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Et faire quereller les fens & la raison.
Ce n'eftoit pas jadis fur ce ton ridicule,

Qu'Amour dictoit les vers que foûpiroit Tibulle,
Ou que du tendre Ovide animant les doux fons,
Il donnoit de fon Art les charmantes leçons.
Il faut que le cœur feul parle dans l'Elegie.

L'Ode avec plus d'éclat & non moins d'énergie
Elevant jufqu'au Ciel fon vol ambitieux,

Entretient dans fes vers commerce avec les Dieux.
Aux Athletes dans Pife, elle ouvre la barriere,
Chante un Vainqueur poudreux au bout de la carriere,
Mene Achille fanglant aux bords du Simoïs,
Ou fait fléchir l'Escaut fous le joug de Louïs.
Tantoft comme une Abeille ardente à fon ouvrage,
Elle s'en va de fleurs dépouiller le rivage:
Elle peint les feftins, les danfes, & les ris,
Vante un baifer cueilli fur les levres d'Iris,
Qui mollement refifte, & par un doux caprice,
Quelquefois le refufe, afin qu'on le ravisse.*
Son ftile impetueux fouvent marche au hazard.
Chez elle un beau defordre eft un effet de l'art.
Loin ces Rimeurs craintifs, dont l'efprit phlegmatique
Garde dans fes fureurs un ordre didactique :
Qui chantant d'un Heros les progrés éclatans,
Maigres Hiftoriens, fuivront l'ordre des temps.
Ils n'ofent un moment perdre un fujet de veuë.
Pour prendre Dôle, il faut que l'Ifle foit renduë;
Et que leur vers exact, ainfi que Mezeray,
Ait fait déja tomber les remparts de Courtray.
Apollon de fon feu leur fut toûjours avare.

*Horace. Ode 12. liv. 2.

Malherbe d'un Heros peut vanter les exploits,
Racan chanter Philis, les Bergers, & les bois.
Mais fouvent un Efprit qui fe flatte, & qui s'aime,
Méconnoift fon genie, & s'ignore foi-même.
Ainfi Tel* autrefois, qu'on vit avec Faret
Charbonner de fes vers les murs d'un cabaret,
S'en va mal à propos, d'une voix infolente,
Chanter du peuple Hebreu la fuite triomphante,
Et poursuivant Moïfe au travers des deferts,
Court avec Pharaon fe noyer dans les mers.

Quelque fujet qu'on traite, ou plaisant, ou fublime,
Que toûjours le Bon fens s'accorde avec la Rime.
L'un l'autre vainement ils femblent fe haïr,
La Rime eft une efclave, & ne doit qu'obeïr.
Lors qu'à la bien chercher d'abord on s'évertuë,
L'efprit à la trouver aifément s'habituë.

Au joug de la Raifon fans peine elle fléchit,
Et loin de la gefner, la fert & l'enrichit.
Mais lors qu'on la neglige, elle devient rebelle,
Et pour la ratraper, le fens court aprés elle.
Aimez donc la Raifon. Que toûjours vos écrits
Empruntent d'elle feule & leur luftre & leur prix.

La plufpart emportez d'une fougue infenfée Toûjours loin du droit fens vont chercher leur pensće. Ils croiroient s'abbaiffer dans leurs vers monstrueux, S'ils penfoient ce qu'un autre a pû penfer comme eux. Evitons ces excés. Laiffons à l'Italie

De tous ces faux brillans l'éclatante folie.
Tout doit tendre au Bon fens: mais pour y parvenir
Le chemin eft gliffant & pénible à tenir.

Saint Amand, Auteur du Moïfe sauvé.

Pour peu qu'on s'en écarte, auffi-toft on se noye. La Raison, pour marcher, n'a souvent qu'une voye.

Un Auteur quelquefois trop plein de son objet
Jamais fans l'épuifer n'abandonne un fujet.
S'il rencontre un Palais, il m'en dépeint la face :
Il me promene aprés de terraffe en terraffe :
Icy s'offre un perron, là regne un corridor,
Là ce balcon s'enferme en un baluftre d'or :
Il compte des plafonds les ronds & les ovales.
Ce ne font que Feftons, ce ne font qu'Aftragales*.
Je faute vingt feüillets pour en trouver la fin,
Et je me fauve à peine au travers du jardin.
Fuyez de ces Auteurs l'abondance fterile;
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop eft fade & rebutant:
L'efprit raffafié le rejette à l'instant.

