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Le style de Bernardin manque de variété, son harmonie est toujours la même; souvent le tour de sa phrase est, comme ici, monotone et sans fin. Son développement est aisée, sa prose poétique est colorée, mais elle ne vaut ni les beaux vers, ni la prose sévère des écrivains classiques. On y voit trop les attributs et les fictions mythologiques, le Parnasse, l'Olympe, vieux trésors évanouis d'une poésie qui est bien loin de nous. Les épithètes surabondent et il abuse de la facilité de donner du corps aux choses abstraites. Ainsi : « il couvre nos berceaux des charmes de l'innocence.» « Il attire sur les rochers les respects de l'univers; » un exemple de l'emphase dont cet auteur est loin d'être exempt.

Souvent aussi la phrase de Bernardin est à la fois pittoresque et sentie, telle est celle-ci, la seule vraiment bonne de ce développement : « Il fait soupirer, au milieu du luxe de Paris, le pauvre habitant de la Savoie, après les sapins couverts de neige de ses montagnes. » — « Dès qu'il se montre à nous, etc. » Tout ce détail est vague, diffus et cherché. Le dernier trait est vif et beau.

La meilleure gloire de Bernardin de Saint-Pierre, écrivain du dix-huitième siècle est, d'avoir compris la nature comme le voile qui nous couvrait les choses du monde invisible, d'avoir célébré la providence de Dieu et les espérance de l'âme. Il a des traits admirables, sur la vie, sur la mort, sur l'immortalité. « La vie de l'homme, avec tous ses projets, dit-il quelque part, s'élève comme une petite tour dont la mort est le couronnement. » Et ailleurs : « Un tombeau est un monument placé sur les limites des deux mondes. Il nous présente d'abord la fin des vaines inquiétudes de la vie et l'image d'un éternel repos; ensuite il élève en nous le sentiment confus d'une immortalité heureuse dont les probabilités augmentent à mesure que celui dont il nous rappelle la mémoire a été plus vertueux. >> Nous achèverons en citant un morceau d'une

grande beauté pour la pensée comme pour l'expression, le vieillard des Pamplemousses essayant de consoler Paul par l'espérance de revoir sa Virginie, après avoir subi l'épreuve d'ici-bas.

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Mon fils, Dieu donne à la vertu tous les événements de la vie à supporter, pour faire voir qu'elle seule peut en faire usage et y trouver du bonheur et de la gloire. Quand il lui réserve une réputation illustre, il l'élève sur un grand théâtre et la met aux prises avec la mort; alors son courage sert d'exemple, et le souvenir de ses malheurs reçoit à jamais un tribut de larmes de la postérité. Voilà le monument immortel qui lui est réservé sur une terre où tout passe, et où la mémoire même de la plupart des rois est bientôt ensevelie dans un éternel oubli. Mais celle que vous pleurez existe encore: mon fils, voyez que tout change sur la terre, et que rien ne s'y perd. Aucun art humain ne pourrait anéantir la plus petite particule de matière, et ce qui fut raisonnable, sensible, aimant, vertueux, religieux, aurait péri lorsque les éléments dont il était revêtu sont in destructibles! Ah! si Virginie a été heureuse avec nous, elle l'est maintenant bien davantage. Il y a un Dieu, mon fils, toute la nature l'annonce; je n'ai pas besoin de vous le prouver. Il n'y a que la méchanceté des hommes qui leur fasse nier une justice qu'ils craignent. Son sentiment est dans votre cœur, ainsi que ses ouvrages sous vos yeux. Croyez-vous donc qu'il laisse Virginie sans récompense? Croyez-vous que cette même puissance qui avait revêtu cette âme si noble d'une forme si belle où vous sentiez un art si divin, n'aurait pu la tirer des flots? que celui qui a arrangé le bonheur actuel des hommes par des lois que vous ne connaissez pas, ne puisse en préparer un autre à Virginie par des lois qui vous sont également inconnues?

Quand nous étions dans le néant, si nous eussions été capables de penser, aurions-nous pu nous former une idée de notre existence? Et maintenant que nous sommes dans cette existence

ténébreuse et fugitive, pouvons-nous prévoir ce qu'il y a au delà de la mort par où nous devons sortir? Dieu a-t-il besoin, comme l'homme, du petit globe de notre terre pour servir de théâtre à son intelligence et à sa bonté, et n'a-t-il pu plonger la vie humaine que dans les champs de la mort? Il n'y a pas dans l'Océan une seule goutte d'eau qui ne soit pleine d'êtres vivants qui ressortissent à nous, et il n'existerait rien pour nous parmi tant d'astres qui roulent sur nos têtes! Quoi! il n'y aurait d'intelligence suprême et de bonté divine précisément que là où nous sommes! et, dans ces globes rayonnants et innombrables, dans ces champs infinis de lumière qui les environnent, que ni les orages, ni les nuits n'obscurcissent jamais, il n'y aurait qu'un espace vain et un néant éternel! Si nous, qui ne nous sommes rien donné, osions assigner des bornes à la puissance de laquelle nous avons tout reçu, nous pourrions croire que nous sommes ici sur les limites de son empire, où la vie se débat avec la mort, et l'innocence avec la tyrannie!

