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il distribua en différents temps, l'exécution de ses desseins. Son esprit, toujours juste malgré son étendue, n'alla que par degrés au projet de la domination; et, quelque éclatante qu'aient été depuis ses victoires, elles ne doivent passer pour de grandes actions que parce qu'elles furent toujours la suite et l'effet de grands desseins.

Mêmes qualités que dans le précédent portrait, une élégance facile, mais assez pâle ; rien de ces grands traits par lesquels Bossuet et les célèbres historiens de l'antiquité retracent les caractères avec une empreinte qui ne saurait plus s'effacer. « Cet air de grandeur était tempéré par la douceur et la facilité de ses manières; » phrase d'une expression toute latine: facilitate morum temperata.

La plupart des traits du caractère de César, « son éloquence insinuante, etc.,» sont fins et d'une apposition spirituelle; ils contrastent spirituellement avec ceux qui peignent son rival; mais quand l'historien tend à la force, comme en ceci : « Il ne trouve rien au-dessus de son ambition, etc., ou bien, « Ses victoires ne doivent passer pour de grandes actions, etc.,» il est vague, obscur, et parfois hors du vrai.

L'Histoire des révolutions romaines de Vertot est un livre élégant, mais superficiel, où l'on ne trouve ni la pensée ni le savoir modernes, ni l'art incomparable des anciens; celle des Révolutions de Suède est mieux : le sujet, plus neuf, ouvrait plus de carrière à l'imagination, et il n'y avait pas à lutter contre le souvenir d'historiens éminents.

C'était un beau sujet que la peinture du héros suédois, Gustave Vasa, réunissant autour de lui des paysans de la Dalécarlie, et conquérant un trône pour lui, en faisant luire l'affranchissement aux yeux de tous. Vertot fut peu au-dessous d'un pareil sujet.-L'Histoire de l'ordre de Malte est un long ouvrage, diffus, d'un style négligé et de peu d'intérêt, estimé seulement dans quelques-unes de

ses parties. Pourtant le style est généralement noble, élégant, la narration animée; certains portraits sont intéressants, mais tracés d'imagination; ses réflexions ont peu de profondeur. Son principal défaut comme historien, c'est qu'il n'inspire pas une entière confiance : « Mon siége est fait,» répondit-il, alors qu'on lui apporta plus tard les documents sur le siége de Rhodes. Il supplée trop par l'imagination à la fidélité historique et à l'étude consciencieuse des documents. Le meilleur ouvrage de Vertot, le premier qu'il publia, en 1689, l'Histoire des Révolutions de Portugal est un opuscule plein de talent. Il s'agit de la révolution qui, en 1660, renversa la domination espagnole et amena la maison de Bragance sur le trône de Portugal; nous en citerons un vrai modèle de narration.

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Triomphe des conjurés et succès du duc de
Bragance.

Enfin le jour parut où le succès allait décider si le duc de Bragance méritait le titre de roi et de libérateur de la patrie, ou le nom de rebelle et d'ennemi de l'État.

Les conjurés se rendirent de grand matin chez don Michel d'Alméida et chez les autres seigneurs où ils devaient s'armer. Ils y parurent tous avec tant de résolution et de confiance, qu'ils semblaient aller à une victoire certaine. Ce qui est de remarquable, c'est que dans un si grand nombre, composé de prêtres, de bourgeois et de gentilshommes, qui étaient la plupart amenés par des intérêts différents, il n'y en eut pas un qui manquât à sa parole et à la fidélité qu'il avait promise. Chacun pressait le moment de l'exécution comme s'il avait été le chef et l'auteur de l'entreprise, et que la couronne dût être la récompense des périls où il s'exposait. Plusieurs femmes même voulurent avoir part à la gloire de cette journée. L'histoire conserve la mémoire de doña Philippe de Villènes, qui arma de ses propres mains ses deux fils, et, après leur avoir

donné leur cuirasse: «Allez, mes enfants, leur dit-elle, étein« dre la tyrannie, et nous venger de nos ennemis; et soyez <«< sûrs que, si le succès ne répond pas à nos espérances, votre « mère ne survivra pas un moment au malheur de tant de « gens de bien. »

Tout le monde étant armé, ils se rendirent au palais par différents chemins, et la plupart en litière, afin de mieux cacher leur nombre et les armes qu'ils portaient.

Ils se partagèrent en quatre bandes, comme on en était convenu, attendant avec bien de l'impatience que huit heures sonnassent, qui était le moment marqué pour l'exécution. Jamais le temps ne leur avait paru si long. La crainte qu'on ne s'aperçût de leur grand nombre, et que l'heure extraordinaire où ils paraissaient au palais ne fit soupçonner au secrétaire quelque chose de leur dessein, leur causait de cruelles inquiétudes. Enfin, huit heures sonnèrent; et Pinto ayant aussitôt tiré un coup de pistolet pour signal, comme on en était convenu, ils se virent en liberté d'agir.

Ils se poussèrent en même temps brusquement chacun du côté qui lui était assigné. Don Michel d'Alméida tomba avec sa bande sur la garde allemande, qui, prise au dépourvu, la plupart sans armes, fut bientôt défaite, sans presque avoir rendu de combat.