Qui ne fçait se borner, ne fceut jamais écrire.
Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire.
Un vers eftoit trop foible, & vous le rendez dur.
J'évite d'eftre long, & je deviens obfcur.
L'un n'eft point trop fardé, mais fa Mufe eft trop nuë.
L'autre a peur de ramper, il fe perd dans la nuë.
Voulez-vous du public meriter les amours?

Sans ceffe en écrivant variez vos difcours.
Un ftile trop égal & toûjours uniforme,
Envain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme.
On lit peu ces Auteurs nez pour nous ennuyer,
Qui toûjours fur un ton femblent psalmodier.

Heureux, qui dans fes vers fçait d'une voix legere Paffer du grave au doux, du plaisant au fevere!

Vers de Scuderi.

Son livre aimé du Ciel & cheri des Lecteurs,
Eft fouvent chez Barbin entouré d'acheteurs.

Quoy que vous écriviez, évitez la baffeffe.
Le file le moins noble a pourtant fa nobleffe.
Au mépris du Bon sens, le Burlesque effronté
Trompa les yeux d'abord, plut par fa nouveauté.
On ne vit plus en vers que pointes triviales.
Le Parnaffe parla le langage des Hales.
La licence à rimer alors n'eut plus de frein.
Apollon travefti devint un Tabarin.

Cette contagion infecta les Provinces,

Du Clerc & du Bourgeois paffa jufques aux Princes.
Le plus mauvais Plaifant eut fes approbateurs,
Et jufqu'à Dafsouci tout trouva des Lecteurs.
Mais de ce ftile enfin la Cour defabusée,
Dédaigna de ces vers l'extravagance aisée;
Diftingua le naïf du plat & du bouffon,
Et laiffa la Province admirer le Typhon.
Que ce ftile jamais ne foüille voftre ouvrage.
Imitons de Marot l'élegant badinage,

Et laiffons le Burlefque aux Plaifans du Pont-neuf.
Mais n'allez point auffi, fur les pas de Brebeuf,
Mefme en une Pharfale entaffer fur les rives,
De morts & de mourans cent montagnes plaintives *.
Prenez mieux vôtre ton. Soyez fimple avec art,
Sublime fans orgueil, agreable fans fard.

N'offrez rien au Lecteur que ce qui peut luy plaire. Ayez pour la cadence une oreille fevere.

Que toujours dans vos vers, le fens coupant les mots, Sufpende l'hemiftiche, en marque le repos

* Vers de Brebeuf.

Gardez qu'une voyelle à courir trop haflée, Ne foit d'une voyelle en fon chemin heurtée.

Il est un heureux choix de mots harmonieux. Fuyez des mauvais fons le concours odieux. Le vers le mieux rempli, la plus noble penfée Ne peut plaire à l'efprit, quand l'oreille eft bleffée. Durant les premiers ans du Parnaffe François, Le caprice tout feul faifoit toutes les loix. La Rime, au bout des mots affemblez fans mefure, Tenoit lieu d'ornemens, de nombre & de céfure. Villon fceut le premier, dans ces fiecles groffiers, Débrouiller l'art confus de nos vieux Romanciers. Marot bien-toft aprés fit fleurir les Ballades, Tourna des Triolets, rima des Mafcarades, A des refrains reglez affervit les Rondeaux, Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux. Ronfard qui le fuivit, par une autre methode Reglant tout, broüilla tout, fit un art à fa mode : Et toutefois long-temps eut un heureux deflin. Mais fa Mufe en François parlant Grec & Latin, Vit dans l'âge fuivant par un retour grotefque, Tomber de fes grands mots le faste pedantesque. Ce Poëte orgueilleux trébuché de si haut, Rendit plu s retenus Defportes & Bertaut. Enfin Malherbe vint, & le premier en France Fit fentir dans les vers une juste cadence: D'un mot mis en fa place enfeigna le pouvoir, Et reduifit la Mufe aux regles du devoir. Par ce fage Ecrivain la Langue reparée N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée. Les Stances avec grace apprirent à tomber, Et le vers fur le vers n'ofa plus enjamber.

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