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partout où la terre nourrit des habitants. Qu'on parcoure jusqu'aux extrémités les plus reculées de la terre et les plus désertes, nul lieu dans l'univers, quelque caché qu'il soit au reste des hommes, ne peut se dérober à l'éclat de cette puissance qui brille au-dessus de nous dans les globes lumineux qui décorent le firmament.

Le style s'élève ici aux figures les plus hautes; il devient lyrique. « Le langage des cieux; ces astres établis comme des hérauts célestes, le silence majestueux qui parle le langage, etc.,» tout cela est magnifique. Toute l'échelle des splendeurs se trouve dans la dernière phrase: « l'éclat, qui brille, globes lumineux; » et tout cela resplenditencore davantage par le contraste de cette expression modeste, « qui décorent le firmament. » Tant de grandeur pour n'être que la simple décoration de l'infini.

Voilà le premier livre que Dieu a montré aux hommes pour leur apprendre ce qu'il était; c'est là où ils étudièrent d'abord ce qu'il voulait leur manifester de ses perfections infinies; c'est à la vue de ces grands objets que, frappés d'admiration et d'une crainte respectueuse, ils se prosternaient pour en adorer l'auteur tout-puissant... Il ne leur fallait pas des prophètes pour les instruire de ce qu'ils devaient à la Majesté suprême, la structure admirable des cieux et de l'univers le leur apprenait assez. Ils laissèrent cette religion simple et pure à leurs enfants; mais ce précieux dépôt se corrompit entre leurs mains. A force d'admirer la beauté et l'éclat des ouvrages de Dieu, ils les prirent pour Dieu même; les astres, qui ne paraissaient que pour annoncer la gloire aux hommes, devinrent eux-mêmes leurs divinités. Insensés ! ils offrirent des vœux et des hommages au soleil et à la lune, et à toute la milice du ciel, qui ne pouvaient ni les entendre ni les recevoir. La beauté de ces ouvrages fit oublier aux hommes ce qu'ils devaient à leur auteur.

Nous voyons ici, avec une hauteur de style admirable, l'histoire primitive de la pensée humaine et les origines de

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l'idolâtrie, lorsque les hommes adoraient Dieu sous le voile des objets créés. «La structure des cieux ;» belle expression; c'est-à-dire l'édifice des cieux, et non-seulement l'édifice, mais sa beauté, l'art qui y a présidé. - Suivent deux phrases d'un nombre large, plein, harmonieux. — « Insensés!» mouvement bien amené. << A toute la milice

du ciel; » très-beau; les astres sont souvent dans l'Écriture appelés l'armée du Très-Haut.-Ce trait : « qui ne pouvaient ni les entendre ni les recevoir,» fait comprendre l'insensibilité de ces corps que l'on prenait pour des dieux.

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Si tout meurt avec le corps, il faut que l'univers prenne d'autres lois, d'autres mœurs, d'autres usages, et que tout change sur la terre. Si tout meurt avec le corps, les maximes de l'équité, de l'amitié, de l'honneur, de la bonne foi, de la reconnaissance, ne sont donc plus que des erreurs populaires, puisque nous ne devons rien à des hommes qui ne nous sont rien, auxquels aucun noeud commun de culte ou d'espérance ne nous lie, qui vont demain retomber dans le néant et qui ne sont déjà plus.

Si tout meurt avec nous, les annales domestiques et la suite de nos ancêtres ne sont plus qu'une suite de chimères, puisque nous n'avons point d'aïeux et que nous n'avons point de neveux. Les soins du nom et de la postérité sont donc frivoles; l'honneur qu'on rend à la mémoire des hommes illustres, une erreur puérile, puisqu'il est ridicule d'honorer ce qui n'est plus; la religion des tombeaux, une illusion vulgaire ; les cendres de nos pères et de nos amis, une vile poussière qu'il faut jeter au vent et qui n'appartient à personne; les dernières intentions des mourants, si sacrées parmi les peuples les plus barbares, le dernier son d'une machine qui se dissout.

« Les soins du nom et de la postérité, » tour latin. « Frivoles.» étymologiquement friables; la frivolité est

opposée à la solidité, à la consistance. «Une erreur puérile l'honneur rendu à la mémoire des hommes illustres, et une illusion vulgaire la religion des tombeaux. » Quel grand style!« C'est demain qu'ils retomberont dans le néant et ils ne sont déjà plus. » Contradiction éloquente, identifiant aujourd'hui et demain en ce qui regarde ce qui est promis au néant. La différence entre l'erreur et l'illusion est ici parfaitement marquée. C'est l'esprit qui honore les morts illustres,c'est le cœur qui honore les cendres de ceux qui nous furent chers, et l'illusion est l'erreur non de l'esprit, mais du cœur. Il y a une parfaite gradatton dans l'exposition des conséquences d'un principe fatal. « Le dernier son d'une machine qui se dissout; » phrase nombreuse et rhythme sombre.

Pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée, les rois et les souverains des fantômes que la faiblesse des peuples a élevés; la justice, une usurpation sur la liberté des hommes; la loi du mariage, un vain scrupule; la pudeur, un préjugé, l'honneur et la probité des chimères; les meurtres, les parricides, les perfidies noires, des jeux de la nature et des noms que la politique des législateurs a inventés.

