit raffafié le rejette à l'instant.

Qui ne fçait se borner, ne fceut jamais écrire.
Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire.
Un vers eftoit trop foible, & vous le rendez dur.
J'évite d'eftre long, & je deviens obscur.
L'un n'eft point trop fardé, mais fa Mufe eft trop nuë.
L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nuë.
Voulez-vous du public meriter les amours?

Sans ceffe en écrivant variez vos difcours.
Un ftile trop égal & toûjours uniforme,
Envain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme.
On lit peu ces Auteurs nez pour nous ennuyer,
Qui toûjours fur un ton femblent pfalmodier.

Heureux, qui dans fes vers fçait d'une voix legere Paffer du grave au doux, du plaisant au severe!

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Son livre aimé du Ciel & cheri des Lecteurs,
Eft souvent chez Barbin entouré d'acheteurs.

Quoy que vous écriviez, évitez la baffeffe.
Le file le moins noble a pourtant fa nobleffe.
Au mépris du Bon fens, le Burlesque effronté
Trompa les yeux d'abord, plut par fa nouveauté.
On ne vit plus en vers que pointes triviales.
Le Parnaffe parla le langage des Hales.
La licence à rimer alors n'eut plus de frein.
Apollon travefti devint un Tabarin.

Cette contagion infecta les Provinces,

Du Clerc & du Bourgeois passa jusques aux Princes.
Le plus mauvais Plaifant eut fes approbateurs,
Et jufqu'à Daffouci tout trouva des Lecteurs.
Mais de ce ftile enfin la Cour defabufée,
Dédaigna de ces vers l'extravagance aisée;
Diftingua le naïf du plat & du bouffon,
Et laiffa la Province admirer le Typhon.
Que ce ftile jamais ne foüille voftre ouvrage.
Imitons de Marot l'élegant badinage,

Et laiffons le Burlesque aux Plaifans du Pont-neuf.
Mais n'allez point auffi, fur les pas de Brebeuf,
Mesme en une Pharfale entaffer fur les rives,
De morts & de mourans cent montagnes plaintives *.
Prenez mieux vôtre ton. Soyez fimple avec art,
Sublime fans orgueil, agreable fans fard.

N'offrez rien au Lecteur que ce qui peut luy plaire. Ayez pour la cadence une oreille fevere.

Que toujours dans vos vers, le fens coupant les mots, Sufpende l'hemiftiche, en marque le repos

* Vers de Brebeuf.

Gardez qu'une voyelle à courir trop hastée, Ne foit d'une voyelle en fon chemin heurtée.

Il est un heureux choix de mots harmonieux. Fuyez des mauvais fons le concours odieux. Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée Ne peut plaire à l'efprit, quand l'oreille eft bleffée. Durant les premiers ans du Parnaffe François, Le caprice tout feul faifoit toutes les loix. La Rime, au bout des mots affemblez fans mesure, Tenoit lieu d'ornemens, de nombre & de céfure. Villon fceut le premier, dans ces fiecles groffiers, Débrouiller l'art confus de nos vieux Romanciers. Marot bien-toft aprés fit fleurir les Ballades, Tourna des Triolets, rima des Mafcarades, A des refrains reglez affervit les Rondeaux, Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux. Ronfard qui le fuivit, par une autre methode Reglant tout, broüilla tout, fit un art à sa mode : Et toutefois long-temps eut un heureux deftin. Mais fa Mufe en François parlant Grec & Latin, Vit dans l'âge fuivant par un retour grotesque, Tomber de fes grands mots le faste pedantesque. Ce Poëte orgueilleux trébuché de fi haut, Rendit plus retenus Defportes & Bertaut. Enfin Malherbe vint, & le premier en France Fit fentir dans les vers une juste cadence : D'un mot mis en fa place enfeigna le pouvoir, Et reduifit la Mufe aux regles du devoir. Par ce fage Ecrivain la Langue reparée N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée. Les Stances avec grace apprirent à tomber, Et le vers fur le vers n'ofa plus enjamber.

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