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par le mot final: « tout cœur pour reconnaître ses bien<< faits. >>

Il y a chez les moralistes de belles inspirations sur l'immortalité. Parmi les anciens, Cicéron; parmi les modernes, Fénelon, Massillon, J. J. Rousseau, et, après Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, ont sur ce grand dogme des pages en quelque sorte monumentales; mais vous remarquerez qu'il n'y a d'inspiration vraiment haute sur de tels points que celle qui part de l'enseignement chrétien. Partout ailleurs on trouve l'inconsistant, un spiritualisme équivoque; puis toujours le doute qui se glisse et se trahit par quelque restriction. Bernardin, philosophe qui n'était pas revenu à la foi, parle de l'immortalité comme Cicéron, qui ne voyait dans l'immortalité qu'une espérance: Le philosophe moderne dit aussi lui : « Sans doute, il est quelque part un lieu où la vertu sera récompensée. » La vérité chrétienne seule affirme, par l'autorité de la révélation, ce dogme de l'avenir, qui est la loi instinctive du genre humain. Malgré ces observations, il faut reconnaître que tout ce passage est beau; par exemple, j'aime peu << ces amours sans terme et ces flambeaux de l'hymen ; » vieux flambeau mythologique tout à fait usé et qu'on doit regarder comme éteint. Lamartine, dans sa Méditation sur le passé, a mieux dit que le prosateur :

Là refleuriront nos jeunesses,
Et les objets de nos tendresses

A nos amours seront rendus.

Du reste, le dernier trait de Bernardin est touchant et plein d'harmonie, au cœur comme aux oreilles ; c'est ainsi que sentait et écrivait Fénelon.

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Parmi les nombreux ouvrages qui composent l'œuvre de Chateaubriand, quatre surtout recommandent son nom à l'avenir. Le Génie du christianisme fut, sous plus d'un rapport, une grande œuvre. L'auteur y montra, dans un style enchanteur, et avec une grande force de raison et de savoir, ce qu'il existait de poétique, de divinement inspiré dans cette religion dont les autels avaient été brisés, dont le culte avait été proscrit; il montra qu'elle seule avait civilisé le monde, qu'elle seule pouvait le sauver encore, en arrachant la civilisation moderne aux fausses voies où elle s'égarait. Le succès de ce livre fut immense, et fit tomber lės préjugés d'une génération née dans la tourmente. Il contribua à ramener les cœurs à ces temples du Dieu vivant, que rouvrait alors la politique de Napoléon. Les Martyrs sont un poëme en prose plus varié que le Télémaque, plus intéressant par son objet et par les grandes scènes historiques qu'il reproduit. D'un autre côté, jamais le double sentiment de la beauté hébraïque et de la beauté grecque ne s'est manifesté comme dans l'Itinéraire, voyage du poëte dans le pays des prophètes, après avoir passé par celui de Sophocle et de Phidias. Dans les Études historiques, il trace l'histoire à grands

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traits, en variant les couleurs selon les sujets, selon les peuples, selon les siècles qu'il fait passer sous les yeux; philosophe chrétien, il éclaire les grandes révolutions de l'histoire au flambeau de la vérité chrétienne, élargissant le point de vue de Bossuet, et montrant comment la providence de Dieu prépare les voies au progrès de la religion ainsi qu'au juste développement de la civilisation moderne.

Chateaubriand, venu dans un siècle de décadence et quelle que soit sa supériorité, n'a pas, certes, la perfection du grand siècle; son style n'est pas irréprochable, mais les beautés y abondent, surtout celles qui séduisent, et nous l'avons trop aimé durant notre longue carrière, il a trop charmé notre jeunesse studieuse, il y a chez lui à la fois trop d'éclat, trop de sentiment vrai et trop de religion pour que dans ce moment où des signes de réaction se manifestent contre lui, nous puissions le négliger à la fin de ces études, et ne pas dire à la génération littéraire qui s'élève Il eut de grands défauts, mais il les racheta par les plus brillantes qualités, nul prosateur ne fut plus poëte, et il restera toujours un de nos grands écrivains.

1. La fête des Rogations.

Les cloches du hameau se font entendre. Les villageois quittent leurs travaux ; le vigneron descend de la colline; le laboureur accourt de la plaine; le bûcheron sort de la forêt; les mères, fermant leurs cabanes, arrivent avec leurs enfants, et les jeunes filles laissent leurs fuseaux, leurs brebis et leurs fontaines pour assister à la fête.

