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élégante.« Menácés ou défiés ; » juste gradation.

« Bravades; » la bravoure est ce qu'il y a de plus vif, de plus emporté dans le courage; mais ce n'est pas l'élément solide et méritoire. Brave dit moins que courageux, noble mot qui vient immédiatement de cœur. La bravade est une action qui résulte d'un mouvement irréfléchi et peu sensé. << Un homme de grand cœur, » haute expression, ancienne dans la langue de ce pays, comme l'idée qu'elle exprime est ancienne dans notre nation. «Se déguiser d'une robe ; » expression elliptique. «Habit » a ici un sens général, qu'il a perdu en devenant le nom d'une pièce particulière du vêtement des hommes; par son origine latine (habitus), ce mot indique le vêtement en général, la manière d'être extérieure. Suivons.

Il estoit desjà sur le soir quand il y arriva, et il y eut plusieurs gens qui le rencontrèrent par les rues, mais personne ne le reconnut. Ainsi il s'en alla droit à la maison de Tullus, là où tout d'un coup il entra jusqu'au fouyer; et là s'assit sans dire mot à personne, ayant le visage couvert et la teste affublée. De quoi ceulx de la maison furent bien esbahis, et néantnoins ne l'osèrent faire lever; car encore qu'il se cachast, si reconnossoit-on ne sai quoy de dignité en sa countenance et en son silence, et s'en allèrent dire à Tullus qui soupoit cette estrange façon de faire. Tullus se leva incontinent de table, et s'en allant devers luy, luy demanda qui il estoit et quelle chose il demandoit: Alors Martius se feit voir, et après avoir demeuré un peu de temps sans répondre, lui dit :

Il y a ici un tableau plein d'intérêt et avec lequel un peintre habile ferait un chef-d'œuvre. On verrait l'intrépide Romain assis au foyer de la famille ennemie; le feu éclaire ce visage où s'unissent l'orgueil, la vengeance implacable jointe à la sécurité que donnait dans ces temps antiques l'asile inviolable du foyer. Tullus entre; sur son visage,

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à demi éclairé, se combattent les sentiments les plus divers. Une femme, des enfants sont à l'entour parmi les détails pittoresques d'un mobilier antique. Un tel tableau serait certain de se faire admirer; il aurait été inspiré par Plutarque et par son traducteur Amyot pour sa part. Voyons quelques expressions du texte : « Affublé» signifie couvert, enveloppé d'un vêtement. Dans l'origine on disait affibulé, de fibula, agrafe. C'était d'abord l'idée d'agrafer le vêtement pour en serrer le corps. — « Ébahi,» beau verbe, encore fort bien usité, indique l'étonnement par l'expression de la physionomie. Le sens littéral, originel, est celui d'avoir la bouche béante d'admiration. « Encore que, » pour quoique.« Si reconnaissoit-on, » vieille forme de langage, si ainsi. pour << Façon de faire; » on dirait d'une manière plus moderne façon d'agir. Marius craint les premières impressions, il est voilé; mais promptement << il « se fait voir, » et le silence qui prélude à son discours est déjà plein d'éloquence. Tout ce détail est parfaitement ménagé. Mais que dit Martius?

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:

« Si tu ne me connois pas encore, Tullus, et ne crois pas, à me voir, que je suis celuy que je suis, il est force que je me décelle et me descouvre moy mesme. Je suis Caïus Martius, qui ay fait et à toy en particulier et à tous les Volsques en général beaucoup de maulx, lesquels je ne puis nier, pour le surnom de Coriolanus que j'en porte; car je n'ay recueilli aultre fruit ni autre récompense de tant de travaux que j'ai endurés, ni de tant de dangers auxquels je me suis exposé, que ce surnom, lequel tesmoingne la malveillance que vous devez avoir contre moy; il ne m'est demeuré que cela seulement, tout le reste m'a esté osté par l'envie et l'oultrage du peuple romain et par la lascheté de la noblesse et des magistrats qui m'ont abandonné et m'ont souffert estre chassé en exil, de manière que j'ay esté contraint de recourir, comme humble suppliant, à ton fouyer, non pour sauver et asseurer ma vie, car je ne me feusse point hazardé de venir icy si j'eusse eu peur de mourir, mais par le désir que j'ay de me venger de ceulx qui m'ont ainsy

chassé, ce que je commence desjà à faire en mettant ma personne entre tes mains.

<«< Par quoy si tu as dessein de te ressentir jamais des dommaiges que t'ont faits tes ennemis, sers toy maintenant, je te prie, de mes calamités et fai en sorte que mon adversité soit la commune prospérité de tous les Volsques, en t'asseurant que je feray la guerre encore mieux pour vous que je ne l'ay faite jusqu'ici contre vous; d'aultant que mieux le peuvent faire ceulx qui connoissent les affaires des ennemis que ceulx qui n'y connoissent rien; mais si, d'aventure, tu es las de plus tenter la fortune, aussi suis je quant à moy, las de plus vivre, et ne seroit point saigement fait à toy de sauver la vie à un qui jadis t'estoit mortel ennemy, et qui maintenant ne te sauroit plus rien profiter ni servir. »