<< Enfin le jour parut. » Cette phrase, jetée au moment où le récit se condense et où le dénoûment est sur le point d'avoir lieu, a quelque chose de solennel et qui fixe l'attention. « Ce qui est de remarquable,» tour qui a vieilli. — « Comme si la couronne dût être la récompense; » supposition sans portée; dans une conspiration il n'est pas vrai que chacun espère une couronne pour soi. La circonstance de doña de Villènes est un épisode éloquent par l'allocution de cette héroïne. «Que huit heures sonnassent, qui était, » ne se dirait pas; le relatif qui n'a pas ici d'antécédent exprimé. - L'impatience où étaient les conjurés est peinte d'une manière vive.« Ils se virent en liberté d'agir ; »> on dirait une carrière ouverte et les cour

siers lancés. On s'attend à de grands événements. «< Rendu de combat; » expression vieillie. Corneille a dit :

Quels sont les grands combats que vous avez rendus !

Poursuivons :

Le grand veneur, Mello son frère, et don Esteb an d'Acugna chargèrent la compagnie espagnole, qui était en garde devant un endroit du palais qu'on appelait le Fort. Ils étaient suivis de la plupart des bourgeois qui avaient part à l'entreprise. Ils se jetèrent avec beaucoup de courage, l'épée à la main, dans le corps de garde où les Espagnols s'étaient retranchés. De sorte qu'après quelque résistance, l'officier espagnol, avec ses soldats, fut obligé de se rendre, et, pour sauver sa vie, de crier, comme les autres: Vive le duc de Bragance, roi de Portugal !

Pinto, s'étant ouvert le chemin du palais, se mit à la tête de ceux qui devaient attaquer l'appartement du secrétaire d'État Vasconcellos. Il marchait avec tant de résolution que, rencontrant un de ses amis qui lui demanda en tremblant où il allait avec ce grand nombre de gens armés et ce qu'il voulait faire: «Rien autre chose, lui dit-il en souriant, que de chan<< ger de maître, et vous défaire d'un tyran pour vous donner << un roi légitime. >>

En entrant dans l'appartement du secrétaire, ils trouvèrent au bas de l'escalier Francisco Soarez d'Albergana, lieutenant civil, qui ne faisait que de sortir de chez lui. Ce magistrat, croyant d'abord que ce tumulte ne fût qu'une querelle particulière, voulut interposer son autorité pour les faire retirer; mais, entendant crier de tous côtés : Vive le duc de Bragance! il crut que son honneur et le devoir de sa charge l'obligeaient de crier Vive le roi d'Espagne et de Portugal! ce qui lui coûta la vie ; un des conjurés lui tira un coup de pistolet, et se fit un mérite de le punir d'une fidélité qui commençait à devenir criminelle.

Antonio Correa, premier commis du secrétaire, accourut au bruit. Comme il était le ministre ordinaire de ses cruautés, et que, semblable à son maître, il traitait la noblesse avec beaucoup de mépris, don Antoine de Menezès lui enfonça le poignard dans le sein. Mais ce coup ne suffit pas pour faire sentir

à ce malheureux que son autorité était finie; car ne pouvant comprendre que l'on pût s'adresser à lui, et croyant qu'on l'avait pris pour un autre, il se retourna fièrement vers Menezès, et, le regardant avec des yeux pleins de vengeance et de ressentiment: « Quoi! tu oses me frapper, » lui dit-il. A quoi l'autre ne répondit que par trois ou quatre coups redoublés, qui le jetèrent sur le carreau. Cependant ses blessures ne s'étant pas trouvées mortelles, il en réchappa pour perdre la vie quelque temps après d'une manière plus honteuse, par la main du bourreau.

Un des premiers secrets d'une narration historique consiste à savoir d'abord présenter les faits généraux, et, s'il s'agit d'une conspiration, le mouvement d'ensemble de tout un parti contre un autre.Ensuite l'historien, se faisant jour à travers les faits généraux, entre dans la suite des épisodes, les seuls faits qui montrent avec clarté tout l'événement. L'auteur a donc multiplié ici les faits de détail, et son récit est à la fois animé et pittoresque. C'est le ministre d'État Vasconcellos qui est l'objet des attaques des conjurés; lui mort, la cause du duc de Bragance est gagnée. Mais l'historien nous montrera la fureur du peuple, croissant et montant de degré en degré, de morts en morts, jusqu'à ce qu'elle se soit assouvie sur le secrétaire. D'abord c'est le lieutenant civil qui tombe honorablement en voulant faire son devoir. On le punit « d'une fidélité qui commençait à devenir criminelle; » alliance de mots qui ne manque pas d'énergie, qui fait penser et rappelle un mot bien connu :

Si j'eusse été vaincu, je serais criminel.

Antonio Correa tombe avec des circonstances dramatiques. Regardant le meurtrier « avec des yeux pleins de vengeance et de ressentiment; » un beau style. Correa ne meurt pas de ses blessures, et l'histoire nous montre de loin l'œuvre du bourreau, la réaction sanglante et l'écha

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