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ODES,

EPIGRAMMES,

ET

AUTRES POËSIES.

DISCOURS

SUR L'ODE.

'ODE fuivante a efté composée à l'occafion de ces estranges Dialogues qui ont paru depuis quelque temps, où tous les plus grands Ecrivains de l'antiquité font traités d'Efprits mediocres, de gens à estre mis en parallele avec les Chapelains avec les Cotins, & où voulant faire honneur à noftre fiecle, on l'a en quelque forte diffammé, en faisant voir qu'il s'y trouve des Hommes capables d'écrire des chofes fi peu fenfées. Pindare eft des plus maltraitez. Comme les beautés de ce Poëte font extrêmement renfermées dans fa langue, l'Auteur de ces Dialogues, qui vrai-femblablement ne fçait point de Grec, & qui n'a leû Pindare que dans des traductions Latines affez defectueufes, a pris pour galimathias tout ce que la foibleffe de fes lumieres ne luy permettoit

pas de comprendre. Il a fur tout traité de ridicules ces endroits merveilleux, où le Poëte, pour marquer un efprit entierement hors de foy, rompt quelquefois de deffein formé la fuite de fon difcours; & afin de mieux entrer dans la raison, fort, s'il faut ainfi parler, de la raison même; évitant avec grand foin cet ordre methodique & ces exactes liaisons de fens qui ofteroient l'ame à la Poëfie Lyrique. Le Cenfeur dont je parle n'a pas pris garde qu'en attaquant ces nobles hardieffes de Pindare, il donnoit lieu de croire qu'il n'a jamais conceu le fublime des Pfeaumes de David, où, s'il eft permis de parler de ces faints Cantiques à propos de chofes fi profânes, il y a beaucoup de ces fens rompus qui fervent mefme quelquefois à en faire fentir la Divinité. Ce Critique, felon toutes les apparences, n'eft pas fort convaincu du precepte que j'ay avancé dans mon Art Poëtique, à propos de l'Ode.

Son file impetueux fouvent marche au hazard: Chez elle un beau defordre est un effet de l'Art.

Ce precepte effectivement qui donne pour regle de ne point garder quelquefois de regles, eft un myftere de l'Art, qu'il n'eft pas aifé de faire entendre à un Homme fans aucun gouf, qui croit que la Clelie & nos Opera font les modelles du Genre fublime; qui trouve Terence fade, Virgile froid, Homere de mauvais fens ; & qu'une efpece de bizarrerie d'efprit rend infenfible à tout ce qui frappe ordinairement les Hommes. Mais ce n'est

pas ici le lieu de luy montrer fes erreurs. On le fera peut-eftre plus à propos un de ces jours dans quelque autre Ouvrage.

Pour revenir à Pindare, il ne feroit pas difficile d'en faire fentir les beautés à des gens qui fe feroient un peu familiarifé le Grec. Mais comme cette Langue eft aujourd'huy affez ignorée de la pluspart des Hommes, & qu'il n'eft pas poffible de leur faire voir Pindare dans Pindare mefme; j'ay crû que je ne pouvois mieux juftifier ce grand Poëte, qu'en tâchant de faire une Ode en François à sa maniere, c'est-à-dire, pleine de mouvemens & de transports, où l'esprit paruft plûtoft entraîné du Demon de la Poëfie, que guidé par la raifon. C'est le but que je me fuis propofé dans l'Ode qu'on va voir. J'ay pris pour sujet la prise de Namur, comme la plus grande action de guerre qui fe foit faite de nos jours, & comme la matiere la plus propre à échauffer l'imagination d'un Poëte. J'y ay jetté autant que j'ay pû la magnificence des mots; & à l'exemple des anciens Poëtes Dithyrambiques, j'y ay employé les figures les plus audacieuses, jufqu'à y faire un Aftre de la plume blanche que le Roy porte ordinairement à fon chappeau : & qui eft en effet comme une espece de Comete fatale à nos Ennemis, qui fe jugent perdus dés qu'ils l'apperçoivent. Voilà le deffein de cet Ouvrage. Je ne répons pas d'y avoir réüffi; & je ne fçay fi le Public accouftumé aux fages emportemens de Malherbe, s'accommodera de ces faillies & de ces excés Pindariques. Mais, fuppofé que j'y aye échoüé, je m'en confoleray du moins par le com

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