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tion, tout ce détail des formes fantastiques affectées par les nuages à l'horizon. Ce paysage, qui n'est point « un tableau colorié, » mais « une simple estampe, » nous semble assez subtil; c'est assez bien un effet d'ombres chinoises. Il continue:

En effet, dès que l'astre du jour se fut caché derrière lui, quelques-uns de ces rayons décomposés éclairèrent les arcades demi-transparentes du pont d'une couleur ponceau, se reflétèrent dans les vallons et au sommet des rochers, tandis que les torrents de lumière couvraient ses contours de l'or le plus pur, et divergeaient vers les cieux comme les rayons d'une gloire; mais la masse entière resta dans sa demi-teinte obscure et on voyait autour des nuages qui s'élevaient de ses flancs, les lueurs des tonnerres dont on entendait les roulements lointains. On aurait juré que c'était une terre véritable située environ à une lieue et demie de nous. Peut-être était-ce une de ces réverbérations célestes de quelque île très-éloignée, dont les nuages nous répétaient les formes par leurs reflets, et les tonnerres par leurs échos. Plus d'une fois les marins expérimentés ont été trompés par de semblables aspects.

Quoi qu'il en soit, tout cet appareil fantastique de magnificence et de terreur, ces montagnes surmontées de palmiers, ces orages qui grondaient sur leurs sommets, ces fleuves, ce pont, tout se fondit et disparut à l'entrée de la nuit, comme les illusions du monde aux approches de la mort. L'astre des nuits, la triple Hécate, qui répète par des harmonies plus douces celles de l'astre du jour, en se levant sur l'horizon, dissipa l'empire de la lumière et fit régner celui des ombres. Bientôt des étoiles innombrables et d'un éclat éternel brillèrent au sein des ténèbres. Oh! si le jour n'est lui-même qu'une image de la vie, si les heures rapides de l'aube, du matin, du midi et du soir, représentent les âges si fugitifs de l'enfance, de la jeunesse, de la virilité et de la vieillesse, la mort, comme la nuit, doit nous découvrir aussi de nouveaux cieux et de nouveaux mondes !

Beaucoup de personnes ont pu voir des effets analogues dans les grands horizons, sous les feux du soleil couchant,

et en conserver un souvenir plus ou moins vif; mais il est difficile de les peindre, à ceux qui n'en furent pas témoins: ici l'écrivain descriptif est entré dans le domaine propre de la peinture, imprudemment peut-être, car tous les arts. ont leurs limites respectives, ils se côtoient sans se pénétrer ou du moins sans se confondre. C'est pourquoi notre auteur, malgré la richesse de ses pinceaux, ne peut que nous donner une idée assez confuse du grand spectacle dont il jouit dans la mer des tropiques. « Les rayons d'une gloire; » les feux qui entourent les têtes sacrées dans les anciennes peintures.-« Les lueurs des tonnerres; « le tonnerre est le bruit de la foudre, il ne luit pas, il retentit. « Dont les images nous répétaient, etc. » Comment les échos du tonnerre peuvent-ils répéter une forme ? - « Comme les illusions du monde, etc.; » comparaison morale prétentieuse et mal amenée. « La triple Hécate, l'empire de la lumière, celui des ombres; » emphase et mythologie creuse. <«< Oh! si le jour, etc.; » belle conception du symbolisme universel; la nature physique considérée comme le signe et l'alphabet de la nature morale. Ici la comparaison est noble, elle est belle quoique manquant un peu de clarté. Tout, dans la nature physique, est symbole de ce qui ne se voit pas. Le jour est l'image de la vie, de même que la vie est l'image de l'éternité. L'induction qu'on lit ici comme preuve de l'immortalité, ne suffirait pas comme preuve; mais elle peut concourir à la démonstration de cette vérité sublime.

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2. Le lis et la rose.

Pour me montrer le caractère d'une fleur, les botanistes me la font voir sèche, décolorée, étendue dans un herbier. Est-ce dans cet état que je reconnaîtrai un lis? N'est-ce pas au bord d'un ruisseau, élevant au milieu des herbes sa tige auguste, et réfléchissant dans les eaux ses beaux calices plus blancs que

l'ivoire, que j'admirerai le roi des vallées? Sa blancheur incomparable n'est-elle pas encore plus éclatante, quand elle est mouchetée, comme des gouttes de corail, par de petits scarabées, écarlates, hémisphériques, piquetés de noir qui y cherchent presque toujours un asile ?

Qui est-ce qui peut reconnaître dans une rose sèche, la reine des fleurs? Il faut la voir lorsque, sortant des fentes d'un rocher humide, elle brille sur sa propre verdure, que le zéphyr la balance sur sa tige hérissée d'épines, que l'aurore l'a couverte de pleurs, et qu'elle appelle par son éclat et ses parfums la main des amants. Quelquefois une cantharide, nichée dans sa corolle, en relève le carmin par son vert d'émeraude. C'est alors que cette fleur semble nous dire que, symbole du plaisir par ses charmes et par sa rapidité, elle porte comme lui le danger autour d'elle, et le repentir dans son sein.