Cela est très-élevé de ton; une suite de nobles idées exprimées avec grandeur. L'auteur commence par établir le caractère de la vertu et la nécessité des souffrances comme son épreuve; puis il montre la récompense dans une autre vie. Cette doctrine morale est d'autant plus touchante qu'elle a ici une application spéciale dans la jeune héroïne, qui ne saurait manquer d'être récompensée, après tant de vertu accompagnée d'une si grande infortune. Aussi trouvons-nous en cet endroit une chaîne de preuves sur l'immortalité de l'âme. La transition est heureuse « Celle que vous pleurez existe encore. » << Voyez, tout change sur la terre, etc. » Tous ces arguments ne sont pas de la première force. Ce n'est point par l'impossibilité de l'anéantissement de l'âme qu'il faut prouver son immortalité. L'âme, pas plus que rien de créé, n'est immortelle par sa propre vertu ; elle l'est, parce que Dieu ne veut pas qu'elle meure et que la justice du Créateur s'y oppose. Le rapprochement entre « l'Océan,

dont il n'est pas une seule goutte qui ne soit pleine, etc. » et tous ces globes où il est impossible « que rien n'existe pour nous » est pénible et peu clair. « Quand nous étions dans le néant... » Evidemment avant de naître nous ne pouvions rien connaître; mais il ne s'ensuit pas que maintenant, même « dans cette existence ténébreuse, » nous ne puissions avoir au moins un pressentiment de l'avenir.

Du reste, il faut reconnaître ici plusieurs traits d'une fausse phraséologie, des métaphores communes ou forcées, un style enfin qui fut à la mode et qui aurait dû passer. Ainsi : « La vertu élevée sur un grand théâtre et mise aux prises avec la mort; le tribut de larmes de la postérité; le monument immortel; plonger la vie humaine dans les champs de la mort. » On a beaucoup abusé de ce langage chargé de couleur, qui appartenait à l'école de J J. Rousseau, et dont nos écrivains sont encore assez prodigues. Enfin, qu'on essaie de pénétrer le sens de la phrase: « Si nous, etc. >> On y parviendra, mais non sans effort, parce qu'il y a dans ce langage beaucoup de vague et pas mal de déclamation.

Sans doute, il est quelque part un lieu où la vertu reçoit sa récompense. Virginie maintenant est heureuse. Ah! si du séjour des anges elle pouvait se communiquer à vous, elle vous dirait, comme dans ses adieux : 0 Paul, la vie n'est qu'une épreuve. J'ai été trouvée fidèle aux lois de la vertu, j'ai traversé les mers pour obéir à mes parents, j'ai renoncé aux richesses pour conserver ma foi. Le ciel a trouvé ma carrière suffisamment remplie. J'ai échappé pour toujours à la pauvreté, à la calomnie, aux tempêtes, au spectacle des douleurs d'autrui. Aucun des maux qui effraient les hommes ne peut plus désormais m'atteindre, et vous me plaignez ! Je suis pure et inaltérable comme une particule de lumière, et vous me rappelez dans la nuit de la vie !

O mon ami, souviens-toi de ces jours de bonheur où dès le

matin nous goûtions la volupté des cieux, se levant avec le soleil sur les pitons des rochers, et se répandant avec ses rayons au sein de nos forêts. Nous éprouvions un ravissement dont nous ne pouvions comprendre la cause. Dans nos souhaits innocents, nous désirions être toute vue, pour jouir des riches couleurs de l'aurore; tout odorat, pour sentir les parfums de nos plantes; toute ouïe, pour entendre le concert de nos oiseaux; tout cœur, pour reconnaître ces bienfaits. Maintenant, à la source de la beauté d'où découle tout ce qui est agréable sur la terre, mon âme voit, goûte, entend, touche immédiatement ce qu'elle ne pouvait sentir alors que par de faibles organes. Ah! quelle langue pourrait décrire ces rivages d'un orient éternel, que j'habite pour toujours?

Tout ce qu'une puissance infinie et une bonté céleste ont pu créer pour consoler un être malheureux; tout ce que l'amitié d'une infinité d'êtres réjouis de la même félicité peut mettre d'harmonie dans des transports communs, nous l'éprouvons sans mélange; soutiens donc l'épreuve qui t'est donnée, afin d'accroître le bonheur de ta Virginie par des amours qui n'auront plus de terme, par un hymen dont les flambeaux ne pourront plus s'éteindre. Là, j'apaiserai tes regrets; là, j'essuierai tes larmes. O mon ami, mon jeune époux! élève ton âme vers l'infini, pour supporter les peines d'un moment.

Il y a de l'éloquence dans ces mouvements. La prosopopée de la jeune défunte pour encourager son fiancée à la vertu est fort belle. Ses paroles ont de la douceur, du charme, une aimable onction. Les antithèses n'y sont pas déplacées. On aime ce rappel des beaux jours passés sur la terre par les deux jeunes gens avant la catastrophe qui les a séparés. Mais peu à peu le style devient prétentieux et obscur. Comment expliquer littéralement et littérairement cette phrase: « Nous goûtions la volupté des cieux, qui, se levant avec le soleil, etc. » Qu'est-ce que la volupté des cieux qui se lève avec le soleil? Ce vif amour de la nature, par lequel on veut être tout sens pour la goûter, est un trait qui pourrait être blâmé s'il n'était relevé

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