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orateur, appelé à prononcer l'oraison funèbre sur le cercueil de ce grand roi, commença par cette phrase sublime: « Dieu seul est grand, mes frères, » lui aussi put se souvenir qu'il avait autrefois, sans être ébloui de cette gloire, alors vive, annoncé au premier roi du monde que le royaume du ciel n'est pas à celui « qui fait l'admiration-de l'univers,» mais à celui qui fait sa principale occupation du siècle à venir.

Passages extraits dú Petit-Carême.

Les discours dont le recueil porte le titre de Petit-Carême, sont moins grands sous les divers rapports, moins étendus, et d'une éloquence moins véhémente; mais ce sont des chefs-d'œuvre d'élégance, de noblesse; c'est un cours de morale plein d'élévation, de mesure et d'indépendance à la fois sur les devoirs de la royauté, sur les vices et les vertus des grands. Nous prenons au hasard quelques traits fort courts et qui, pour la pensée comme pour le style, brillent d'un vif et pur éclat.

Sire, regardez toujours la guerre comme le plus grand fléau dont Dieu puisse affliger un empire; cherchez à désarmer vos ennemis plutôt qu'à les vaincre. Dieu ne vous a confié le glaive que pour la sûreté de vos peuples, et non pour le malheur de vos voisins. L'empire sur lequel le ciel vous a établi est assez vaste; soyez plus jaloux d'en soulager les misères que d'en étendre les limites; mettez plutôt votre gloire à réparer le malheur des guerres passées qu'à en entreprendre de nouvelles; rendez votre règne immortel par la félicité de vos peuples plus que par le nombre de vos conquêtes; ne mesurez pas sur votre puissance la justice de vos entreprises, et n'oubliez jamais que, dans les guerres les plus justes, les victoires traînent toujours après elles autant de calamités pour un État que les plus sanglantes défaites.

Ce passage est beau, majestueux et calme; seulement on doit y reprendre l'abus de l'antithèse; toutes sont justes, mais trop nombreuses dans le Petit-Carême. Un des meilleurs caractères de ce recueil est une sage réaction contre l'esprit de conquête qui avait fait la désolation des peuples sous le dernier règne. L'espace nous manque pour analyser un admirable morceau du deuxième discours, non plus sur l'esprit de conquête, mais sur les ravages que présentent les conquérants, ces fléaux de Dieu sur la terre que Dieu leur livre pour la châtier. « Sa gloire, Sire, sera toujours souillée de sang, etc. » Nous citerons seulement la péroraison de ce même second discours.

Grand Dieu! vous qui êtes le protecteur de l'enfance des rois et surtout des rois pupilles, éloignez tous ces piéges de l'enfant précieux que vous nous avez laissé dans votre miséricorde. Il peut vous dire, comme autrefois un roi selon votre cœur: «Mon père et ma mère m'ont abandonné. » A peine avais-je les yeux ouverts à la lumière qu'une mort prématurée les ferina en même temps à Adélaïde, qui m'avait porté dans son sein, et dont les traits aimables et majestueux sont encore peints sur mon visage; et au prince pieux de qui je tiens la vie, et dont les sentiments religieux seront toujours gravés dans mon cœur. Mais vous, Seigneur, qui êtes le Père des rois et le Dieu de mes pères, vous m'avez, mis sous votre protection et mis à couvert sous l'ombre de vos ailes et de votre bonté paternelle.

Grand Dieu! gardez donc son innocence comme un trésor encore plus estimable que sa couronne; faites-la croître avec son âge; prenez son cœur entre vos mains, et que le feu impur de la volupté ne profane jamais un sanctuaire que vous vous êtes réservé depuis tant de siècles.

Voilà, certes, un ravissant langage, des paroles qui auraient dû pénétrer avec autant de douceur que de force dans le cœur du monarque enfant. Comme cette prosopopée est belle et touchante, surtout dans les plaintes de l'enfant que son père et sa mère ont abandonné, et que Dieu

a pris sous ses ailes! Sa mère, Adélaïde de Savoie, morte en 1712; son père, le duc de Bourgogne, mort peu de jours après sa femme, circonstance qui rend plus touchante et plus vraie la parole de l'Écriture: Dereliquerunt me. Avec quelle dignité l'orateur détermine la part de l'héritage, tant maternel que paternel, qu'a dû recueillir le jeune roi « Les traits aimables et majestueux, les sentiments religieux, le visage et le cœur!» Et comme la prière de l'évêque qui succède à celle qu'il prête à l'enfant roi, est belle aussi, « gardez donc son innocenee, etc. » Il y a dans nos grands écrivains des phrases qui sont pures et limpides comme le cristal.

Je sais que l'impie prospère quelquefois, qu'il paraît élevé comme le cèdre du Liban, et qu'il semble insulter le ciel par une gloire orgueilleuse qu'il ne croit tenir que de lui-même. Mais attendez; son élévation va lui creuser elle-même son précipice, la main du Seigneur l'arrachera bientôt de dessus la terre. La fin de l'impie est presque toujours sans honneur; tôt ou tard il faut que cet édifice d'orgueil et d'injustice s'écroule. La honte et la gloire vont succéder ici-bas à la gloire de ses succès; on le verra peut-être traîner une vieillesse triste et déshonorée; il finira par l'ignominie. Dieu aura son tour, et la gloire de l'homme injuste ne descendra pas avec lui dans le tombeau. (Troisième discours.)