Voilà où se réduit la philosophie sublime des impies; voilà cette force, cette sagesse, cette raison qu'ils nous vantent éternellement. Convenez de leurs maximes, et l'univers entier retombe dans un affreux chaos; et tout est confondu sur la terre; et toutes les idées du vice et de la vertu sont renversées; et les lois les plus inviolables de la société s'évanouissent; et la discipline des mœurs périt; et le gouvernement des États et des empires n'a plus de règle; et toute l'harmonie du corps politique s'écroule; et le genre humain n'est plus qu'un assemblage d'insensés, de barbares, d'impudiques, de furieux, de fourbes, de dénaturés, qui n'ont plus d'autre loi que la force, plus d'autre frein que leurs passions et la crainte de l'autorité, plus d'autre lien que l'irréligion et l'indépendance, plus d'autre dieu qu'euxmêmes.

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Tout ce développement n'est pas sans quelque diffusion; il y a aussi de la négligence; telle est cette répétition : « Retombe dans un affreux chaos; » il a dit tout à l'heure : « Retombe dans le néant. » La longue énumération des choses humaines qui, en effet, retombent dans ce chaos, présente un remarquable artifice de style; on croit voir tour à tour toute chose se détacher par lambeaux et tomber. La répétition si fréquente de l'et ajoute à l'effet; néanmoins il y a quelques redites. « L'harmonie du corps politique s'écroule. » L'harmonie, peut-elle s'écrouler? L'harmonie est l'ensemble, l'accord, la symétrie, elle est une qualité, elle se détruit, cesse d'exister, et le corps s'écroule. «Assemblage, » terme très-bien choisi; une assemblée est une réunion de personnes, un assemblage est une adjonction de choses entre elles. Sans la religion il y a des choses, il n'y a plus de personnes, parce qu'il n'y a plus d'êtres libres, responsables de leurs actions; ils sont « dénaturés, ils ont perdu ce qu'il y a de divin dans leur nature d'hommes.- D'autres freins que leurs passions; >> juste métaphore; ce sont des coursiers sans frein, leurs passions les emportent. « D'autre lien que l'irréligion ; » religion signifie en effet lien de l'homme avec Dieu; sans religion pas de lien; l'orateur l'a dit plus haut et si bien : «Lié par le noeud du culte et de l'espérance. » L'indépendance, comme l'irréligion, est littéralement l'absence de lien; d'autre lien que l'indépendance » est donc une alliance de mots. « D'autre dieu qu'eux-mêmes; » dernier trait qui achève et semble supporter sur sa base tout le développement qui précède.

3. La scène du monde où tout change et tout passe

Rappelez seulement les victoires, les prises de places, les traités glorieux, les magnificences, les événements pompeux des premières années de ce règne. Vous y touchez encore; vous

en avez été la plupart, non-seulement spectateurs, mais vous en avez partagé les périls et la gloire; ils passeront dans nos annales jusqu'à nos derniers neveux; mais pour vous, ce n'est déjà plus qu'un songe, qu'un éclair qui a disparu, et qui chaque jour s'efface même de votre souvenir. Qu'est-ce donc que le peu de chemin qui vous reste à faire? Croyons-nous que les jours à venir aient plus de réalité que les passés? Les années paraissent longues quand elles sont encore loin de nous; arrivées, elles disparaissent, elles nous échappent en un instant, et nous n'aurons pas tourné la tête que nous nous trouverons, comme par un enchantement, au terme fatal qui nous paraît encore si loin, et ne devoir jamais arriver.

Regardez le monde, tel que vous l'avez vu dans vos premières années, et tel que vous le voyez aujourd'hui. Une nouvelle cour a succédé à celle que vos premiers ans ont vue; de nouveaux personnages sont montés sur la scène; les grands rôles sont remplis par de nouveaux acteurs; ce sont de nouveaux événements, de nouvelles intrigues, de nouvelles passions, de nouveaux héros dans la vertu comme dans le vice qui font le sujet des louanges, des dérisions et des censures publiques; un nouveau monde s'est élevé insensiblement, et sans que vous vous en soyez aperçus, sur les débris du premier.

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que

« Les magnificences, les événements pompeux; » style surabondant. « Vous en avez été; ils passeront; » en et ils sont vagues, on ne voit pas aisément à quel sujet ils se rapportent. « Un éclair » est très-bien; il enchérit sur le songe, et le mot « réalité » qui suit est en juste rapport avec ces deux termes. « Qu'est-ce donc le peu de chemin, etc.,» interrogation bien amenée; «le chemin, >> métaphore juste et triste. « Les années paraissent longues; » grand style: idée, sentiment, nombre, tout s'y trouve. Quels traits que ceux-ci : « Arrivées, elles disparaissent; » et ce tour: « Nous n'avons pas tourné la tête que, etc. » et le mot, « comme par enchantement ! » C'est moins entraînant que le passage analogue de Bossuet cité plus haut; mais on y voit un naturel peut-être plus

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