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mais cette diversité est l'œuvre du Saint-Esprit qui seul opère comme la bouquetière Glycéra. Tout ce début, si vrai pour la pensée, est, pour l'expression, frais et odorant comme un parterre émaillé sous la rosée du matin. Quelques tours seulement ont vieilli; une phrase est un peu longue ; « tant de façons comme, » ce dernier mot pris pour que. Maintenant quelques passages pris à peu près au hasard dans le même livre!

On dit que la tigresse, ayant retrouvé l'un de ses petits que le chasseur lui laisse sur le chemin pour l'amuser, tandis qu'il emporte le reste de la littée, elle s'en charge pour gros qu'il soit. Et pour cela n'en est pas plus pesante, ains plus légère à la course qu'elle fait pour le sauver dans sa tanière, l'amour naturel l'allégeant par ce fardeau. Combien plus un cœur paternel prendra-t-il volontiers en charge l'âme qu'il aura rencontrée au désir de la saincte perfection, la portant en son sein, comme une mère fait son petit enfant, sans se ressentir de ce faix bien-aimé !

Comme tous les termes de cette comparaison sont heureusement trouvés et habilement ménagés, et que ce style est souple, facile et gracieux ! Voyons le détail. — « Pour l'amuser » a vieilli dans le sens de retarder; c'est pourtant sa signification réelle, étymologique, de l'allemand müssig, oisif; anglais to muse; l'idée de l'amusement est donc celle du loisir, du manque d'occupation. « La littée, » jolie expression perdue et qui n'a pas été remplacée. — « Mais plus légère; » tour vif, et qui se complète par cette charmante réflexion : « l'amour naturel l'allégeant par ce fardeau ; » un fardeau qui allége, belle alliance de mots. « Rencontrée au désir; » le bon désir est ici un lieu, une solitude où l'âme se rencontre. << Comme une mère fait son petit enfant. » Cet emploi du verbe faire est resté au dix-septième siècle ; Bossuet a dit : « Plus que les autres ne feront tout votre sang répandu. » — « Se ressentir d'en

faire, » expression très-heureuse, rendue exquise par l'épithète qui termine, « bien-aimé. » Et plus bas :

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La belle et chaste Rebecca, abreuvant les chameaux d'Isaac, fut destinée pour estre son espouse, recevant de sa part des pendants d'aureilles et des bracelets d'or. Ainsy je me promets de l'immense bonté de mon Dieu que, conduisant sa chère brebis aux eaux salutaires de la dévotion, il rendra mon asme son espouse, mettant en mes aureilles les paroles dorées de son amour, et en mes bras la force de les bien exercer.

Il faut admirer dans ce beau rapprochement biblique, l'expression pleine de poésie, la charmante aisance du tour, la grâce et la justesse de l'allégorie. Dans les réflexions que nous allons citer sur la parabole de Marthe et de Marie, le Saint recommande de chercher les choses de la vie sans anxiété et sans ardeur. Et avec quelle variété d'images! Voyez.

Les fleuves qui vont doucement coulant en la plaine portent les grands bateaux avec les marchandises, et les pluyes qui tombent doucement en la campagne la fécondent d'herbes et de graines; mais les torrents et les rivières qui, à grands flots, courent sur la terre, ruinent leurs voisinages et sont inutiles au trafic, comme les pluyes véhémentes et tempestueuses ravagent les champs et les prairies. Et plus loin: Faites comme les petits enfants qui, de l'une des mains, se tiennent à leur père, de l'autre cueillent des fraises ou des meures le long des hayes. Car de mesme, amassant et maniant les biens de ce monde de l'une de vos mains, tenez toujours de l'aultre la main du Père céleste, vous retournant de temps en temps a luy pour voir s'il a aggréable vostre mesnage ou vos occupations. Et gardez bien sur toutes choses de quitter sa main et sa protection, pensans d'amasser et recueillir d'avantage.

Peu de chose a vieilli dans cet admirable langage; seulement on ne trouverait plus le pluriel «< voisinage, » ni l'élégante épithète « tempestueuse, » appliquée aux

pluies, ni « votre ménage, » dans le sens du gouvernement intérieur. « Vous retournant de temps en temps à lui; » l'expression plus moderne et plus correcte pourrait dire vers lui; mais quelle différence dans la valeur de ces deux prépositions à, et vers, et comme il y a plus d'abandon dans l'emploi de la première ! « Pensant d'amasser; » vous diriez : à amasser. «S'il a agréable ; » vous éviteriez l'hiatus et vous diriez pour agréable. Après cela tout le reste est aussi bien nouveau qu'ancien. « Amasser et recueillir. » Encore une juste et belle gradation, mais descendante; non-seulement il faut se garder d'amasser comme des grains dans un grenier; mais même de recueillir comme des fleurs en passant. A-t-on jamais rien écrit de plus délicieux que ce tableau de l'âme fidèle, se serrant près du divin Sauveur, de Celui qui appelle les siens autour de lui, comme la poule ses poussins? Et ceci :

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L'âme qui monte du péché à la devotion est comparée à l'aube, laquelle s'eslevant ne chasse pas les ténèbres en un instant, mais petit à petit. Les maladies du cœur, comme celles du corps, viennent à cheval et en poste, mais elles s'en revont à pied et au petit pas.