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Il faut admirer, dans ce tableau des deux fleurs, un luxe étonnant de couleur et d'imagination, mais non sans une certaine recherche. Comparer la blancheur du lis à celle de l'ivoire, c'est affaiblir l'idée de la blancheur incomparable du roi des vallées. «Les pleurs de l'aurore ; » peut être une mythologie vulgaire, aussi fade que «< cet éclat et ce parfum qui appelle la main des amants. » — Le scarabée dans le lis, la cantharide dans la rose, ne sont pas non plus exempts d'affectation, malgré la belle sentence qui termine le tableau. Après cela, quoi de plus frais que ce style dans son ensemble, et que des phrases comme celle-ci : « Lorsque, sortant des fentes d'un rocher humide, elle brille sur sa propre verdure. » Mais que ces élégances plus ou moins poétiques sur la fleur de nos campagnes et sur ses harmonies par rapport à notre nature morale, ne sont rien si on les rapproche des divines paroles de l'Evangile : « Considérez le lis des champs, il ne travaille ni ne file, et cependant je vous dis que Salomon, dans toute sa gloire, n'est pas vêtu avec autant de magnificence que l'un d'eux. »>

Bernardin est plus beau lorsque des fleurs il s'élève aux grands arbres, aux majestueuses forêts agitées par le vent.

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Ces grands corps insensibles font entendre des bruits profonds et mélancoliques. Ce ne sont point des accents distincts, ce sont des murmures confus comme ceux d'un peuple qui célèbre au loin une fête par des acclamations; il n'y a point de voix dominantes, ce sont des sons monotones, parmi lesquels se font entendre des bruits sourds et profonds, qui nous jettent dans une tristesse pleine de douceur. Ainsi les murmures d'une forêt accompagnent les accents du rossignol. C'est un fond de concert qui fait ressortir les chants éclatants des oiseaux, comme la douce verdure est un fond de couleurs sur lequel se détache l'éclat des fleurs et des fruits.

Ce bruissement des prairies, ce gazouillement des bois, ont des charmes que je préfère aux plus brillants accords; mon âme s'y abandonne; elle se berce avec les feuillages ondoyants des arbres, elle s'élève avec leurs cimes vers les cieux, elle se transporte dans les temps qui les ont vus naître et dans ceux qui les verront mourir; ils étendent dans l'infini notre existence circonscrite et fugitive.

On ne possède guère plus que l'auteur de ces lignes la magie du style; on n'est pas plus intimement pénétré du sentiment de la nature, de manière à prêter à cette nature son âme et ses propres sentiments. Qui n'a ressenti «< cette tristesse pleine de douceur? » Qui n'a aimé le murmure des grands bois, « ce fond de concert, » et sur lequel se détachent tous les bruits épars dans la nature, comme sur le fond de verdure se nuancent toutes les couleurs.

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Buffon, peintre de la nature, n'a pas cette effusion, et en même temps cet éclat; mais aussi quelle sobriété su

blime, comme il peint ce qu'il décrit, et comme il se montre non moins pittoresque, mais plus grand, dans son tableau des déserts arabiques!

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Quel que soit le désordre de nos sociétés, cet instinct céleste se plaît toujours avec les enfants des hommes. Il inspire les hommes de génie en se montrant à eux sous les attributs éternels; il présente au géomètre les progressions ineffables de l'infini, au musicien des harmonies ravissantes, à l'historien -les ombres immortelles des hommes vertueux; il élève un parnasse au poëte, et un olympe aux héros. Il luit sur les jours infortunés du peuple, il fait soupirer, au milieu du luxe de Paris, le pauvre exilé, habitant de la Savoie, après les sapins couverts de neige de ses montagnes. Il erre sur les vastes mers, et rappelle des doux climats de l'Inde le matelot européen aux rivages orageux de l'Occident; il donne une patrie à des malheureux et des regrets à ceux qui n'ont rien perdu ; il couvre nos berceaux des charmes de l'innocence, et les tombeaux de nos pères des espérances de l'immortalité; il repose enfin au milieu des villes tumultueuses, sur les palais des grands rois et sur les temples augustes de la religion.

Souvent il se fixe dans les déserts et attire sur des rochers les respects de l'univers. C'est ainsi qu'il vous a couvertes de majesté, ruines de la Grèce et de Rome, et vous aussi, mystérieuses pyramides de l'Égypte ! C'est lui que nous chantons sans cesse au milieu de nos occupations inquiètes; mais, dès qu'il se montre à nous dans quelque acte inopiné de vertu, ou dans quelqu'un de ces événements qu'on nomme coups du ciel, ou dans quelques-unes de nos émotions sublimes, indéfinissables, qu'on appelle par excellence des traits de sentiments, son premier effet est de produire en nous up mouvement de joie très-vif, et le second de nous faire verser des larmes. Notre âme, frappée de cette lueur divine, se réjouit à la fois d'entrevoir la céleste patrie, et s'afflige d'en être exilée.

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