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Le Rat de ville et le Rat des champs.

AUTREFOIS le rat de ville
Invita le rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'ortolans.

Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête;
Rien ne manquoit au festin:
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étoient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit:
Le rat de ville détale;
Son camarade le suit.

Le bruit cesse ; on se retire:
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire:

Achevons tout notre rôt.

C'est assez, dit le rustique:

Demain vous viendrez chez moi.

Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de roi:

Mais rien ne vient m'interrompre.

Je mange tout-à-loisir.

Adieu donc fi du plaisir

:

Que la crainte peut corrompre.

Les Voleurs et l'Ane.

POUR un åne enlevé, deux voleurs se battoient L'un vouloit le garder, l'autre le vouloit vendre. Tandis que coups de poing trottoient, Et que nos champions songeoient à se défendre, Arrive un troisième larron,

Qui saisit maître Aliboron.

L'âne, c'est quelque fois une pauvre province; Les voleurs sont tel et tel prince,

Qualis Arabs, Turca, Gepida; quærenti duos,
Mihi camœna felix ternos repperit.

Malæ hujus nunquam defit mercis copia.
Pugnantûm sæpè nullus arces occupat.
Prædator quartus bellum subitò conficit,
Dùm litigiosam dexter pecudem præripit.

Mors et Homo infelix.

QUOTIDIE Sic Vocabat mortem rusticus:
O Mors! videris pulchra quàm mihi! asperis
Ut ærumnis me solvas, ades, ocius ades.
Se bene mereri de misero rata Mors venit,
Pede limen pulsat, ingreditur, sese exhibet:
Quidnam, ille clamat, video? speciem hanc amove;
Quam tetra! totos terror artus mihi quatit.

Ne propius accedas, ô Mors! ô Mors esto procul !
Erat Mecœnas lepidus: sim, inquit, debilis,
Sim podager, mancus, nil nisi truncus impotens.
Si modò das tantùm vivere, sum beatior.

O Mors, advenias nunquam : idem omnes te rogant.

Quercus et Arundo.

QUONDAM ilex allocuta sic arundinem:
Tu de naturâ meritò possis conqueri.
Est regaliolus pondus tibi gravissimum.
Qui vix allambens crispat undam ventulus,
Cogit te debilem caput demittere,

Dùm mea frons æqua Caucaso, vim fervidam
Solis coërcet, impetum frangit noti.

Est aura quævis, Aquilo tibi, Zephyrus mihi.
Saltem, fuisses nata si sub tegmine,
Vicinos patula quo locos circumtego,
Non subjaceres tantis cœli incommodis,

Comme le Transilvain, le Turc et le Hongrois.
Au lieu de deux j'en ai rencontré trois :
Il est assez de cette marchandise.

De nul d'eux n'est souvent la province conquise:
Un quart voleur survient qui les accorde net,
En se saisissant du baudet.

La Mort et le Malheureux.

Un malheureux appeloit tous les jours
La mort à son secours.

O Mort! lui disoit-il, que tu me sembles belle?
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle !
La mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je cria-t-il : òtez-moi cet objet!

Qu'il est hideux! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi !
N'approche pas, ô Mort! ô Mort, retire-toi.
Mécenas fut un galant homme :

Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort, on t'en dit tout autant.

Le Chêne et le Roseau.

Le chêne un jour dit au roseau : Vous avez bien sujet d'accuser la nature; Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ; Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête :

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor, si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir ;

A te procellarum pugnas depellerem ;

Sed parit, humentem ad oram, vestra vos parens;
Quà ventus debacchatur ineluctabilis.
Natura quàm te genuit iniquo sidere !
Hæc tua benignæ est indolis miseratio,
Arundo retulit, talem sed curam abjice.
Plus tibi metuenda venti feritas, quam mihi;
Flector, non frangor. Efferventium horridos
Tempestatum ictus, non curvato vertice,
Húc usque sustinuisti. At erit quis exitus?
Dum fatur, soboles boreæ furibunda irruit,
Arctoo qualis nulla erupit de polo.

Stat arbor, spontè se deprimit arbuscula.
Ingeminat vires aquilo : ad extremum ita quatit,
Superbam evellat ut ab imis radicibus,
Quæ capite cœlum, avernum tangebat pede.

SELECTÆ

FR. JOS. DESBILLIONS (1),

Fabulæ ESOPIE.

Musarum Alumnus et Bombyx.

MUSARUM

USARUM Alumnus, junior, nugax, levis,
Osor librorum, cubiculumque, quo suus
Ipsum magister detinebat sedulò,
Horrere solitus pejùs atro carcere,
Luctum ut fugaret, falleretque tædium,
Bombycem alebat. Hunc videns subtilibus
Quæ neverat ipse, filis sese involvere :
O stulta bestia, istis quæ laboribus
Perfungeris, ait, ut tibi carcerem struas!

(1) Savant jésuite, mort en 1789, à la cour de l'Électeur palatin, qui l'avoit accueilli et pensionné après l'extinction de la Société.

Je vous défendrois de l'orage:
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel : mais quittez ce souci;

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disoit ces mots,
Du bout de l'horison accourt avec furie

Le plus terrible des enfans

Que le nord eût porté jusque là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts;

Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,
Et dont les pieds touchoient à l'empire des morts.

FABLES CHOISIES

DE DESBILLIONS,

A l'imitation de celles d'És OPE.

Trad. de l'Auteur.

UN

L'Ecolier et le Ver à soie.

N Ecolier, jeune, étourdi, léger, grand ennemi des livres, regardoit comme un noir cachot la chambre où son maître le tenoit soigneusement renfermé. Le petit paresseux, pour se dissiper et charmer son ennui, élevoit un Ver à soie. Lorsqu'il le vit s'envelopper dans la coque qu'il avoit filée lui-même : Insensé, lui dit-il, que de peines tu te donnes pour te bâtir une prison! Si je ne faisois ce que tu me reproches, répliqua le Ver à soie, je ne serais jamais

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