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dissants; » le style se revêt d'élégance à mesure que l'auteur décrit les effets du travail de l'homme sur la nature qu'il veut subjuguer. « Bondissants » est un mot pur français, imitation du bruit de la terre frappée. — « Que le boeuf soumis au joug; » style pittoresque. L'homme s'exalte à l'idée de sa puissance; il veut « rajeunir » la nature; il faut qu'une <<nouvelle nature sorte de ses mains. » L'homme parle ainsi, et sans transition Buffon va nous montrer les merveilles de la nature cultivée.

Qu'elle est belle, cette nature cultivée! Que par les soins de l'homme elle est brillante et pompeusement parée ! Il en fait lui-même le principal ornement; il en est la production la plus noble; en se multipliant, il en multiplie le germe le plus précieux; elle-même aussi semble se manifester avec lui; il met au jour par son art tout ce qu'elle recélait dans son sein. Que de trésors ignorés, que de richesses nouvelles! Les fleurs, les fruits, les grains perfectionnés, multipliés à l'infini, les espèces utiles d'animaux transportées, augmentées sans nombre; les espèces nuisibles réduites, confinées, reléguées; le fer, plus nécessaire que l'or, tiré des entrailles de la terre; les torrents contenus, les fleuves dirigés, resserrés; la mer même soumise, reconnue, traversée d'un hémisphère à l'autre; la terre accessible partout, partout rendue aussi vivante que féconde; dans les vallées de riantes prairies, dans les plaines de riches pâturages ou des moissons encore plus riches; les collines chargées de vignes et de fruits, leurs sommets couronnés d'arbres utiles et de jeunes forêts; les déserts devenus des cités habitées par un peuple immense qui, circulant sans cesse, se répand de ces contrées jusqu'aux extrémités; des routes ouvertes et fréquentées, des communications établies partout, comme autant de témoins de la force et de l'union de la société; mille autres monuments de puissance et de gloire démontrent assez que l'homme, maître du domaine de la terre, en a changé, renouvelé la surface entière, et que de tout temps il partage l'empire avec la nature.

Le début de ce tableau de la nature cultivée est un

hymne; on y voit, on y sent l'épanouissement de la nature, telle que l'a faite, « brillante et pompeusement parée, » le travail de l'homme. - « Trésors ignorés ; » ici trésors est pis dans son sens étymologique, mot grec qui signifie objet déposé, enfoui. — « Que de richesses nouvelles. » Ce sont les biens à la face du ciel; l'énumération qui suit en est complète.-« Aussi vivante que féconde; >> comme toute la terre, avec ses fleuves, ses mers, ses vallées, ses collines, passe tour à tour sous nos regards pour étaler les merveilles de la culture! Toute cette végétation est vivante, «< ces jeunes forêts qui couronnent » les collines sont animées. Le naturaliste se souvient ici qu'il est philosophe. De la nature il passe à l'homme qui peuple les déserts, à l'homme qui répand partout « les monuments de sa puissance et de sa gloire. » Ici le style s'élargit avec les idées, l'air circule dans la phrase; on respire le grand souffle de la nature; on sent le combat de cette nature résistant et cédant à l'effort de l'homme. On comprend devant ce style l'inscription qui fut placée au pied de la statue de Buffon: Majestati naturæ per ingenium. Mais la nature peut dégénérer entre les mains de l'homme, c'est cet état funeste que l'auteur va décrire.

Cependant il ne règne que par droit de conquête, et jouit plutôt qu'il ne possède, et ne conserve que par des soins toujours renouvelés; s'ils cessent, tout languit, tout s'altère, tout change, tout rentre sous la main de la nature; elle reprend ses droits, efface les ouvrages de l'homme, couvre de poussière et de mousse ses plus fastueux monuments, les détruit avec le temps, et ne lui laisse que le regret d'avoir perdu par sa faute ce que ses ancêtres avaient conquis par leurs travaux. Ces temps où l'homme perd son domaine, ces siècles de barbarie pendant lesquels tout périt, sont toujours préparés par la guerre, ou arrivent avec la disette et la dépopulation. L'homme, qui ne peut que par le nombre, qui n'est fort que par sa réunion, qui n'est heureux que par la paix, a la fureur de s'armer

pour son malheur et de combattre pour sa ruine; excité par l'insatiable avidité, aveuglé par l'ambition encore plus insatiable, il renonce aux sentiments d'humanité, tourne toutes ses forces contre lui-même, cherche à s'entre-détruire, se détruit en effet; et, après ces jours de sang et de carnage, lorsque la fumée de la gloire s'est dissipée, il voit d'un œil triste la terre dévastée, les arts ensevelis, les nations dispersées, les peuples affaiblis, son propre bonheur ruiné et sa puissance réelle anéantie.