On dit rarement « l'aube. » Pourtant ce mot, qui marque la ligne blanche mêlée de lueurs roses précédant le soleil au matin, est plus poétique et plus doux que la mythologique aurore. — « Laquelle s'élevant,» tour antique et aisé. - « Les maladies du cœur ; » ce beau mot, si expressif, est, comme on le voit, ancien dans la langue française. C'est qu'en effet, les maladies du cœur sont vieilles comme le monde. « A cheval et en poste; à pied et au petit pas. » Parfaite correspondance dans la métaphore. «S'en revont, » on dirait, mais peu élégamment s'en reviennent.

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Le portrait de la veuve selon le cœur de Dieu :

Comme le fer qui, estant empesché de suyvre l'attraction de l'aymant, à cause de la presence du diamant, s'élance vers le mesme aymant soudain que le diamant est esloingné; ainsy le cœur de la veuve, qui ne pouvait bonnement s'élancer du tout en Dieu, ni suyvre les attraits de son divin amour pendant la vie de son mary, doit, soudain après le trespas d'iceluy, courir ardemment à l'odeur des parfums célestes. Et plus bas: La vraye veufve est en l'Église une petite violette de mai qui respand une suavité non pareille par l'odeur de sa dévotion, et se tient presque toujours cachée sous les larges feuilles de son abjection; et par ses couleurs moins éclatantes témoingne la mortification. Elle vient ès lieux frais et non cultivés, ne voulant estre pressée de la conversation des mondains, pour mieux conserver la fraîcheur de son cœur, contre toutes les pensées que le désir des biens, des honneurs, et même des amours luy pourraient apporter.

La première de ces deux comparaisons est rare et choisie, mais fort précise et très-juste; elle est de plus en beau style périodique. La seconde est simple et naïve, délicieuse de fraîcheur; on y respire « la suavité des lieux frais et non cultivés. » Ce qui est surtout charmant, c'est ce trait de << la petite violette de mai, » qui se tient «< cachée sous les larges feuilles de son abjection. » Ce dernier mot est pris dans un sens moins fort qu'il n'aurait aujourd'hui ; il marque ici l'obscurité, la vie retirée, qui consent à être rejetée, abjecta. « Soudain que » a vieilli ainsi que << iceluy » pour celui, et « ès, » pour dans les, comme plus haut << ains » pour mais. Elle « témoigne de la mortification » qui est en elle, c'est-à-dire qu'elle est morte au monde. - « Pressée de la conversation. » Ce mot est dans le sens de son étymologie latine, conversari, se trouver avec. Et ailleurs, cette comparaison :

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On dit qu'Alexandre le Grand, cinglant en haulte mer, descouvrit premièrement l'Arabie Heureuse par le sentiment qu'il eust des suaves odeurs que le vent lui donnoit; et sur cela se

donna du courage et à tous ses compagnons. Ainsi nous recevons vent des douceurs et suavités en cette mer de la vie mortelle qui, sans doute, nous font pressentir les délices de cette patrie heureuse à laquelle nous tendons et aspirons.

La plupart des comparaisons du saint évêque de Genève ne sont que grâce, mélodie, lumière et parfums. Ici la comparaison a un caractère de plus, elle est pleine de grandeur. L'homme, qui « tend et aspire » à l'éternelle patrie, est justement comparé à Alexandre le Grand poursuivant la conquête du monde. Nous aussi, rapides passagers, nous « cinglons sur la haute mer de cette vie mortelle.» (Quel grand style !) Mais les parfums de la patrie nous viennent avec le vent qui nous y pousse. Heureux qui recueille ce vent dans sa voile et ces parfums dans son espérance! - Remarquez l'ingénieux rapprochement, de l'Arabie Heureuse et de la patrie heureuse, épithète commune au double terme de la comparaison. — Il y a quelque défaut d'harmonie et un peu d'embarras dans la dernière phrase. Une dernière citation :

Quand le printemps est beau, les abeilles font plus de miel et moins de mouchons, parce qu'à la faveur du beau temps, elles s'amusent tant à faire leur cueillette sur les fleurs qu'elles en oublient la production de leurs nymphes. Mais quand le printemps est aspre et nébuleux, elles font plus de nymphes et moins de miel; car, ne pouvant pas sortir pour faire la cueillette du miel, elles s'employent à se peupler et à multiplier leur race. Il arrive maintes fois, ma Philothée, que l'âme se voyant en beau printemps des consolations spirituelles, s'amuse tant à les ramasser et sucer, qu'en l'abondance de ses douces délices, elle fait beaucoup moins de bonnes œuvres, et qu'au contraire, parmi les aspretés spirituelles, à mesure qu'elle se voit privée des sentiments agréables de la dévotion, elle multiplie d'autant plus les œuvres solides.

Il s'agissait d'établir les avantages qui existent à servir Dieu parmi le manque de consolations et les sécheresses

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