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deux guerres où un roi eut le malheur de combattre contre ses peuples, furent véritablement l'époque la plus brillante de sa vie. Il y montra la plus grande valeur, et cette intrépidité froide, qui dans les dangers honoreroit tout autre même qu'un prince: mais il fut plus aisé à Louis XIII d'avoir des succès que de la réputation. Loué par une foule d'orateurs, chanté par Malherbe, célébré à sa mort par Lingendes, placé par la nature entre Richelieu et Corneille, il prouva que le caractere seul peut donner du prix aux actions, aux vertus, aux succès même, et que les pané gyristes, malgré leurs talents, ne donnent pas toujours le ton à la renommée. On peut dire que sous ce regne la gloire environna le trône sans parvenir jusqu'au prince.

Cette gloire se porta toute entiere vers Richelieu. Lorsque dans une monarchie il s'éleve un sujet, qui par les circonstances ou ses talents obtient un grand pouvoir, aussitôt les hommages et les regards se tour'nent de ce côté; tout ce qui est foible, est porté par sa foiblesse même à admirer ce qui est puissant. Mais si ce sujet qui commande, a une grandeur altiere qui en impose, si par son caractere il entraîne tout, s'il se sent nécessaire à son maître en le servant; si à cette grandeur empruntée qu'il avoit d'abord, il en substitue une autre presqu'indépendante, et qui par la force de son génie lui soit personnelle; si de plus, il a des suc

cès, et que la fortune paroisse lui obéir comme les hommes, alors la louange n'a plus de bornes. Les courtisans le louent par intérêt; le peuple par un sentiment qui lui fait respecter tout ce qu'il craint; les gens à imagination par enthousiasme. Alors les orateurs lui vendent leurs panégyriques, les poëtes leurs vers. Les éloges commencés par le respect ou par la crainte, continuent par l'habitude; et il se fonde une grande réputation chez la postérité, qui reçoit des siecles précédents l'admiration des noms célebres, comme elle reçoit son culte et ses loix. Tel a été le sort du cardinal de Richelieu. C'est un des hommes qui a été le plus loué, et de son vivant et après sa mort. Poëtes, orateurs, historiens, politiques tout l'a célébré. Mais il n'y a presque rien qui n'ait deux faces. La haine est à côté de la gloire, et ces caracteres dont l'ascendant subjugue tout, sont par leur vigueur même voisins de l'excès. Il n'est donc pas étonnant qu'on ait tracé des tableaux différents de ce fameux cardinal.

Les uns frappés de ses grandes qualités de ministre et d'homme d'état, l'ont admiré sans réserve. Ils l'ont peint comme un esprit souple et puissant, qui malgré les ennemis et les rivaux parvint aux premieres places, et s'y soutint malgré les factions; qui opposoit sans cesse le génie à la haine et l'activité aux complots; qui environné de ses ennemis qu'il falloit combattre, avoit

en même temps les yeux ouverts sur tous les peuples; qui saisissoit d'un coup-d'oeil la marche des états, les intérêts des rois. les intérêts cachés des ministres, les jalousies sourdes; qui dirigeoit tous les événements par les passions; qui par des voies différentes marchant toujours au même but, distribuoit à son gré le mouvement ou le repos, calmoit la France et bouleversoit l'Europe; qui dans son grand projet de combattre l'Autriche, sut opposer la Hollande à l'Espagne, la Suede à l'Empire l'Allemagne à l'Allemagne, et l'Italie à l'Italie; qui enfin achetoit par-tout des alliés, des généraux et des armées, et soudoyoit d'un bout de l'Europe à l'autre, la haine et l'intérêt. Ils ont loué ce mélange d'adresse et de force, avec lequel il abattit pour jamais le parti long-temps redoutable des Calvinistes, armant les protestants de Hollande contre ceux de France, et retardant les flottes de l'Angleterre. Ils ont loué ce gouvernement intrépide, qui en révoltant tout, enchaînoit tout; qui pour le bonheur éternel de la France, écrasa et fit disparoître ces forces subalternes qui choquent et arrêtent l'action de la force principale d'autant plus terribles qu'en combattant le prince, elles pesent sur le peuple, qu'étant précaires, elles se hâtent d'abuser, que nées hors des loix, elles n'ont point de limites qui les bornent. Ils ont loué enfin cet amour des lettres et des arts, qui au milieu des

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et

agitations de l'Europe qu'il ébranloit, lui fit fonder l'académie Françoise dont il fut le chef; amour des lettres qu'il avoit par goût, et qu'il fit naître, dit-on, par politique, qui substitua chez les François l'ambition des talents à celle des cabales une activité plus douce, à cette activité fénourrie de factions et de crimes. Tel est le point de vue sous lequel les admirateurs et les panégyristes du cardinal de Richelieu nous le présentent.

roce,

D'un autre côté, ceux qui diminuent sa gloire, en convenant qu'il mérita une partie de ces éloges, discutent le reste. Sur l'art de négocier, et sur les intérêts politiques de l'Europe, ils conviennent qu'il montra du génie et une grande supériorité de vues: mais dans ce genre même ils lui reprochent une faute importante; c'est le traité de 1635, portant partage des Pays-Bas Espagnols, entre la France et la Hollande. Ce traité fut l'époque qui apprit aux Hollandois qu'ils avoient besoin de barriere contre la France; et Richelieu qui vouloit les unir à lui contrel'Espagne, en montrant son ambition glaçı leur zele. C'est donc à lui qu'ils attribuent la premiere origine de cette défiance qui éclata toujours depuis entre la cour de Versailles et celle de la Haye.

Quelques-uns même vont jusqu'à lui faire un reproche de cette politique si vaste, tant admirée par d'autrès. Ils remarquent qu'au dehors comme au dedans, son ministere

fut tout à la fois éclatant et terrible; qu'il dé truisit bien plus qu'il n'éleva; que tandis qu'il combattoit des rebelles en France, il souffloit la révolte en Allemagne, en Angleterre et en Espagne; qu'il créa le premier, ou développa dans toute sa force le systême de politique qui veut immoler tous les états à un seul; qu'enfin il épouvanta l'Europe comme ses ennemis.

Ils avouent que l'abaissement des grands étoit nécessaire; mais ceux qui ont réfléchi sur l'économie politique des états, demandent si appeller tous les grands proprié taires à la cour, ce n'étoit pas, en se rendant très-utile pour le moment, nuire par la suite à la nation, et aux vrais intérêts du prince; si ce n'étoit pas préparer de loin le relâcheinent des moeurs, les besoins du luxe, la détérioration des terres, la diminution des richesses du sol, le mépris des provinces, l'accroissement des capitales; si ce n'étoit pas forcer la noblesse à dépendre de la faveur, au lieu de dépendre du devoir; s'il n'y auroit pas eu plus de grandeur comme de vraie politique à laisser les nobles dans leurs terres et à les contenir, à déployer sur eux une autorité qui les accoutumât à être sujets, sans les forcer à être courtisans. Si on leur objecte la difficulté, ils répondent par l'exemple de Henri IV, qui affermi sur le trône suivit ce plan, et le suivit avec succès. Ils conviennent enfin que peut-être dans de

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