A

La période qui commence ce paragraphe est d'une facture achevée. L'idée est très-haute, il s'agit d'établir que la royauté de l'homme, vassal de Dieu, sur la nature n'est qu'empruntée; le développement de l'auteur sur ce thème est admirable.« S'il cesse tout languit, etc.; » les incises vont en croissant; on croit voir le progrès de la barbarie qui envahit tout de proche en proche; la gradation des trois verbes est parfaite; la destruction opérée par la nature est progressive, mais certaine.« Efface les outrages de l'homme, couvre de poussière et de mousse, etc. » Que cela est solennel et que le pouvoir de l'homme n'est rien par lui-même! un peu de « poussière et de mousse » a raison de «< ses plus fastueux monuments. » « Domaine,»> possession que l'on tient, que l'on habite, domus; en ce sens la terre est le domaine propre de l'homme. << S'armer pour son malheur, combattre pour sa ruine; » belles alliances de mots,« Encore plus insatiable; » répétition, légère négligence. « Cherche à s'entre-détruire; » employé ainsi avec le singulier, ce verbe composé est rare et hardi. — « Et après ces jours de sang, etc.,» toute cette. fin se fait admirer par la richesse et la variété des expressions, par la grandeur et la vivacité des images, et par le nombre. «<ll voit d'un air triste la terre dévastée,» rendue vaste, redevenue le désert; grand style. « Les arts ensevelis; » cette expression fait penser; la barbarie est un linceul. « Les nations; le peuple; » voyez la justesse et

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la cohérence des termes : «les nations» sont la race, la famille agrandie, « on la disperse; » mais « le peuple » est inséparable du sol, on ne le disperse pas, on « l'affaiblit. » Un peuple, comme tel, peut disparaître; une nation peut être dispersée. Remarquez bien l'art avec lequel Buffon mêle des considérations morales à ses études sur la nature. Pour le vrai naturaliste la nature est pleine de l'homme et environnée de Dieu.

Nous ajouterons à ce grand tableau de la nature sous ses divers aspects une peinture du désert.

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Qu'on se figure un pays sans verdure et sans eau, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes encore plus arides, sur lesquelles l'œil s'étend et le regard se perd sans pouvoir s'arrêter sur aucun objet; une terre morte et pour ainsi dire écorchée par les vents, laquelle ne présente que des ossements, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés, un désert entièrement découvert où le voyageur n'a jamais respiré sous l'ombrage, où rien ne l'accompagne, rien ne lui rappelle la nature vivante. Solitude absolue, mille fois plus affreuse que celle des forêts; car les arbres sont encore des êtres pour l'homme qui se voit seul; plus isolé, plus dénué, plus perdu dans ces lieux vides et sans bornes, il voit partout l'espace comme son tombeau ; la lumière du jour, plus triste que l'ombre de la nuit, ne renaît que pour éclairer sa nudité, son impuissance, et pour lui présenter l'horreur de sa situation, en reculant à ses yeux les barrières du vide, en étendant autour de lui l'abîme de l'immensité qui le sépare de la terre habitée : immensité qu'il tenterait en vain de parcourir; car la faim, la soif et la chaleur brûlante pressent tous les instants qui lui restent entre le désespoir et la mort.

Dès l'abord on sent quelque chose de haletant et de pénible dans ces courtes incises, et tout à coup l'immensité se reflète à mesure que se déroule cette longue période.

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<«<Sur lesquelles l'œil, etc. » Distinguez l'œil du regard; le premier «< s'étend, » fait effort; le regard est son résultat, son trait lancé qui « se perd. » — « Morte, écorchée, ossements; » toujours les analogies de la nature matérielle avec ce qui a la vie. « Le voyageur n'a jamais respiré ; » l'idée du désert rappelle de suite celle de l'homme; il n'y a de désert que le lieu où l'homme n'est pas. « Dénué ; » autrefois dénudé, c'est l'idée de nudité; voyez la gradation: dénué est après « isolé; » être nu, dépouillé, «perdu» est plus encore que d'être seul; c'est le délaissement à sa dernière expression. « Plus perdu... » Le nombre de cette phrase est solennel et triste.- La lumière qui « étend autour de lui l'abîme de l'immensité, » c'est beau comme le style de Pascal. « Ces lieux vides, les barrières du vide,» rappellent l'inania regna de Virgile. — « L'espace est son tombeau » est sublime. « Entre le désespoir et la mort » est une chute sinistre et du plus grand effet.

Comment choisir dans la vaste galerie des animaux de Buffon quelques traits particuliers pour en faire l'analyse et les proposer à l'étude ? Pourtant, et malgré l'embarras du choix, nous offrirons quelques descriptions.

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Le chien, indépendamment de la beauté de sa forme, de la vivacité, de la force, de la légèreté, a par excellence toutes les qualités intérieures qui peuvent lui attirer les regards de l'homme. Un naturel ardent, colère, même féroce et sanguinaire, rend le chien sauvage, redoutable à tous les animaux, et cède, dans le chien domestique, aux sentiments les plus doux, au plaisir de s'attacher et au désir de plaire; il vient en rampant, mettre aux pieds de son maître, son courage, sa force, ses talents; il attend ses ordres pour en faire usage; il le consulte, il l'interroge, il le supplie; un coup d'oeil suffit, il entend les signes de sa volonté. Sans avoir, comme l'homme, la lu

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