CHANT III. Il n'est point de Serpent, ni de Monstre odieux, Qui par l'art imité ne puiffe plaire aux yeux. Du plus affreux objet fait un objet aimable. Envain vous étalez une fcene fçavante; Que dés les premiers vers l'Action préparée, Sans peine du Sujet applaniffe l'entrée. Je me ris d'un Acteur qui lent à s'exprimer, De ce qu'il veut, d'abord ne fçait pas m'informer, Et qui débrouillant mal une penible intrigue D'un divertiffement me fait une fatigue. J'aimerois mieux encor qu'il declinaft fon nom, Et dift, je fuis Orefte, ou bien Agamemnon: Que d'aller par un tas de confufes merveilles, Sans rien dire à l'efprit, étourdir les oreilles. Le fujet n'eft jamais affez-toft expliqué. Que le Lieu de la fcene y foit fixe & marqué. Un Rimeur, fans peril, delà les Pirenées Sur la fcene en un jour renferme des années. Là fouvent le Heros d'un fpectacle groffier, Enfant au premier acte, eft barbon au dernier. Mais nous, que la Raifon à fes regles engage, Nous voulons qu'avec art l'Action fe ménage : Qu'en un Lieu, qu'en un Jour, un feul Fait accompli Tienne jufqu'à la fin le Theatre rempli. Jamais au Spectateur n'offrez rien d'incroyable. Le Vrai peut quelquefois n'eftre pas vraisemblable. Une merveille abfurde eft pour moy fans appas. L'efprit n'eft point émû de ce qu'il ne croit pas. Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expofe : Les yeux en le voyant faifiroient mieux la chofe. Mais il eft des objets, que l'Art judicieux Doit offrir à l'oreille, & reculer des yeux. Que le trouble toûjours croiffant de scene en scene A fon comble arrivé fe débrouille fans peine. L'efprit ne se sent point plus vivement frappé, Que lors qu'en un sujet d'intrigue enveloppé, D'un fecret tout à coup la verité connuë Change tout, donne à tout une face imprevuë. La Tragedie informe & groffiere en naiffant N'eftoit qu'un fimple Choeur, où chacun en dansant, Et du Dieu des raifins entonnant les loüanges, S'efforçoit d'attirer de fertiles vendanges. Là le vin & la joye éveillant les efprits, Du plus habile Chantre un Bouc eftoit le prix. Chez nos devots Ayeux le Theâtre abhorré Fut long-temps dans la France un plaifir ignore. De Pelerins, dit-on une Troupe groffiere En public à Paris y monta la premiere, Joüa les Saints, la Vierge & Dieu, par pieté. Bien-toft l'Amour fertile en tendres fentimens Eft pour aller au cœur la route la plus fûre. Des Heros de Roman fuyez les petiteffes : L'air, ni l'esprit François à l'antique Italie, Et fous des noms Romains faisant nôtre portrait, D'un nouveau Perfonnage inventez-vous l'idée ? Qu'en tout avec foi-mefme il fe montre d'accord, Et qu'il foit jufqu'au bout tel qu'on l'a vû d'abord. Souvent, fans y penfer, un Ecrivain qui s'aime, Forme tous fes Heros femblables à foi-même. Tout a l'humeur Gascone, en un Auteur Gafcon. Calprenede & Juba* parlent du mesme ton. La nature eft en nous plus diverfe & plus fage. Chaque paffion parle un differend langage. La Colere eft fuperbe, & veut des mots altiers. L'Abbattement s'explique en des termes moins fiers. Que devant Troye en flamme Hecube defolée Ne vienne pas pouffer une plainte empoulée, Ni fans raifon décrire en quels affreux païs, Par fept bouches l'Euxin reçoit le Tanaïs **. Tous ces pompeux amas d'expressions frivoles Sont d'un Déclamateur amoureux des paroles. Il faut dans la douleur que vous vous abbaissiez. Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez. Ces grands mots dont alors l'Acteur emplit sa bouche, Ne partent point d'un cœur que fa mifere touche. * Heros de la Cleopatre. ** Seneque le Tragique, Troade Sc. 1. |