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Vie humaine, jeu de la folie.

QUELLE puissance rassembla dans les villes, ces hommes sauvages, sortis du creux des chènes ou du sein des pierres, sinon celle de la flatterie La lyre d'Amphion et d'Orphée en est l'emblême. Comment le peuple de Rome, prêt à se porter aux plus grands excès, fut-il ramené à la concorde? Est-ce par une harangue philosophique ? point du tout; mais par un conte de bonne femme " sur l'estomac et les autres parties du corps. Thémistocle tira le même parti d'un apologue semblable dont le renard et le hérisson sont les personnages (1). Le plus grave discours auroit-il produit autant d'effet, que la biche controuvée de Sertorius (2)? Que la queue du cheval dont il faut arracher les crins? Que les deux chiens de Lycurgue (3)? Je ne parle pas de Minos et de Numa qui menèrent les hommes par des fables. Ce sont les enfantillages qui agissent sur cette énorme bête qu'on appelle le peuple.

Citez-moi une république qui ait adopté les lois de Platon, celles d'Aristote les maximes de Socrate? Pourquoi les Décius se dévouèrent-ils aux dieux Manes? Pourquoi Curtius se précipita-t-il dans un gouffre? Quel

crins de la queue d'un cheval. Le premier, qui avoit le bras vigoureux et l'intelligence bornée, voulut arracher les cring de son cheval tous à la fois. Il n'en put pas venir à bout. Le second qui n'avoit qu'une force ordinaire, mais du bon sens, les arracha l'un après l'autre.

(3) Lycurgue, pour faire voir que l'éducation fait les hommes ce qu'ils sont, leur conta la fable de Laridon et de César, que La Fontaine a mise en vers.

Q. Curtium in specum traxit, nisi inanis gloria, dulcissima quædam Siren, sed mirum quàm à sapientibus istis damnata? Quid enim stultius, inquiunt, quàm supplicem candidatum blandiri populo, congiariis favorem emere, venari tot stultorum applausus, acclamationibus sibi placere, in triumpho veluti signum aliquod populo spectandum circumferri, æneum in foro stare Adde his nominum et cognominum adoptiones. Adde divinos honores homuncioni exhibitos, adde publicis ceremoniis in deos relatos etiam sceleratissimos tyrannos. Stultissima sunt hæc, et ad quæ ridenda non unus sufficiat Democritus. Quis negat? Atqui hoc fonte nata sunt fortium heroum facinora, quæ tot eloquentium virorum litteris in cœlum tolluntur. Hæc stultitia parit civitates, hâc constant imperia, magistratus, religio, consilia, judicia, nec aliud omninò est vita humana, quam stultitiæ lusus quidam.

Singulis gentibus sua Philautia est.

VIDEO naturam, ut singulis mortalibus suam, ita singulis nationibus ac penè civitatibus communem quandam insevisse philautiam: Atque hinc fieri, ut Britanni præter alia, formam, musicam, et lautas mensas propriè sibi vindicent Scoti, nobilitate, et regiæ affinitatis titulo, neque non dialecticis argutiis sibi blandiantur: Galli morum civilitatem sibi sumant: Parisienses, theologica scientiæ laudem, omnibus prope submotis, sibi peculiariter arre

fut leur motif? Point d'autre que la chimère de la gloire, cette sirène qui est l'idole des hommes, et contre laquelle déclament les sages. Quoi de plus fou, disent-ils, que de s'affubler d'une robe blanche 9 pour aller cajoler le peuple, d'acheter chèrement sa faveur, de courir après les applaudissemens d'un public insensé, de se repaître de ses acclamations, de se donner en spectacle dans un char de triomphe, comme une statue qu'on promène, et de s'en faire ériger une dans la place publique Ajoutez à tout cela cette profusion de titres pompeux; ces honneurs divins accordés à un misérable mortel; tant d'horribles tyrans solennellement placés au rang des dieux. Voilà d'insignes folies, et ample matière, pour mille Démocrites. Personne ne le conteste. Mais reconnoissez aussi que c'est la source de ces faits héroïques, qui ont été célébrés par les plumes savantes. Cette folie est la mère des cités, et la force des empires, de l'autorité, de la religion et des lois. En un mot, la vie humaine n'est qu'un jeu de la folie.

Chaque Nation a son Amour-propre.

LA nature a caractérisé les nations, comme les individus, par un amour-propre qui les distingue. Les Anglais se flattent d'être les plus beaux des hommes, d'avoir table exquise, et la meilleure musique du monde. Les Ecossais se vantent d'être issus du sang des rois et les plus subtils dialecticiens de la terre. Les Français s'arrogent la politesse, et les Parisiens la possession exclusive de la science

gent: Itali bonas litteras et eloquentiam asserant, atque hoc nomine sibi suavissimè blandiantur omnes, quod soli mortalium barbari non sint. Quo quidem in genere felicitatis, Romani primas tenent, ac veterem illam Romam adhuc jucundissimè somniant. Veneti nobilitatis opinione sunt felices. Græci tanquam disciplinarum auctores, veteribus illis laudatorum heroum titulis sese venditant.

DEMOSTHENIS

PHILIPPICA PRIMA.

INTERPRETE JUVENCIO.

Si quid novi negotii in deliberationem voca

retur, Athenienses, tamdiu continuissem ipse me tacitus, donec plerique ex iis quibus eam facultatem dat consuetudo, sententiam suam aperuissent; ac si quidem ea mihi placuisset, acquievissem; sin minùs, tunc ipse, quæ sentio, in medium protulissem.

Nunc verò quoniam ita res tulit ut ea nunc expendenda proponantur, de quibus isti sæpiùs anteà perorârunt, futurum confido ut mihi, quòd primus ad dicendum surgam, venia facilè concedatur. Certè si ductâ è rebus præteritis conjecturâ, verum consilium, et

théologique. Les Italiens s'enorgueillissent de leur littérature, de leur éloquence, et d'être le seul peuple qui ne soit pas barbare. Cette opinion fait leur bonheur, sur-tout celui des Romains, qui rêvent toujours délicieusement à leur ancienne Rome. Les Vénitiens se repaissent de leur noblesse; les Grecs, de la gloire de leurs anciens héros, et de l'honneur d'avoir été les pères des lettres.

PREMIÈRE PHILIPPIQUE DE DÉMOSTHÈNE.

Trad. de l'abbé d'OLIVET.

ATRENIENS, si l'objet de cette délibération étoit quelque chose de nouveau, j'aurois attendu que plusieurs (1) de mes anciens eussent parlé et alors, s'ils m'avoient paru ouvrir un bon avis, j'y aurois souscrit par mon silence: ou, pensant autrement qu'eux, j'au rois cherché à vous faire entendre mes raisons:

Mais puisqu'il s'agit d'une affaire déjà rebattue tant de fois, vous serez, je m'en flatte assez équitables pour me pardonner d'avoir saisi la parole. Car enfin, si jusqu'ici l'on

1

(1) Quand le peuple étoit assemblé, un Héraut crioit : Quelqu'un au-dessus de cinquante ans veut-il parler ? Et qui encore? Chacun à son tour. Après quoi, selon la loi de Solon, c'étoit aux plus anciens à parler les premiers. Mais du temps de Démosthène, cette loi ne s'observoit plus à la rigueur. Il n'étoit que dans sa trentième année, lorsqu'il prononça cette harangue, qui, à beaucoup près, ne fut pas son coup d'essai,

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