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vastes empires, tels que la Chine et la Russie, où, entre la capitale et les provinces, il y a quelquefois douze cents lieues de distance, la réaction du centre aux extrémités doit être souvent arrêtée dans sa course; qu'ainsi il pourroit être utile d'y rassembler dans une cour tous les grands comme des ôtages de l'obéissance publique et de la leur mais ils demandent s'il en est de même dans les petits états de l'Europe, où le maître est toujours sous l'œil de la nation, et la nation sous l'oeil du maître, et où l'autorité inévitable et prompte peut à chaque instant tomber sur le coupable.

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Les appréciateurs séveres du cardinal de Richelieu examinent ensuite, quels sont les moyens dont ce ministre célebre se servit pour élever l'autorité royale et la sienne au dessus des grands qu'il combattoit; et ils lui reprochent ses haines, ses vengeances, et ce caractere fier et terrible qui ne pardonna jamais.

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Ainsi sur le même ministere, on présente deux tableaux, l'un d'éclat et de grandeur l'autre moins favorable sans doute. C'est à ceux qui ont étudié l'histoire, à juger sur les faits. En général, ces grandes vues du ministere, qui s'occupent de projets d'humanité, et qui par des établissements utiles cherchent à tirer le plus grand parti possible, et de la terre et des hommes, semblent lui avoir été peu conAG

nes. Ce n'est pas qu'il ne liât sa gran deur à celle de sa nation; mais l'espece de grandeur qu'il lui donna, fut toute en renommée. Soit le défaut des circonstances, soit celui d'une imagination ardente et forte il fut sans cesse entraîné vers des objets d'éclat. Peut-être ressembla-t-il au sénat de Rome, qui remuoit toutes les nations. pour être le maître de la sienne, et cimentoit son pouvoir au dedans par les victoires et le sang versé au loin sur les champs de batailles.

Quelque jugement qu'on porte sur le caractere moral de ce ministre, le premier de son siecle, et fort supérieur aux Bukingham et aux Olivarès qu'il eût à combattre, son nom dans les temps sera mis bien loin hors de la foule des noms: ordinaires, parce qu'il donna une grandeimpulsion au dehors; qu'il changea la direction des choses au dedans; qu'il abattit ce qui paroissoit ne pouvoir l'être; qu'il prépara par son influence et son génie un siecle célebre; enfin, parce qu'un grand caractere en impose même à la postérité et que la plupart des hommes ayant une imagination vive et une ame foible, ont besoin d'être étonnés, et veulent, dans la société comme dans une tragédie, du mou-. vement et des secousses. De là, en pensant aux hommes d'état qui ont agité les nations, une sorte de respect qui se joint quelquefois à la haine, et une admi→

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ration pénible, mêlée de plaisir et de

crainte.

Après Richelieu, il seroit difficile de ne pas dire un mot des panégyriques ou éloges adressés au cardinal Mazarin. Il fut beaucoup moins loué : il n'avoit ni cet éclat de grandeur qui éblouit, ni ce caractere altier qui respirant la hauteur et la vengeance, subjugue par la terreur même. On adore à proportion que l'on craint. Il y avoit plus d'offrandes à Rome sur les autels de la Fiévre, que sur ceux de la Concorde et de la paix. On sait qu'en général, Mazarin étoit timide et foible. Il caressoit les ennemis dont Richelieu eût abattu les têtes. Avec cette conduite on est moins haï sans doute mais on n'en paroît pas plus grand. Il est des hommes qui pardonnent encore plutôt. le mal qu'on fait avec éclat, que le bien qu'on fait avec foiblesse. D'ailleurs le rôle que ce ministre joua dans la Fronde; ses fuites, ses terreurs, sa proscription, source de plaisanteries; les bons mots des Marignis et des Grammonts, espece d'armes qui sou-mettent à l'homme d'esprit l'homme puissant, et qu'il est plus aisé de dédaigner en apparence que de ne les pas craindre; les vaudevilles et les chansons, qui chez un peuple léger communiquent si rapidement le ridicule, et l'éternisent; tout cela devoit peu contribuer à exciter l'enthousiasme des orateurs. Il faut une certaine dignité de ré-, putation, pour soutenir la pompe des

éloges. Ajoutez que les talents de Mazarin n'étoient pas assez éclatants pour racheter sesdéfauts. Iln'eut ni dans les factions la fierté brillante et l'esprit romanesque et imposant du cardinal de Retz, ni dans les affaires l'activité et le coup-d'oeil d'aigle de Richelieu, ni dans les vues économiques les principes de Sully, ni dans l'administration intérieure les détails de Colbert, ni dans les desseins politiques l'audace, et je ne sais quelle profondeur vaste du cardinal Albéroni. Son grand mérite fut l'art de négocier; il y porta toute la finesse Italienne avec la sagacité d'un homme, qui pour s'élever a eu besoin de connoître les hommes, et a appris à les manier, en les faisant servir d'instruments à sa fortune. C'est ce qui en fit un politique adroit plutôt qu'un grand ministre. Son ame accoutumée long-temps à la souplesse, n'eut pas toujours le caractere des grandes places. Mais il dirigea la paix de Munster, il fit la paix des Pyrénées il donna l'Alsace à la France, il prévit peut-être qu'un jour la France pourroit commander à l'Espagne; voilà ses titres pour la renommée.

Soutenu de ces titres et de sa puissance il trouva des panégyristes. Je ne connois rien de plus méprisable en ce genre que les éloges qui lui furent adressés par l'auteur du poëme Latin de la Callipédie. Quillet (c'est le nom du poëte) ennemi du cardinal, on ne sait pourquoi, dans la premiere édition

de son ouvrage avoit inséré plusieurs morceaux contre lui. Mazarin le fit appeller, lui fit des reproches de ce qu'il traitoit si mal ses amis, et lui donna sur le champ une abbaye de quatre mille livres. Quillet eut d'abord la bassesse d'accepter ce bienfait d'un homme dont il avoit dit du mal; et comme s'il n'eût attendu qu'un salaire, dès qu'il fut payé, il fut flatteur. Il fit une dédicace au même homme qu'il avoit outragé, et substitua par-tout l'éloge à la satyre, trouvant le moyen de s'avilir à la fois par tous les deux. Ce n'est point que je blâme la reconnoissance: elle est le plus doux comme le plus sacré des devoirs; et si dans les jugements qu'elle inspire, elle peut quelquefois tromper, il faut respecter ses erreurs même. Mais la reconnoissance est au moins très-suspecte, quand elle n'a point été précédée par l'estime, l'estime, et que le salaire se trouve à côté de l'éloge. Une ame délicate et fiere n'auroit rien reçu ; et alors il lui eût été permis de se rétracter.

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Parmi les panégyristes de Mazarin, on trouve un nom plus connu et plus grand c'est celui de Corneille. A la tête de sa tragédie de Pompée, il loue ce cardinal comme on loue un homme qui peut tout. Il lui apprend qu'il est le plus grand homme de Rome moderne, et il l'appelle très-sérieusement homme au dessus de l'homme. Il dit ensuite qu'en voulant peindre Pompée Auguste et les Horaces, c'est le cardinal

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