Ce morceau est une remarquable paraphrase d'un passage de l'Écriture que Racine avait déjà imité de beaucoup plus près et d'une manière bien supérieure dans ces vers fameux: « J'ai vu l'impie adoré sur la terre, etc. » Néanmoins il y a peut-être lieu de blâmer ce trait : « son élévation va lui creuser elle-même son précipice ; » on ne saurait approuver l'élévation personnifiée et qui creuse. << Il faut que les édifices, etc.; » images incohérentes; si son précipice est creusé, comment est-il arraché de la terre, et comment cet arbre ainsi arraché est-il un édifice qui s'écroule?

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« Et

la gloire de l'homme injuste; » il faut admirer dans cette chute la beauté de l'image et celle du nombre.

L'homme est né pour le ciel; il porte écrits dans son cœur les titres augustes et ineffaçables de son origine; il peut les avilir, mais il ne peut les effacer. L'univers entier serait sa possession et son partage, qu'il sentirait toujours qu'il se dégrade et ne se satisfait pas en s'y fixant; tous les objets qui l'attachent icibas l'arrachent, pour ainsi dire, du sein de Dieu, son origine et son repos éternel, et laissent une plaie de remords et d'inquiétudes dans son âme, qu'ils ne sauraient plus fermer euxmêmes; il sent toujours la douleur secrète de la rupture et de la séparation; et tout ce qui altère son union avec Dieu le rend irréconciliable avec lui-même.

Cependant nous nous promettons toujours ici-bas une injuste félicité. Nous courons tous dans cette terre aride après un bonheur et un repos que nous ne saurions trouver. A peine détrompés, par la possession d'un objet, du bonheur qui semblait nous y attendre, un nouveau désir nous jette dans la même illusion; et, passant sans cesse de l'espérance du bonheur au dégoût, et du dégoût à l'espérance, tout ce qui nous fait sentir notre méprise devient lui-même l'attrait qui la perpétue. (Quatrième discours.)

Début plein d'élévation. «Sa possession et son partage; » ces deux mots ne sont pas synonymes; non-seulement il le posséderait, mais il l'aurait reçu comme une part dont il serait héritier. — « Se dégrader, » descendre de son rang, du degré qui lui appartient sur l'échelle des intelligences. — « Son origine et son repos éternel; » belle opposition; Dieu, l'A et l'Q, requies æterna. «<Laissent une plaie de remords; » métaphore qui n'est pas heureuse, qui du moins n'est pas en rapport avec celles qui précèdent: un lien qui attache, un arbre qu'on arrache, un objet qui se fixe; le style ici est peu cohérent et diffus. — « Rupture et séparation; » deux idées inséparables et qui se complètent. «Secrète, » épithète pleine de sens. - << Et

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tout ce qui altère, » expression fine, pensée profonde. « Union irréconciliable, » termes en juste rapport.- « Qui l'attachent ici-bas l'arrachent. » Il y a ici une légère négligence, une sorte d'altération, figure ou jeu de mots toujours à éviter. « Tout ce qui nous fait sentir, etc., >> grande pénétration du moraliste, qui découvre en se jouant les mystères les plus intérieurs de l'âme.

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Et quelle félicité pour le souverain de regarder son royaume comme sa famille, ses sujets comme ses enfants; de compter que leurs cœurs sont encore plus à lui que leurs biens et leurs personnes, et de voir, pour ainsi dire, ratifier chaque jour le premier choix de la nation qui éleva ses ancêtres sur le trône! La gloire des conquêtes et des triomphes a-t-elle rien qui égale ce plaisir? Mais de plus, Sire, si la gloire des conquérants vous touche, commencez par gagner les cœurs de vos sujets; cette conquête vous répond de celle de l'univers. Un roi cher à une nation valeureuse comme la vôtre n'a plus rien à craindre de ses prospérités et de ses victoires. (Cinquième discours.)

Ce passage, ainsi qu'un très-grand nombre de semblables dans le Petit-Carême, montre une grande affinité entre son auteur et celui du Télémaque. « Le premier choix de la nation qui éleva... » C'est Dieu qui fait les rois, c'est la nation qui les élève. « Une nation valeureuse comme la vôtre; » éloge du peuple français, un noble sentiment; à l'instant où l'orateur combattait l'esprit de conquête, il était bien de constater la valeur immortelle de la nation qui avait accompli les conquêtes du règne précédent. «Jé compte

que leurs cœurs, etc., » phrase charmante, pleine d'un sentiment exquis, qui se dilate encore un peu plus loin dans ce trait, « cette conquête vous répond de celle de l'univers.»-Voir dans le sermon suivant un beau développement sur la liberté des lois : « La liberté, Sire, que les princes doivent à leurs peuples, etc. »

La religion, la piété envers Dieu, la fidélité à tous les devoirs

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