Ce discours peut sembler un peu long, mais il est beau et rien ne sort de la situation. Après une préparation, qu'il croit nécessaire, le Romain déclare noblement son nom, Caïus Martius, et les motifs que Tullus a de le haïr, et il n'omet pas non plus cet autre nom de Coriolan, trophée de sa victoire contre les Volsques. Mais ses concitoyens lui ont tout enlevé, et maintenant il supplie son ennemi; ce n'est pas qu'il ait peur, mais il veut se venger. Sa blessure est si cruelle! deux fois il répète ce mot fatal : « Ils m'ont «< chassé. » Puis viennent les raisons qu'a Tullus de profiter de l'adversité du général romain pour le bien de sa nation. Si Tullus est las de la guerre, eh bien! qu'il ne voie en Martius qu'un ennemi, et qu'il lui enlève une vie à laquelle il ne tient que dans les intérêts de sa vengeance. C'est donc un discours parfaitement conduit; Coriolan s'y montre avec toutes les passions qui le précipitent; il est noble même dans le crime où il est poussé par sa fureur. Mais ces mérites appartiennent à Plutarque plus qu'à son traducteur; néanmoins celui-ci a parfaitement modelé son style sur celui du maître. Il a des expressions et des tours d'un beau style; par exemple, cette phrase dans laquelle rien n'a

vieilli a Sers-toi maintenant de mes calamités, et fais << en sorte que mon adversité soit la commune prospérité « de tous les Volsques. » D'autres tours ne sont plus d'usage: « il est force que,» pour il est nécessaire; « m'ont « souffert être chassé en exil» est pénible. « En t'assu

« rant que je ferai la guerre. » Étant bien persuadé que. Voici la fin du — « Par quoi » pour c'est pourquoi. récit :

Tullus ayant ouï ce propos, en fut merveilleusement aise, et lui touchant la main, lui dit : Lève-toi, Martius, aye bon courage, car tu nous apportes un grand bien en te donnant à nous; au moyen de quoi tu dois espérer de plus grandes choses de la communauté des Volsques. Si le festoya pour lors et lui fit bonne chère, sans aultrement parler d'affaires. Mais aux jours en suivants puis après, ils commencèrent à consulter entre eux des moyens de faire la guerre.

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Tout ce détail est simple et vif, Tullus recueillant son ennemi ne pouvait pas mieux s'exprimer. « Merveilleusement, » dans le sens de extrêmement, est redevenu assez en usage. << Au moyen de quoi » est un tour peu élégant, demeuré dans le langage de la conversation. « Communauté, » expression empruntée à la société politique du moyen âge. « Le festoya et lui fit bonne chère. » Deux mots entièrement passés du style français; bonne chère, surtout, ne se dit plus dans le sens de bon accueil; il n'est plus employé que dans une acception moins relevée.

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Dans la région la plus haute et la plus sereine de la dévotion, saint François de Sales, évêque de Genève, qui naquit en 1565 et mourut en 1622, a mérité d'être classé parmi les plus illustres prosateurs du seizième siècle. Nous puiserons dans l'Introduction à la vie dévote quelques pas

sages dans lesquels on ne sait ce qui est le plus aimable, ou du fond de la doctrine ou de la grâce charmante avec laquelle ce grand écrivain, ce grand saint, a le don de l'exprimer (1).

La bouquetière Glycera sçavoit proprement diversifier la disposition et le meslange des fleurs, qu'avec les mesmes fleurs elle faisoit une grande variété de bouquets; de sorte que le peintre Pausias demeura court, voulant contrefaire à l'envy cette diversité d'ouvrage; car il ne sceut changer sa peinture en tant de façons comme Glycera faisoit ses bouquets. Ainsi le Saint-Esprit dispose et arrange avec tant de variété les enseignements de la dévotion qu'il donne par les langues et les plumes de ses serviteurs, que, la doctrine estant tousjours une mesme, les discours neantmoins qui s'en font sont bien differents selon les diverses façons desquelles il est composé. Je ne puis certes ni veulx, ni dois escrire en cette introduction que ce qui a desjà esté publié par nos prédécesseurs sur ce sujet. Ce sont les mesmes fleurs que je te presente, mon lecteur; mais le bouquet que j'en ai fait sera différent des leurs, à raison de la diversité et de l'ageancement dont il est façonné.

Est-il une modestie plus fraîche et plus gracieuse que celle qui apparaît dans ce début d'un livre de piété ? Il s'agissait d'exprimer d'une manière neuve cette pensée, d'ailleurs très-ordinaire, qu'un enseignement dont les éléments sont puisés de toutes parts, peut devenir nouveau par la manière dont il est présenté. Pouvait-on mieux faire comprendre qu'il y a quelque chose d'inimitable, et qui même n'appartient qu'au génie, dans l'art d'arranger et d'assortir? Le bouquet préparé par François ne ressemblera pas à ceux des autres écrivains sur des matières semblables;

(1) Nous ne saurions trop recommander l'Histoire de saint François de Sales par M. le curé de Saint-Sulpice; là, dans cette savante biographie, tous les mérites de l'esprit, aussi bien que ceux du cœur, les écrits et les vertus du saint évêque sont appréciés avec un haut talent et avec une admiration toujours émue.

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