On s'assemble dans le cimetière de la paroisse, sur les tombes verdoyantes des aïeux. Bientôt on voit paraître tout le clergé destiné à la cérémonie : c'est un vieux pasteur qui n'est connu que sous le nom de curé, et ce nom vénérable, dans lequel est venu se perdre le sien, indique moins le ministre du temple

que le père laborieux du troupeau. Il sort de sa retraite, bâtie auprès de la demeure des morts dont il surveille la cendre. Il est établi dans son presbytère, comme une garde avancée aux frontières de la vie, pour recevoir ceux qui entrent et ceux qui sortent de ce royaume des douleurs. Un puits, des peupliers, une vigne autour de sa fenêtre, quelques colombes, composent l'héritage de ce roi des sacrifices.

Cependant l'apôtre de l'Évangile, revêtu d'un simple surplis, assemble ses ouailles devant la porte de l'église; il leur fait un discours, fort beau, sans doute, à en juger par les larmes de l'assistance. On lui entend souvent répéter: Mes enfants, mes chers enfants; et c'est là tout le secret de l'éloquence du Chrysostome champêtre.

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Il faut en convenir, ce langage est charmant; il est d'un coloris si doux et si pur! Est-il rien de frais, de printanier, comme le début : « Les cloches du hameau se font entendre. » Comme ces petites phrases qui se succèdent et se multiplient, avec un nombre svelte et régulier, sont expressives autant que légères, et comme le tableau s'achève gracieusement par ces jeunes filles qui ont quitté fuseaux et brebis pour assister à la fête ! En ajoutant les fontaines, le poëte donne le dernier trait; il y a dans ce simple mot tout un paysage.

Le tableau du pasteur est d'une grâce incomparable. Qui n'a connu quelqu'un de ces pasteurs autant aimés que vénérés, « père laborieux du troupeau,» dont le nom propre s'est perdu dans celui de la fonction qu'il exerce ! Mais comme tout est re vé,agrandi par cette pensée que la retraite du prêtre est établie aux frontières de la vie, où il reçoit ceux qui entrent et ceux qui sortent « de ce royaume des douleurs! » expression profonde et mélancolique qui complète le tableau du prêtre surveillant la cendre des morts. -«Le roi des sacrifices; » expression cherchée et peu acceptable allusion aux pontifes de l'antiquité. - «Le Chrysostome, » ce qui signifie

Bouche-d'or, surnom de saint Jean, évêque de Constantinople, le grand orateur chrétien du cinquième siècle. << Chrysostome champêtre » est une heureuse alliance de mots. Il y a de l'éloquence dans la prédication la plus simple, quand on y sent la foi ardente et leftendre dévouement du pasteur.

Après l'exhortation, l'assemblée commence à marcher, en chantant: « Vous sortirez avec plaisir, et vous serez reçu avec joie. » L'étendard des saints, antique bannière des temps chevaleresques, ouvre la carrière au troupeau qui suit pêle-mêle avec son pasteur. On entre dans des chemins ombragés, et coupés profondément par la roue des chars rustiques; on franchit de hautes barrières formées d'un seul tronc de chêne; on voyage le long d'une haie d'aubépine où bourdonne l'abeille, et où sifflent les bouvreuils et les merles. Les arbres sont couverts de leurs feuilles, ou parés d'un naissant feuillage. Les bois, les vallons, les rivières, les rochers entendent tour à tour les hymnes du laboureur. Étonnés de ces cantiques, les hôtes des champs sortent des blés nouveaux pour voir passer la pompe villageoise.

La procession rentre enfin au hameau. Chacun retourne à son ouvrage la religion n'a pas voulu que le jour où l'on demande à Dieu les biens de la terre fût un jour d'oisiveté. Avec - quelle espérance on enfonce le soc dans le sillon, après avoir imploré celui qui dirige le soleil, et qui garde dans ses trésors les vents du midi et les tièdes ondées ! Pour achever un jour si saintement commencé, les anciens du village viennent, à l'entrée de la nuit converser avec le curé, qui prend son repas du soir sous les peupliers de sa cour. La lune répand alors les dernières harmonies sur cette fête, que ramène chaque année le mois le plus doux et le cours de l'astre le plus mystérieux. On croit entendre de toutes parts les blés germer dans la terre, et les plantes croître et se développer des voix inconnues s'élèvent dans le silence des bois comme le chœur des anges champêtres dont on a imploré le secours : et les soupirs du rossignol parviennent à l'oreille des vieillards assis non loin des tombeaux.

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